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Manifeste pour l'entreprise apaisée

Manifeste pour l'entreprise apaisée
Manifeste pour l'entreprise apaisée

/Liberté et bonheur au travail

Stress au travail, empreinte carbone, sur-consommation… Et si on était en train d’assister à la fin de l’entreprise telle qu’elle a triomphé… Et si les espoirs trop souvent déçus de la bienveillance, de la liberté, de la culture du feedback s’expliquaient par le fait que ces démarches cherchent en fait à préserver un système déjà moribond… Et si était venu le temps de l’entreprise apaisée ?


L’entreprise apaisée, c’est la fin de la fuite en avant

Je n’ai jamais entendu parler d’un modèle d’organisation de l’entreprise qui ne visait pas la performance. Même l’entreprise libérée, qui me séduit jusqu’ici, est un pari de la performance par la responsabilisation.

Pourtant la croissance pose question d’un point de vue environnemental autant qu’elle interroge sur la place de l’individu là-dedans : dans les systèmes productivistes, communistes ou capitalistes d’ailleurs, l’individu est rapidement réduit au rang de ressource, de facteur, compensé par la possibilité de consommer en occident, et brimé tout court dans les systèmes soi-disant humanistes qui se réclament du collectivisme (d’où leur déclin inexorable probablement). 

Imaginer une entreprise apaisée c’est laisser tomber la croissance comme objectif en tant que tel. Elle peut être là dans certains cas, absente dans d’autres. En tous cas, la croissance doit devenir ce qu’elle aurait toujours dû rester : la conséquence d’un travail de qualité, obtenue après un juste effort, suffisant pour donner la sensation d’exister et alimenter le besoin de fierté individuelle, vitale à chaque humain. 

Plutôt que la croissance, on rechercherait l’équilibre année après année.

Dans laquelle la réduction des coûts serait remplacée par la réduction de l’empreinte

 Parce que l’un des grands facteurs de stress dans les entreprises c’est la recherche de gains marginaux en réduisant les coûts. Mais cette démarche de réduction permanente des coûts, violente pour les individus, a 2 bénéfices importants dont on parle peu et qu’il faut conserver :

  • Elle pousse à l’ingéniosité, stimule les esprits, fait évoluer les organisations et les empêche de s’encrouter.
  • Elle est très souvent une économie de ressource, et donc souvent un progrès écologique.

Justement, l’entreprise apaisée doit l’être avec son environnement. Il me semble donc que l’obsession des coûts peut être petit à petit remplacée par l’envie de consommer mieux, de produire mieux. Et bien sûr, il y aura parfois des emplois détruits dans l’entreprise apaisée parce que le progrès humain, y compris humaniste et écologique continuera à appeler la mutation des métiers, à entrainer le déclin de certaines activités au profit d’autres.

Inventer les façons de produire sobrement est une source d’ingéniosité sans fin, et la promesse de victoires aussi satisfaisante que de piquer un marché après une vilaine guerre des prix.


Douceur managériale, modération salariale

Apaisée évidemment veut dire que l’on prend plus le temps. Le temps pour progresser et apprendre. Il faut probablement renoncer aux promotions mitraillettes tous les 18 mois. Apprendre, progresser, développer les autres et améliorer les produits prend du temps. Trop souvent l’hyper stress est engendré par une promotion qui arrive trop vite, ou par une promotion trop désirée, trop tôt. 

Alors si l’on remet du temps long dans le management, il faudra aussi ralentir le rythme de l’augmentation des salaires. Mais n’est-ce pas cohérent de toutes façons avec la nécessité de moins consommer ?

Apaisée veut dire aussi une entreprise plus souple, moins in or out. Trop de stress pour préserver une position où on ne se sent pas bien. Il faut désacraliser la sortie. Apprendre à manager densément pour préparer des départs, des breaks, des retours. La vie en entreprise n’est pas un mariage à vie: on n’a pas la charge d’enfants, ou de devoir moral inconditionnel.

La vie en entreprise doit devenir pour chacun un parcours plus libre, plus varié, peut-être moins obsédé par la réussite et la nostalgie des temps anciens. Une entreprise est faite pour servir les Hommes aujourd’hui et demain.

Une entreprise apaisée doit donc laisser une certaine liberté de mouvement de décision et de débat. Non par démagogie mais pour faire au mieux de chacun et ne pas exiger une sorte de moyenne de tous.


Activité centrée sur le produit et le client

C’est l’artisan qui a finalement la clé de la modernité : une production patiente, durable, qui fait la fierté de son auteur et le bonheur de son client. Le tailleur de costume met 6 mois à réaliser votre vêtement. Le jean qui n’exploite pas les enfants et les ressources locales est plus cher mais aussi plus beau, vieillit infiniment mieux. Il faut réapprendre à ne vendre et à n’acheter qu’un jean tous les 3 ans. Un avion fabriqué trop vite peut avoir des défauts graves. C’est long de faire un bon avion. 

L’activité dans l’entreprise doit alors revenir au fondamental. A bon vin pas d’enseigne disait l’adage. Il faut ralentir les dépenses de marketing absurdes qui poussent à l’hyper consommation, revoir l’idée même de soldes et se concentrer sur la qualité de ce que l’on fait, chaque jour. Cette attitude vous amènera des tracas quand vos concurrents agiteront leurs égéries payées des millions, mais le client au final reconnaitra que votre produit est le meilleur.

 Une entreprise centrée client ne devrait pas s’épuiser dans des process complexes et des campagnes d’un autres temps. Comme l’artisan, elle devrait se concentrer sur la qualité de ce qu’elle fait.

 L’entreprise apaisée est donc soucieuse de la santé de ses fournisseurs, éviter de les contraindre excessivement sur les coûts au risque qu’ils perdent leur qualité, voire la vie.


Pacte avec les actionnaires d’un nouveau genre

Cette quête ne veut pas nécessairement dire des entreprises peu rentables. Mais 2 choses seront désormais difficiles à promettre aux actionnaires :

  • Une performance parfaitement stable et prévisible dans le temps.
  • Des niveaux records certaines années.

Il est probable qu’il faille, comme pour les salariés, chercher à séduire les investisseurs qui partagent tout ou partie de ces valeurs. Ce n’est pas illusoire tant les capitaux sont abondants en ce moment. Il est probable qu’une partie de finance solidaire, des fonds plus durables soient des partenaires de choix.

En tous cas, l’entreprise apaisée devra rémunérer ses actionnaires, avec des accords de long terme qui permettent l’ajustement d’une année sur l’autre.


Et pour y arriver, l’aventure, l’aventure, l’aventure

 L’idée de l’entreprise apaisée vous parait utopiste, inaccessible ? Réservé aux PME conçues comme ça ?

 Oui et non.

Oui c’est une forme d’utopie parce que c’est une quête infinie. On ne sera jamais 100% apaisés.

On aura toujours des démons intimes qui généreront du stress ; l’entreprise n’est pas responsable de tout. On aura toujours des coups durs, des épidémies paniques qui pèseront sur le moral et le sang-froid. Mais les progrès humains ont toujours été rendus possible par des idées, souvent la liberté, parfois l’égalité, ou encore l’harmonie.

Non parce qu’apaiser une équipe, un site est possible en commençant demain, même au sein d’un grand groupe, même dans une entreprise côtée et concurrentielle. L’entreprise apaisée doit être une quête unique et modeste, pour grands et petits, pour industriels et services, pour jeunes et vieux. Il ne s’agit pas de compétition mais d’artisanat.  

Il faut commencer par revenir aux 3 piliers essentiels de toutes discussions dans toute équipe dans toute entreprise : Le client, le produit, le salarié… Ou plutôt, dans l’ordre : le salarié, le client, le produit. Il n’y a que ça qui compte. Parler boutique, parler client et se parler. Lâchez le plus possible les discussions sur les indicateurs, forcément anxiogènes, sur les processus interne, toujours imparfait. 

Ensuite, on étirera le management dans le temps, pour regarder les progrès dans le temps long. On évitera de glorifier les équipes au moindre record (en donnant le message que les records, c’est le top) et on s’abstiendra de blâmer trop fort au moindre écart. Le management et la performance se mesure sur le temps long ; en regardant les efforts, le comment, plutôt que le Quoi, toujours malmené dans un monde aussi complexe que le nôtre.

Et puis, pour soi, on évitera de penser que le bonheur c’est d’avoir. D’avoir ce poste, ce titre, ce salaire, cette prime, cette gratification. Le bonheur c’est la vie au travail, performante, harmonieuse, qui permet de ramener à la maison des récits et des anecdotes, mais pas trop de stress et de tension. 

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