Nous sommes nombreux à nous considérer francs et pourtant, il nous arrive à tous de repenser à des vérités non dites. Sommes-nous des hypocrites ?
J’espère que non et en tout cas, je n’ai pas envie de l’être. Mais la franchise c’est dur et ça peut nécessiter une approche particulière. Voyons laquelle...
La franchise est essentielle pour collaborer
Nous sommes presque tous d’accord pour dire qu’un système ne fonctionne pas sans franchise. Peut-on envisager une collaboration saine fondée sur le mensonge ? Imaginez-vous devoir reconsidérer tous les propos en permanence par peur (ou conviction) de mensonge. De même, pensez à cette personne qui cache toujours ses intentions réelles, exagère en permanence ses hauts-faits ou masque ses erreurs. Vous en avez une en tête et vous soupirez ? Moi aussi.
Si bien que ce bon vieux Kant considère qu’on ne devrait mentir sous aucun prétexte pour une réelle bienséance. Pas du tout extrémiste le bougre...
Mais l’idée est là : sans franchise comment faire confiance ? Comment aider un collaborateur sans lui dire honnêtement où il peut progresser ? Comment faire évoluer une posture sans pointer les bons axes d’amélioration ? Comment aider votre oncle sur son horrible bœuf bourguignon si vous prétendez l’avoir adoré ?
Mais c’est dur, alors ça en devient rare
Mais si nous sommes nombreux à être convaincus de sa nécessité, nous le sommes aussi de la difficulté de l’exercice.
Vous avez peut-être déjà entendu parler de l’idée de « la collection de timbres » ? Cette idée selon laquelle une personne qui aurait un feedback, un désaccord ou une frustration ne l’exprimerait pas à l’instant T puis accumulerait ces non-dits et finirait par exploser contre un de ses collègues et lui reprocher tous les timbres précédents. Le dit-collègue, ne l’ayant pas du tout vu venir, se plaindra alors : « Mais pourquoi n’as-tu pas été honnête plus tôt ?? » Effectivement, pourquoi ? Pourquoi c’est si dur ?
C’est dur parce qu’on a peur. Peur des réactions. Peur que ce ne soit pas le moment. Peur de ne pas être légitime à donner son opinion. Peur des représailles. Peur d’être exclu. Peur de blesser tout simplement. A tort ou à raison, on associe parfois la franchise au conflit. Parce que les moments où l’on a du mal à être franc sont des moments où cette honnêteté peut être mal reçue. On a généralement moins de problèmes pour dire que le plat était délicieux, ou que le travail rendu était excellent. Encore qu’on a peut-être tendance à l’oublier aussi. Et on peut y voir un lien : si on ne dit pas ce qui est difficile ou en deçà des attentes, comment dire c’est qui est bien ou mieux ?
Mais si on a si peur, c’est qu’on risque peut-être de s’exclure. Auquel cas, c’est peut-être à raison ?
Il peut y avoir de bonnes raisons de ne pas l’être
Comme toute vertu, utilisée à tort et à travers, elle peut devenir néfaste et la difficulté de l’exercice peut signifier qu’il ne faut pas toujours foncer tête baissée. Cette fameuse intuition, qui rend la franchise si ardue peut en être un indicateur. Elle n’a pas toujours tort et ELLE, elle est franche à tout moment.
Alors non, n’allez pas mentir comme des arracheurs de dents… Mais il arrive de vouloir être honnête pour les mauvaises raisons ou aux mauvais moments.
Les personnes se targuant d’être trop franches ou n’ayant aucun problème à exprimer les vérités difficiles peuvent être violentes. Vous en connaissez sans doute. Celles qui, sous couvert d’honnêteté, se permettent de flirter avec l’agression verbale. Elles n’ont pas peur, elles. Peut-être que de temps en temps elles devraient…
Elles devraient parce que de temps en temps, la franchise n’apporte rien et n’est même qu’un prétexte pour blesser. Annoncer à un de vos collègues que vous trouvez son bébé répugnant n’aura pas d’autres impact que de le heurter. Votre manager a peut-être une coupe de cheveux que vous trouvez franchement ridicule mais ça ne l’aidera pas à améliorer sa posture managériale. A quoi bon être franc ici ?
On peut aussi vouloir l’être pour se venger d’une remarque (honnête) qu’on aurait mal prise. Là encore, on peut se demander si la franchise a pour vocation d’aider l’autre ou si elle n’a que pour objectif de nous soulager. D’évacuer une frustration. Se questionner sur l’objectif derrière le partage du message peut aider pour savoir si c’est la bonne chose à faire ou non. « A quoi bon être franc ? »
Mais comment faire quand on doit l’être ?
Parfois, on conviendra qu’il faut l’être. Il faut l’être parce que le message peut aider un collègue. Il faut l’être parce que s’épargner la difficulté d’être franc, c’est se passer le message qu’on n’est pas capable de la surmonter, et la prochaine fois sera encore plus difficile. Il faut l’être parce qu’en voulant éviter de blesser un collaborateur on peut lui laisser des œillères qui rendront son travail encore plus difficile. Parfois il faut l’être parce que le bœuf bourguignon de votre oncle est VRAIMENT IMMONDE. Parfois il faut l’être parce qu’avoir peur peut ne pas être une raison suffisante.
Alors on se doit d’être franc, pour nous même et pour autrui.
Si c’est difficile pour vous, dites-le ! Cela facilitera la réception de l’information par le destinataire. Être franc, c’est aussi l’être sur soi-même. De la même manière, ce petit exercice qui consiste à se demander pourquoi on pense qu’il est important de l’être à cet instant peut être intéressant à partager. Là aussi, on partagera sa gêne, on sera honnête sur son propre ressenti, on déclenchera l’empathie de la personne en face de nous et on agira en faveur d’une ambiance et d’une confiance nécessaire à une franchise efficace.
Et si c’est difficile c’est aussi peut-être que le cadre n’y est pas du tout propice et on peut travailler dessus pour favoriser la réception du message. Peut-être que votre entreprise n’a jamais facilité les retours réguliers et que cela aiderait les 2 partis ? Peut-être que vous n’avez jamais créé de relation en amont avec votre collaborateur et que, sans utiliser cela pour se défiler, un autre collègue aura plus de succès dans l’exercice pour éviter un dialogue de sourd et donc permettre l’amélioration voulue ? Peut-être qu’un peu d’humour, sans pour autant l’utiliser pour brouiller le message, rendrait l’atmosphère plus légère et vous aiderait aussi bien-vous que votre interlocuteur ?
Malheureusement, l’exercice ne deviendra jamais une partie de plaisir mais la grande méchante franchise paraitra surement un peu moins effrayante et avec un peu de chance, le bœuf bourguignon de votre oncle un peu plus comestible.