Albus Conseil
 LE MAGAZINE

Perdez la mémoire pour mieux manager !

Perdez la mémoire pour mieux manager !
Perdez la mémoire pour mieux manager !

/Interroger sa posture managériale

A l’époque où on parle de droit à l’oubli numérique, c’est-à-dire qu’on demande à des machines d’oublier ce qu’elles savent sur des personnes, il serait peut-être temps d’évoquer le droit à l’oubli pour les managers !

Et même bien plus que le droit, car c’est finalement une question d’hygiène managériale que d’oublier ce qui n’est pas utile à l’efficacité collective ou à l’accomplissement de sa vision.

Dans un contexte de surabondance d’informations et de psychose de la traçabilité, il paraît nécessaire sinon vital de prendre le temps d’oublier.


Mais prenons d’abord le temps d’examiner ce phénomène… 

Ce qu’il y a, c’est que deux facteurs viennent se combiner à cette surabondance d’informations, et ils complexifient la problématique. 

Déjà, on baigne au quotidien dans l’injonction à la performance : « Il y a plus d’infos à traiter ? Eh bien traitons-en plus ! »

Et puisque cette abondance d’informations est un changement dans notre environnement, il faut suivre le mouvement, vu qu’aujourd’hui, si on refuse de s’adapter au changement, on meurt ou on passe pour un vieux con !


Alors, pour être au top, que faire ?

Apprendre à tout retenir, tracer et traiter de peur de louper l’information qui fera la différence, qui permettra de prendre la meilleure décision possible ?

Ça paraît délirant, mais le danger c’est qu’aujourd’hui nous sommes dans une époque où ça paraît possible. 

Quelles données sont vraiment utiles, et quelles décisions je vais prendre selon quels critères après avoir consulté tout ça ? 

Avec le big data par exemple, on stocke un nombre de données incalculable. On a tous des tas d’applis qui nous permettent de tracer ce qu’on mange, ce qu’on dort, ce qu’on bouge, le nombre de calories prises, dépensées… Aussi ce qu’on a à faire, les idées qu’on a, les trouvailles de restos, de bon vin, ou paramétrer les sujets sur lesquels on veut recevoir des informations, des mises à jour… Bref, on pourrait enregistrer l’intégralité de notre vie aujourd’hui si on le voulait ! ou encore passer notre temps à nous informer avec toutes les données disponibles en open source. 

Ça paraît séduisant, comme ça, sauf que pendant qu’on fait ça, on ne vit pas, et une fois qu’on a fait ça, si on veut que ça serve à quelque chose, il faut prendre le temps de revenir sur ces données et en faire quelque chose ! C’est bien ça le problème. C’est que pour « manager » toutes ces données, ça prend du temps et de la réflexion en plus. Quelles données sont vraiment utiles, et quelles décisions je vais prendre selon quels critères après avoir consulté tout ça ? 

C’est d’autant plus problématique qu’aujourd’hui la frustration n’est plus à la mode, tant nous baignons depuis des années dans une culture de l’illimité, qui ne nous oblige plus tellement à nous mettre des limites.

J’assistais l’autre jour à une conférence débat sur le big data et j’étais stupéfaite des échanges entre les responsables IT pour la plupart de grands groupes... Pas stupéfaite d’entendre qu’ils étaient très rôdés sur la collecte de données, que tout était tracé, qu’ils ne perdaient aucune des infos auxquelles ils pouvaient accéder… Mais vraiment stupéfaite d’entendre toutes leurs questions sur le : que fait-on de ces données ? Comment on choisit les données à exploiter et comment les exploiter ? ça donnait l’impression que les entreprises avaient investi des sommes astronomiques sans idée claire de ce qu’elles allaient faire de toutes les données stockées ! Sans stratégie, comme si c’était juste la course de celui qui a le plus de données ! 

C’est comme avoir accès à la mine d’or et ne pas avoir de piolet pour en extraire les pépites… 

Cette volonté de conserver l’exhaustivité des données, ou d’utiliser cet accès illimité aux informations on le voit, mène très facilement à la noyade. 

En effet, on est tellement submergé par la quantité qu’on n’arrive plus à prendre le recul nécessaire pour faire de la qualité. C’est d’autant plus problématique qu’aujourd’hui la frustration n’est plus à la mode, tant nous baignons depuis des années dans une culture de l’illimité, qui ne nous oblige plus tellement à nous mettre des limites. Donc, savoir se frustrer et choisir les données ou informations qui nous ont vraiment importantes devient quasiment impossible. 

C’est comme avoir accès à la mine d’or et ne pas avoir de piolet pour en extraire les pépites… 


Dommage.

Si on élargit la réflexion au fait de vouloir garder en mémoire au maximum les éléments de notre quotidien, il est intéressant de regarder l’épisode 3 de la saison 1 de la série Black Mirror. Dans cet épisode, on suit l’histoire de Liam Foxwell, un jeune avocat à la recherche d'un emploi. Comme presque tout le monde, il a une puce implantée derrière l'oreille qui lui permet de stocker ses souvenirs et de les rediffuser quand bon lui semble. Et quand il se prend à douter de la fidélité de sa femme, il utilise donc les images en sa possession pour enquêter sur ce supposé adultère et confronter les deux amants.

Cette abondance d’informations et la facilité à les tracer, c’est tellement séduisant qu’on en devient addict. 

Cet accès à une mémoire artificielle et exhaustive, loin de faciliter les relations vient ici accentuer la méfiance et consolider la place des événements douloureux. Car, comme l’esprit humain est habitué de longue date à se concentrer sur ce qui est mauvais et dangereux (vestiges de l’instinct de survie !), il se concentre à revoir, revivre ces instants et entretenir le doute, la méfiance, la colère… Et vu qu’il y a un accès illimité, ça fait des dégâts !

Cette abondance d’informations et la facilité à les tracer, c’est tellement séduisant qu’on en devient addict. On le voit, qui réussit encore à résister aux notifications de son téléphone, ou à prendre mille photos à chaque instant et que l’on ne regardera sans doute jamais ? Il manque souvent derrière ces pratiques qui en soit n’ont rien de honteux, un objectif, une vision de ce qu’on va faire après avec ces éléments…

Et ce constat sociétal s’applique aussi au management. En tant que manager, on subit les mêmes causes et les mêmes conséquences pour soi et pour ses équipes.


Alors que faire ?

Et si la solution, c’était finalement de perdre la mémoire ? Oui, perdre la mémoire pour mieux manager !

Perdre la mémoire, c’est avant se donner l’opportunité de poser un regard neuf sur les situations et les personnes. Et en tant que manager, la façon dont on pose son regard sur les choses est déterminante. Oui, parce que pour prendre des décisions, arbitrer, c’est d’abord à partir de sa vision que l’on part.


Oubliez les moments de tensions !

Et pour ça, en préventif, il faut déjà dire assez vite à vos collaborateurs quand quelque chose ne vous plaît pas ! Sinon, gare au carnet de tickets ! ça permet de passer à autre chose et se concentrer sur ce qui est important maintenant. Et si vous choisissez de ne pas en parler, c’est à vous d’assumer, et de passer à autre chose. Oubliez ! De temps en temps, imaginer qu’on rencontre son équipe pour la première fois, prendre du recul ça fait du bien ! A soi et à son équipe !

 

Oubliez les positions ! 

Perdre la mémoire, c’est aussi avoir en tête que les positions des uns et des autres évoluent dans le temps. Parce qu’un allié ou un opposant, ça n’a de sens que sur un projet précis et à un instant T. Donc oublier la posture de ses collaborateurs sur le projet d’il y a 6 mois, c’est une question d’hygiène, pour permettre de démarrer sur de bonnes bases pour le nouveau projet. Et aussi avoir de bonnes surprises !

 

Oubliez les process !

Parce que ça fait du bien aussi la souplesse. Alors oui, il y a des éléments sur lesquels on ne peut pas déroger, comme la sécurité par exemple, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas autour des espaces où la souplesse peut se distiller à juste dose. Regardez à nouveau les grands aspects métier dont vous êtes responsable, et demandez-vous « pourquoi on a toujours fait comme ça ? ». Oublier, c’est laisser la place à une saine interrogation de ce qui se fait, dans le but d’améliorer le système.

Au final, ne trouvez-vous pas que ça paraît paradoxal de vouloir retenir le passé et le présent alors que le futur est en construction ? Bien sûr, il ne faut pas tout jeter, ce serait totalement inconscient. On apprend aussi du passé, c’est évident. Mais il est important d’avoir en tête ceci : si on choisit de garder en mémoire, d’imprimer le passé ou le présent, il faut le relier avec le futur. Au final, les éléments du passé, les données, les informations sont des outils, et ils deviennent utiles quand on leur donne du sens et qu’on les utilise dans le cadre d’une stratégie cohérente. 

Avant de décider de garder une info, demandez-vous en quoi elle sert votre projet futur.

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