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En finir avec les HiPo

En finir avec les HiPo
En finir avec les HiPo

/Améliorer la gestion des Hommes

High potential, talents de demain, pépites, les grandes entreprises couvent leurs superstars dans un nid douillet et s’enorgueillissent des programmes mis à leur disposition pour les accompagner vers les sommets : learning expeditions, graduate programms, postes en mission à travers le monde, formations au Costa Rica, à Shanghai ou à Londres, MBA en tous genres. On rivalise à coups de milliers de dollars pour séduire les meilleurs, et attirer dans ses filets celui dont tout le monde rêve… Mais le calcul est-il bon ?


Un calcul si évident

Si l’idée est tellement généralisée, c’est qu’elle doit être bonne ! En fait, je crois qu’elle bénéficie d’une aura liée aux satisfactions qu’elle procure à ceux qui sont concernés (organisateurs et bénéficiaires).

Officiellement le calcul est simple : on veut former les dirigeants de demain, créer un noyau dur susceptible d’entrainer le reste de la troupe et évidemment retenir ceux qui nous paraissent les plus précieux.

Mais il me semble que la vraie force des systèmes HiPo, c’est qu’ils nourrissent très fort les egos des concernés : les créateurs s’éclatent à concevoir des formations brillantes, novatrices, exotiques et peuvent enfin dépenser des budgets individuels importants qui permettent de valoriser fortement leur imagination pédagogique. Quant aux HiPo eux-mêmes, difficile de ne pas s’enorgueillir d’être identifié comme un des espoirs de la boîte ?

Mais il s’agit de vérifier qu’au-delà de ces effets, l’investissement consenti est bien au bénéfice du résultat global de l’entreprise.


Mais on perd en bas

D’abord, il faut questionner l’effet d’entrainement.

Est-il vrai que les programmes HiPo génèrent de la motivation chez les autres pour y entrer ? C’est peu probable ou si c’est le cas, c’est à petite échelle. Les conditions d’âges ou le nombre de personnes concernées, voire le profil universitaire requis sont des barrières objectives qui excluent forcément une grande partie des collaborateurs, l’immense majorité même.

Est-il vrai que la capacité managériale renforcée de ce petit nombre de managers va bénéficier au plus grand nombre ? Intellectuellement je veux bien, mais là encore, je peine à y croire dans la réalité du quotidien. Il y a d’abord une raison que je qualifierai de sociologique : en créant un groupe identifié, de petite taille, bénéficiant de conditions particulières, je pense qu’on crée plus une caste de gens qui se ressemblent et s’aperçoivent en discutant entre eux qu’ils ont plein de points communs.

Je constate qu’en réunissant ces profils, il est très rare que l’on cultive la générosité.

L’âge souvent, une certaine facilité intellectuelle, une motivation intrinsèque forte. Je constate qu’en réunissant ces profils, il est très rare que l’on cultive la générosité. On cultive plutôt de la réassurance mutuelle sur les recettes qui ont marché jusque-là. Les stars sont conduites à devenir des superstars. Ce dopage a tendance à les éloigner des difficultés des personnes « normales » et à renforcer leur confiance en eux : j’observe que les talents sont ceux qui parlent le plus d’exemplarité et évoquent leur parcours pour montrer aux autres que « c’est possible ». Sauf que les autres en question n’ont pas les mêmes atouts et les injonctions à la perfection les rebutent plus qu’elles ne les motivent.

Non je crois que les programmes HiPo ne peuvent pas prétendre à la contagion.

Plus trivialement, pour qu’il y ait véritablement entraînement, il faudrait que le nombre des HiPo soit bien supérieur à ce qu’il est la plupart du temps. On ne couvre pas suffisamment l’entreprise pour avoir un effet d'entraînement global. Même en comptant ceux qui sont déjà sortis du système en plus de ceux qui y sont à l’instant t, les dispositifs HiPo concernent rarement plus de 5% de l’effectif dans les grands groupes. Non je crois que les programmes HiPo ne peuvent pas prétendre à la contagion. Au mieux, ils musclent la capacité stratégique d’une élite mais ils ne peuvent créer d’émulation.

Par ailleurs, il est clair que la débauche de moyens pour ce petit nombre n’est donc pas disponible pour les 95% qui restent.

On perd aussi en haut

Mais le plus surprenant, c’est que nous observons que les programmes HiPo, ou même les logiques managériales visant à stimuler la frange haute des collaborateurs, est souvent contre-productive. Il y a quelques mois, nous posions la question à un codir de lister les différentes actions destinées à fidéliser les meilleurs et qui ont contribué à les faire fuir. Nous nous sommes arrêtés à 17…

Les fausses bonnes idées de stimulation des HiPo peuvent être classées en 3 catégories

1. L’essorage

Les potentiels sont très vite identifiés pour tout. Ils sont sur tous les projets, changent de poste avant de l’avoir assimilé, sont exploités jusqu’à la dernière goutte. Cette sur-utilisation est hyper fréquente. Elle révèle l’impuissance managériale à développer le reste des équipes et qui finit par faire porter à très peu de gens les efforts que l’on n'arrive pas à obtenir des autres. Je suis atterré des efforts que l’on demande à nos super collaborateurs, et souvent le sacrifice managérial qu’on exige d’eux.

Identifier quelqu’un comme un potentiel est souvent un cadeau empoisonné. A tel point que nous commençons à croiser des jeunes gens qui refusent ces programmes pour préserver leur vie privée et leur santé.

2. Le téléguidage

L’autre écueil du management des potentiels est qu’on leur demande très peu leur avis. Sous prétexte que c’est une bonne nouvelle et une marque de reconnaissance si évidente, on décide pour eux les plans de carrière, de formation. On les change de poste sans leur demander leur avis. Le HiPo est un produit que l’on bichonne, que l’on protège et finalement que l’on éteint parce qu’on a décidé qu’on savait ce qui était bon pour lui. Mais s’il veut prendre son temps ? Progresser moins vite pour consolider ses savoir-faire ? Et bien, il est taxé de manque d’ambition, voire d’ingratitude. Sauf que ce potentiel semble avoir plutôt bien géré sa vie jusque-là… Pourquoi ne pas lui faire confiance.

3. le sevrage

Enfin si on entre dans les systèmes HiPo, il faut bien qu’on en sorte. Cette sortie est souvent difficile parce que l’on perd l’attention et le bénéfice des programme évidemment. Aussi parce qu’on est renvoyé à notre âge. Ce n’est probablement pas l’effet le plus fort mais il ne faut pas le négliger. Ce n’est pas parce que vous vous êtes occupé 2 ans de quelqu’un qu’il sera motivé et fidèle pendant des années. Vous pourriez même avoir la désagréable surprise d’apprendre un départ quelques mois après la sortie du programme… Ingratitude ? Peut-être. Retour au réel ? Sûrement.


On perd partout

Ce mouvement de management vers l’hyper valorisation des meilleurs, en plus de ne pas profiter à la majorité des gens et souvent même pas aux bénéficiaires, est en plus une absurdité fonctionnelle.

Elle nie le fait que dans 99% des entreprises, la valeur ajoutée est le fait d’un très grand nombre de gens, imbriqués intelligemment. La synergie des actions, la transversalité, la réactivité et l’écoute entre les équipes sont bien plus contributrices à la valeur que l’excellence d’un seul.

Orienter tant d’efforts et d’argent sur si peu de gens est un non-sens quand on pense que ce sont les 90% de gens normaux qui font les performances extraordinaires d’une organisation.

Alors si vous devez revoir votre programme HiPo, qu’il soit ouvert à tous, et notamment à ceux qui ont envie de progresser, sans condition de prétendue intelligence, rapidité ou talent.

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