A l’approche de la fin d’année, il faut faire les bilans de 2015, et dans peu de temps, il faudra présenter ses voeux et lancer 2016… Que dire ? Facile, il faut donner du sens !
Cette injonction est en train de devenir l’une des plus impossibles de toutes, tant les incertitudes sont nombreuses, et les décideurs nombreux, éloignés, variés.
Comment faire ?
Un besoin primaire
Donner du sens reste un besoin primaire de l’humain, quel que soit le contexte. Contrairement à nos voisins animaux, pour qui la stricte survie de l’espèce est le but, l’humain a conscience de son existence et de sa finitude… Du coup, s’il supporte (parfois difficilement) l’idée de la mort, ce n’est que parce qu’il a le sentiment que son existence a un sens. Et du coup, il cherche à « se sentir utile », à travers sa famille, son activité associative, religieuse, sportive, et évidemment professionnelle.
L’absence totale de ce sentiment d’utilité, même modeste, s’appelle la dépression.
Bref, dans leurs journées de travail, vos collaborateurs ont besoin de comprendre que leurs actions sont utiles à quelque chose… Que ce soit un projet collectif gratifiant, une utilité concrète évidente, ou un plaisir à faire ensemble. C’est pourquoi il faut « donner du sens ».
S’il ne trouve pas cette clef, alors l’utilité du travail n’est mesuré qu’à travers le salaire : le salaire est ce qui permettra de réussir plus vite et mieux ce pour quoi on a envie de se sentir utile ailleurs.
L’objectif n’est pas le sens
On l’a déjà dit à de nombreuses reprises, la rentabilité, le chiffre d’affaires ne peuvent être le sens. Ils sont la définition de l’entreprise, pas sa raison d’être.
Un peu comme si on était fier de sa voiture parce qu’elle roule…. La voiture peut avoir du sens parce qu’elle permet de nous conduire quelque part (sa destination), ou parce qu’elle procure un plaisir quand on l’utilise (sa charge émotionnelle). Mais le fait qu’elle roule n’est que sa définition.
Pour l’entreprise idem. Elle doit gagner de l’argent ok. Mais ce qui fédère peut être ce qu’elle crée pour la société (sa destination) comme les frères Wright au moment de l’invention de l’avion. Ça peut être aussi le plaisir qu’elle procure (sa charge émotionnelle).
Bref, animer les objectifs (coûts / CA / qualité / etc…) comme s’ils donnaient du sens c’est la meilleure façon de mettre vos interlocuteurs en position de rouages et pas d’acteurs, c’est donc l’inverse de l’utilité au sens psychologique du terme.
Seulement, l’utilité se dilue
Si les objectifs ne remplissent pas la mission de donner du sens, il faut donc bâtir une ambition ! C’est bien gentil, mais dans notre monde ô combien incertain, et avec des entreprises aux contours complexes et aux organisations parfois obscures, ce n’est pas si simple.
Dans un grand groupe français, l’IT devient officiellement une BU, mais ne peut décider de ses règles RH par exemple….
Dans un groupe américain globalisé, le Président de l’entité légale France se voit dicter des éléments d’organisation très précis….
Dans un point de vente luxe en France, la croissance est de 60%, mais sans que les équipes n’y soient pour grand chose : c’est le flux de touristes chinois qui écrase tout.
Bref, les marchés sont mondialisés, et difficiles à anticiper ; les décisions sont éclatées et hyper rationalisées ; les règles de compliance rigidifient les structures.
Pour un manager opérationnel, donner du sens devient une difficulté quasi insurmontable. On lui demande d’être stratège, d’avoir une vision… Mais bien souvent, ceux qui passent ces commandes sont incapables d’en avoir une eux-même, et se contentent d’animer les objectifs en faisant semblant de croire que « si c’est bon pour l’entreprise, c’est bon pour vous ».
Or soyons honnêtes, la redistribution des bénéfices est rarement suffisante pour justifier ce précepte, et les décisions souvent drastiques sur les coûts rendent la formule carrément mensongère.
Bref, le mal de la décennie si ce n’est celui du siècle en management, est qu’il paraît de plus en plus difficile de nourrir le besoin d’utilité de l’Homme par le travail… Et c’est une révolution, car c’est par le travail que l’humain se définit depuis des millénaires.
La solution c’est le Comment
Si vous êtes manager et que vous avez envie de dire « où on va ? », ou qu’on vous demande de le faire, la principale solution est de bâtir une ambition sur le COMMENT.
En gros « Quelle que soit la destination, voilà comment j’aimerais que nous nous y rendions »
C’est un peu la logique BIC. Peu importe ce qu’on produit, pourvu que ça soit simple. Et on se retrouve avec des briquets, des planches à voile, des stylos et des rasoirs, tous devenus intemporels, et en dehors des effets de mode.
En management vous pouvez faire la même chose : « Je ne sais pas ce qui va nous tomber sur la tête ni exactement où nous irons dans 3 ans, mais en tous cas, je suis sûr que nous devons évoluer vers tel type d’interactions ».
Concrètement, une équipe que nous accompagnons fonde désormais sa cohérence sur sa capacité à accompagner les autres, fluidifier la matrice, influencer sans forcer, bref être l’huile dans les rouages du matriciel. Avec une telle ambition, on voit bien que l’équipe peut absorber toutes les décisions, et il est clair que la capacité dont elle veut se doter va grandement simplifier la vie de tout le monde, dans et en dehors de l’équipe.
Autre exemple, dans un grand magasin, le directeur va désormais diminuer drastiquement son animation CA et rentabilité, pour se concentrer sur la façon dont les gens vont vivre ensemble, avec les clients.
Vous trouvez que c’est un pis-aller ? Peut être. Mais d’abord, comme le sens sur le "Quoi" est impossible dans bien des cas, c’est toujours mieux que rien. Surtout, nous ne sommes pas certain que le fait de travailler le comment ne soit pas au contraire un levier plus fort et plus moderne que le "Quoi" .
Plus fort parce qu’il contribue davantage au développement de chacun et à son adaptation au monde qui l’entoure.
Plus moderne parce que travailler sur le comment permet plus de co-construction, et renforce l’idée de mission, chère à la soi-disante génération Y, et qui s’étend en fait à toutes les catégories d’âge.
Et donc l’individu reprend le pas sur le collectif
Pour conclure, on ne peut raisonner chiffres en permanence, tailler dans les coûts sans cesse, et s’étonner que les salariés soient moins fidèles ou motivés.
Autrefois, et jusqu’aux années 80, la grande histoire d’amour entre un salarié et son entreprise était possible parce que sauf accidents assez rares, cette aventure durait 40 ans. De fait, la sécurité de l’emploi existait et l’on était un « Peugeot », un « Michelin » ou un « France Telecom ». Aujourd’hui Peugeot est devenu PSA, a fermé je ne sais combien d’usines et a réduit toutes les autres. Des carrières se sont réorientées, on est passé chez Renault, à La Poste, ou ailleurs. Mais il fallait bien que le constructeur s’adapte à son marché.
Donc plutôt que de regretter le temps où l’entreprise était une famille, extrêmement réglementée mais fidèle et chaleureuse. Il est temps de comprendre que l’entreprise est désormais une pourvoyeuse de missions pour Hommes libres. Missions plus ou moins longues, que l’on enchaîne ou pas et dans lesquelles le collaborateur doit à chaque fois s’enrichir.