Auteur/autrice : charlie

Valorisation, la grande pauvreté Ou qui n’a pas reçu un Prix cette année ?

Les prix révèlent la difficulté à valoriser

Au-delà de l’aspect moutonnier des remises de prix qui fleurissent un peu partout, elles ont deux caractéristiques communes. D’abord elles ne récompensent que le/la meilleur(e). La plus innovante, le plus apprécié, la n°1. On aimerait tellement en voir une qui sort de l’ordinaire : l’échec le plus prometteur, l’essai non concluant le plus méritant, le presque-réussi. Non seulement ça changerait mais en plus, ça enverrait un message intéressant. 

La deuxième ressemblance, c’est leur court-termisme. Quelle que soit la période récompensée, elle ne dépasse jamais l’année écoulée. Parfois c’est pour un projet, parfois c’est le mois. C’est étonnant d’ailleurs de voir qu’un DRH de l’année ou le meilleur fournisseur ne le redevient presque jamais les années suivantes. Au bout de 20 ans, on a eu 20 fournisseurs préférés, on n’est pas très avancé… 

Au final, même si ces prix sont plus de la communication qu’autre chose et que personne n’est dupe, on se rend compte que l’on passe un temps important à mal valoriser. Pourtant, c’est important une relation client-fournisseur, l’action d’un manager ou d’un DRH, l’innovation. Ça vaudrait le coup de chercher à faire différemment.

En entreprise, c’est pareil : la valorisation est court-termiste et peu innovante

Il y a aussi des Awards et des challenges en entreprise, qui souffrent des mêmes maux que ceux que l’on voit sur Linkedin. Pour le reste, la valorisation passe par les entretiens annuels et par quelques gestes épars de célébration. Et on reste invariablement dans les mêmes registres : une valorisation des réussites exceptionnelles à l’échelle annuelle maximum. 

On reste dans les sentiers battus et on fait comme les copains.

Ça ne satisfait personne évidemment. Nous n’avons jamais rencontré un manager qui pensait en faire trop, ou même suffisamment, sur la valorisation. Très peu sortent valorisés par l’entretien annuel ou le geste de fin d’année. Personne, jamais, n’essaye d’innover sur la valorisation. 

Ce qui explique cette indigence sur la valorisation, c’est la somme des peurs qui entoure la valorisation : la peur de passer pour un manager coulant qui valorise trop, la peur du relâchement, la peur de mettre mal à l’aise les gens valorisés (si, si, ça existe). Du coup, on reste dans les sentiers battus et on fait comme les copains.

Valoriser les efforts à court terme, les résultats à long terme

Pour créer un système de valorisation efficace, il faut donc arrêter d’avoir peur et réinjecter du bon sens. Qu’est-ce qu’il est utile de valoriser sur le court terme et pas à long terme ? Les résultats, sûrement pas ; les meilleurs, pour quoi faire ? Ce que l’on attend spécifiquement à court terme, c’est de l’énergie, des initiatives, du courage, des astuces et tout ce qui montre la marche à suivre pour les autres. Ce sont donc les moyens et tant pis si les résultats ne sont pas là. Félicitons donc les essais ratés, les bonnes idées qui n’ont pas abouti, les risques pris, les erreurs bien corrigées. 

Imaginez : « voilà l’innovation de la décennie, cette idée du terrain qui, dix ans après, est toujours là et a vraiment transformé notre quotidien ».

Il faut aussi que votre système valorise les aspects singuliers de votre culture d’entreprise. Une usine dont les employés ont un état d’esprit débrouillard : pourquoi ne pas lancer les MacGyver d’Or ? Une entreprise cultive le sens de l’humour de ses salariés, pourquoi ne pas éditer les perles de l’open space ? etc. Voilà l’occasion de créer des célébrations contre intuitives, des récompenses originales, des approches plus personnalisées. 

Et puis créons des systèmes de valorisation du long terme : à 3 ans, à 10 ans même ! Là, ça a du sens de valoriser une relation fournisseur, un résultat, une démarche écologique. Imaginez : « voilà l’innovation de la décennie, cette idée du terrain qui, dix ans après, est toujours là et a vraiment transformé notre quotidien ». Ça a quand même plus de sens et de valeur. Et si cette action a été faite avant votre arrivée en tant que manager, et si la personne qui l’a proposée est à la retraite, c’est encore mieux. Cela montrera que ce n’est pas que de la comm’ !

Qui ne dit mot…. Ne consent pas

On a coutume de louer, au moins en théorie, la diversité, la richesse des avis divergents, la force du débat. C’est important bien sûr. Mais dans nos entreprises, on est aussi très souvent exposés au silence de ceux qui sont d’accord. On observe que les accords sont très souvent tacites, que l’on ne ressent pas le besoin de s’exprimer quand son avis a été donné par quelqu’un d’autre… Quel dommage !


L’opposition s’exprime naturellement, pas l’accord

Ce vieil adage de sociodynamique semble être une réalité profonde des projets : « l’opposition s’organise et s’exprime naturellement, pas les alliés » Pour les retraites, l’opposition s’organise et prend la parole, infiniment plus que ceux qui sont d’accord, pourtant nombreux. A l’exception notable du mariage pour tous, je ne me souviens pas de manifestation « pour » ; ou alors d’une ampleur totalement anecdotique par rapport à l’opposition.

Cette tendance n’est pas que française. Il y a probablement chez l’humain un instinct de conservation qui le pousse à réagir quand il sent qu’un de ses acquis est menacé. Il veut sauver un état dans lequel il a ses habitudes et qui, même s’il est passablement inconfortable, le rassure. En revanche, si le projet, l’idée émise va dans le sens de ses attentes ou de son avis, son instinct de survie reste au repos et il laisse d’autres défendre le mouvement pour lui.

Cette description est un peu caricaturale sûrement mais il me semble qu’elle correspond à ce que nous pouvons voir dans le management : vous avez sans doute vécu ce sentiment de solitude quand vous avez fait face au silence d’une assemblée que vous savez majoritairement favorable à votre idée mais qui ne le dit pas et laisse une opposition isolée prendre la parole, parfois avec force.


Et puis, la mode s’en mêle

En plus, depuis quelques années, le consensus est de plus en plus vécu comme quelque chose de mou. Les idées modérées sont moquées pour leur tiédeur. La capacité à trancher est louée.Nous sommes les premiers à valoriser les opinions différentes et minoritaires, parce qu’elles portent sûrement les innovations, les pas de côté qui vous donneront de l’avance sur vos concurrents. Ok.


Mais le consensus, c’est quand même vachement bien

Philosophiquement déjà : accorder plusieurs avis, éventuellement des centaines, c’est une noble quête. Si le processus a été ouvert, l’accord est une destination souhaitable.

De nombreux projet échouent parce que les gens d’accord n’ont pas dit qu’ils l’étaient.

Mais plus pragmatiquement, il faut bien dire qu’avec toutes ses considérations, on oublie qu’un avis positif c’est quand même un avis ; que si tu penses comme moi et que tu le dis, on sera donc 2 à le dire, et l’idée n’aura pas le même poids. Mieux, dans un collectif qui vise la co-construction et l’écoute des différentes opinions, il est indispensable, vital, que les opinions identiques s’expriment, y compris en se répétant. Non pas pour faire valoir la majorité mais pour que les opinions ne s’opposent pas sur la seule force de leur rhétorique mais qu’elles aient le poids du nombre de personnes qui la portent. 

Quelques années en arrière, quand a été construite la LGV Lyon Marseille, elle a rencontré une opposition tout à fait estimable d’exploitants agricoles de la vallée du Rhône. Respectable et digne de considération bien sûr, mais lorsqu’on a entendu l’envie de ceux qui parmi le million d’habitants de la région marseillaise voulaient être à 1h de Lyon et 3h de Paris, il a bien fallu traiter cette opinion comme la première, avec le poids que lui confère le nombre.

De nombreux projet échouent parce que les gens d’accord n’ont pas dit qu’ils l’étaient.


En management, il faut favoriser l’expression de toutes les opinions

La clé d’un débat équilibré et d’une décision saine qui engagent ceux qui la prennent, c’est pouvoir connaitre et entendre TOUTES les opinions :

  • La proposition, le constat et l’intuition initiale bien sûr ;
  • Les détracteurs, les idées concurrentes, les nuances, les désaccords profonds et superficiels ;
  • Les accords, enthousiasmes, ajouts qui appuient le projet, les validations profondes ou superficielles.

Autrement dit, il vaut infiniment mieux que tout soit exprimé clairement que de se contenter de 2/3 opinions caricaturales et difficiles à concilier. D’autant qu’en ayant toutes les opinions, plutôt que d’avoir la sensation de camps (les pours et les contres), vous avez toutes les chances de voir apparaitre une continuité, des nuances qui permettront de faire émerger un consensus sain.


Et pour ça, allez-y franco !

Mais du coup, comment obtenir ça alors que ce n’est pas naturel ? Je vous propose d’éviter la finesse : en cherchant finement à donner la parole à celui qui est d’accord avec vous, vous pouvez donner l’impression de manipuler les gens à votre profit. C’est faux en réalité puisque vous ne cherchez qu’à faire s’exprimer une opinion qui existe déjà. 

Ne prenez pas ce risque : Il est bien plus simple et efficace de présenter votre idée et de demander explicitement à toutes les opinions de s’exprimer : par exemple, vous présenterez un tableau diviser en 2 parties : « les raisons qui vous font espérer ce changement » et « les raisons qui vous font craindre ce changement ». Ce type de présentation permet de faire s’exprimer toutes les opinions sans caricature puisque chacun pourra exprimer ses 2 tendances. Et vous vous retrouverez avec les peurs mais aussi les espoirs. 

Ce n’est qu’un exemple, très animation de réunion, et il existe bien d’autres solutions, globales ou pour un moment donné. Elles passent souvent par l’écrit qui permet de différer le débat et de prendre la hauteur. A l’oral, le collectif aura souvent tendance à débattre de la première remarque (souvent négative). En procédant en 2 temps, le collectif pourra prendre conscience du tableau global et s’exprimer par rapport à cette représentation plus complète plutôt que de se concentrer sur les instincts et les réactions les plus spontanées.

Ce passage par le tableau complet ne prend pas tant de temps que ça, quand on imagine tous les non dits et frustrations qu’il évite. Investissez donc dans le temps de l’opinion libre et calme, sans polémique, et puis comptez sur l’intelligence pour traiter l’information ainsi obtenue…. 

Managers : mourez et réessayez !

Aujourd’hui, on parle de jeux vidéo et pas n’importe lesquels : la saga des SoulsBorne des studios From Software (Demon’s Soul, Dark Souls I, II et III et Bloodborne).

Les SoulsBorne rentrent dans la catégorie masochiste des Die & Retry. Le but – classique – se frayer un chemin jusqu’à la fin du jeu et battre le boss final. Sauf que dans notre cas, le chemin est un vrai cauchemar. Tout essaye d’attenter à votre petite vie : l’environnement, les monstres, les boss, les gens clairement hostiles, les gens « bienveillants » mais qui se révèlent clairement hostiles, les autres joueurs… tout.  Et surmonter ces obstacles n’est pas une sinécure.

Vous allez devoir mourir et réessayer. 

Arriver devant un boss, mourir sans rien comprendre, revenir, réessayer différemment, re-mourir sans rien comprendre, se dire qu’on n’y arrivera jamais, mourir en essayant de revenir, arriver à revenir, réessayer différemment, re-mourir devant le boss mais cette fois en ayant compris un truc, apprendre. Jusqu’à battre le boss. Et on recommence avec le prochain boss.

Qu’est-ce qui rend ce schéma si rageant ? C’est pas que ce soit répétitif, on a signé pour, c’est surtout que l’on meurt en sachant que c’est de notre faute, et seulement notre faute ! Le jeu est rageant de par sa justesse ! Et c’est pour cela qu’on y revient… parce que l’on a envie de progresser, de se surpasser, de réussir à « battre le jeu ». 

C’est cette difficulté qui rend les SoulsBorne si gratifiants.

Et pour le management ?

Si vous avez l’impression que vos équipes s’ennuient, faîtes les jouer aux SoulsBorne. Et si vous trouvez que les faire jouer à des jeux-vidéos n’est pas « très productif » alors mettez un peu (beaucoup ?) de SoulsBorne dans vos projets. 

Ça veut dire quoi ? Mettre de la difficulté, okay, mais pas seulement.

C’est aussi revoir son rapport à la réussite et à l’échec.

Accepter ce dernier et l’encourager – ça c’est dans l’ère du temps. 

Mais pour la réussite ? Les SoulsBorne ne la récompensent pas.

Pas de trésor, pas de trophée. Seulement un laconique « You Defeated ». 

Et pourtant on se sent amplement récompensé par le fait d’avoir réussi ce qui nous paraissait impossible !

Alors pourquoi pas essayer pour vos projets ? Cela demande un certain dosage difficulté/faisabilité et il est très probable que vous ne réussissiez pas à trouver le bon du premier coup. Pas de soucis. 

Mourez, réessayez.

La stratégie est morte, vive la mobilisation

Fantasmée ou redoutée, la stratégie est un sujet récurrent de conversation : qu’on ait la sensation d’en avoir une ou non, qu’on rêve d’y contribuer ou qu’on essaye de s’y soustraire, la stratégie est une notion qui semble un peu magique. Pourtant, avec l’incroyable circulation de l’information, la stratégie est moins différenciante… la vraie différence, c’est la vitesse à laquelle on l’opère.

La stratégie n’a plus sa place en entreprise

Alors évidemment, pour ne pas mettre tout dans le même sac, il faut définir la stratégie un peu plus précisément que ce qui est fait habituellement. C’est souvent un concept un peu fourre-tout, qui regroupe la vision, les enjeux, les objectifs, et les moyens. 

Pour faire simple la stratégie c’est le choix d’allocation des moyens rares (le temps et l’argent principalement).

Elle nécessite une vision bien-sûr puisque le stratège à l’origine n’est que l’exécuteur du politique : le roi décide du but de guerre et le général choisit la façon de l’obtenir (la stratégie donc).

Parce qu’elle est soumise à la vision et donc à cette injonction de rapidité, la stratégie est un art malade dans les entreprises.

Dans notre monde, la vision est un grand sujet, et ceux qui arrivent à en définir une vraiment singulière sont finalement plutôt rares. Quand une entreprise a une vision vraiment différenciante, elle peut prendre de l’avance grâce aux innovations induites par la vision. Une entreprise à vision, voire à mission est un vrai plus dans notre monde.

Mais à partir de là, tout s’accélère. Parce que rares sont les innovations qui de nos jours peuvent encore constituer une barrière à l’entrée de plusieurs années : Toyota a mis une dizaine d’années avant d’être sérieusement copié sur l’hybride (Honda a sorti une hybride 2 ans après eux, mais plus confidentielle), mais Tesla n’a pas eu plus de 2 ans d’avance sur les grands constructeurs européens pour les électriques nouvelle génération.

Bref, dans un mode si rapide, l’innovation est un atout, mais pas une garantie.

Pour la stratégie, c’est encore pire. Parce qu’elle est soumise à la vision et donc à cette injonction de rapidité, la stratégie est un art malade dans les entreprises :

  • Les leaders ne veulent pas prendre de retard sur les autres, et décrètent les changements à opérer sans se soucier vraiment des moyens disponibles (en tous cas dans les grands groupes). Le risque d’être largué est si fort que l’on met les équipes sous pression avec une menace hyper forte pour faire la même chose que les autres, vite vite vite.
  • La subtilité et la patience (vertus premières du stratège), sont étouffées sous la volatilité des consommateurs, l’impatience des marché, la peur des dirigeants

Du coup, les modes prennent le pouvoir

Dans cette précipitation, la stratégie prise en étau est totalement phagocytée par les modes : plutôt que de réfléchir à une habile manoeuvre, singulière et adaptée à chaque détail de son contexte, le dirigeant du XXIème siècle préfère souvent le confort douillet de la mode : c’est la digitalisation qui a été la grande stratégie dans le commerce (c’est fini soi dit en passant : le digital est maintenant un basique qui ne confère aucun avantage stratégique). On a eu le lean bien sûr, le matriciel et la verticalisation des fonctions d’appui, les centres de services partagés, la délocalisation, le made in France, les organisations orientées client, etc… 

Ces idées ont du bon, et contiennent de la stratégie, mais comme tout le monde les suit, elles ne contiennent en elles-mêmes, aucun avantage concurrentiel.

Et la mise en oeuvre est le dernier vrai espace de différenciation

La grande différence se fait dans la capacité à opérer la stratégie : en gros, tout le monde cherche à faire la même chose au même moment, et le gagnant est celui qui y arrive plus vite et mieux. C’est clairement l’apport de Carlos Tavarez à PSA : il a mené les transformations que cherchent à mener tous les autres constructeurs, mais y est arrivé plus vite et plus fort que les autres.

L’analyse stratégique classique à la BCG est un peu décevante, non pas parce qu’elle n’est plus pertinente mais parce que les stratégies se ressemblent énormément finalement.

La bataille se fait finalement sur la façon de les implanter. D’ailleurs, on presse le citron des équipes avec des plannings de fou et des PSE pour s’ajuster très rapidement, bien plus que pour trouver les astuces qui feront la différence pour les clients.

Évidemment, cette course effrénée sans vraiment de réflexion stratégique repose sur l’abnégation des équipes et explique probablement une partie importante de l’épuisement physique et psychologique au travail.

Pour celui qui veut remettre de la vertu dans ce monde de brutes, sans se faire irrémédiablement dépasser par tous les autres, il reste 2 options :

  • Redonner les clés de la stratégie au terrain
  • Faire éventuellement de la stratégie contre-intuitive

Redonner la clé de la stratégie au terrain

C’est la première solution qui me vient à l’esprit : puisqu’on n’a ni le temps ni les compétences pour de la stratégie entre la vision et l’action, mais que sans stratégie, on court comme un poulet sans tête, alors faisons la stratégie en même temps que l’action.

Le temps du top down est en train de se terminer philosophiquement mais aussi par pur pragmatisme.

Cela veut dire élever le débat sur le terrain en passant d’une exigence d’action et à une exigence de réflexion : « nous avons besoin d’arriver là, et je vous demande de trouver les solutions du quotidien pour le faire le mieux et le plus vite ». Le temps du top down est en train de se terminer philosophiquement mais aussi par pur pragmatisme.

Les équipes sont infiniment plus capables qu’on ne le croit de bâtir une stratégie parce qu’elles le font (en râlant) à la machine à café depuis des années…. Alors allez y les gars, essayez les vos solutions !

Faire de la stratégie contre intuitive

Mais si vous tenez à vous différencier par la stratégie, il reste un espace. Tellement simple et d’apparence bête qu’elle est rapide à concevoir et facile à expliquer.

Notre monde, c’est comme un bois dans lequel il y a des coins à champignons, de tailles variables. Mais comme notre bois est hyper cartographié, analysé, exploré, tout le monde sait où est le meilleur et y va sans réfléchir…

Mais du coup, il n’y a plus personne dans les coins moins fournis…

Mais la question si bête c’est : vaut-il mieux être seul dans un coin moyen que 100 dans un super coin ? La stratégie contre intuitive, c’est aller dans le coin moyen, et attendre tranquillou que les autres aillent se regrouper dans le super coin qui est si bien fléché par tous les experts de la terre, et relayé par des moyens de communication follement efficaces.

A tous les niveaux, le contre intuitif est une solution stratégique simple à concevoir (on fait l’inverse des autres), amusante à animer, et souvent vecteur de fierté pour les équipes.

J’avais conseillé à Virgin pour garder ses magasins physiques de multiplier par 3 le nombre de vendeurs pour un service hors norme. Au lieu de ça, ils les ont enlevés et se sont retrouvés face à Amazon sans avantage concurrentiel. Ne faut-il pas faire aujourd’hui la voiture thermique la plus économe du monde pendant que tout le monde se bat sur des batteries voraces en terres rares, et qui posent déjà des problèmes de recyclage et de production d’électricité ? Ne faut-il pas revenir en arrière sur la segmentation des tâches dans l’entreprise pour redonner aux gens le goût de leur métier ? Ne faut-il pas relocaliser les tâches à faible VA pour en faire un axe de différenciation pour des clients plus exigeants ?

A tous les niveaux, le contre intuitif est une solution stratégique simple à concevoir (on fait l’inverse des autres), amusante à animer, et souvent vecteur de fierté pour les équipes.

Alors, on attend quoi pour faire ce qui parait absurde ?

Vive le mode pompier !

Pauvres pompiers… On utilise leur image pour décrire le pire de la vie professionnelle d’aujourd’hui.

Le mode pompier, dans la bouche de tous les managers qu’on connait, c’est la frénésie, la non priorisation, le court terme au détriment du long terme. C’est faire tourner toutes les assiettes en s’interdisant d’en faire tomber une seule. Et du coup tout le monde veut sortir du mode pompier !

Et il faut bien admettre que ce mode pompier, quand il est constant, il est insupportable. Mais c’est un symptôme ! Un symptôme de notre rapport aux problèmes, qu’on voudrait tous résoudre, comme si c’était possible… Et un symptôme de notre allergie à la lenteur et à la respiration.


Mais ce mode-là, c’est tout sauf le quotidien des pompiers

Eux, ce sont des professionnels de l’urgence. Tout leur environnement est axé autour d’un objectif : les rendre merveilleux face à l’urgence. Ils s’entraînent, sont disponibles, sont managés pour ça.  

Et eux, ils sont calmes, ils sont l’inverse du mode qui emprunte leur nom. Ils ne sont jamais frénétiques. Jamais. Ils savent prioriser et, encore plus incroyable, ils savent ne faire qu’une chose à la fois…


Le vrai mode pompier, c’est la tranquillité face à l’urgence

Et ce vrai mode pompier, à certains moments, on en a vraiment besoin dans les entreprises. On devrait l’encenser, pas le décrier.  Le pompier, c’est celui qui sauve des vies : des enfants, des parents, des grands-parents. C’est de ce type d’urgences dont on parle.

Dans ces situations-là, le mode pompier, c’est extrêmement noble : c’est le moment où le courage passe au-dessus de la raison.

Ça place la barre de ce qu’est une urgence dans l’entreprise : une situation qui menace la survie, non pas des gens qui y travaillent (ça c’est un accident ou un presqu’accident), mais de l’entité, du site ou de l’entreprise elle-même. La perte d’un énorme client, d’un produit vache-à-lait, un scandale sanitaire, un retournement de marché, etc.

Dans ces situations-là, le mode pompier, c’est extrêmement noble : c’est le moment où le courage passe au-dessus de la raison, parce qu’on a des trucs à sauver. C’est le moment où on est court-termistes et on l’assume. C’est le moment où on montre qu’on sait vivre de grosses difficultés et réinventer autre chose après.


Le pompier, lui, sait pourquoi il brave l’adversité : il sait ce qu’il sauve

En demandant à tous vos salariés de se battre, vous leur demandez de sauver quoi ? Le pompier, lui, sait répondre à cette question. Et vos équipes ?

Seul le « pourquoi » permet de faire émerger 150 « pompiers » déterminés à déjouer tous les pronostics, sur un site de 170 salariés.

Quand vous leur demandez de se mobiliser malgré une incertitude extrême, au mépris de toutes les raisons rationnelles de se dire que c’est mort, vous leur demandez de lutter pour quoi ?  Il vaut mieux le savoir… Cette boite, elle incarne quoi ? Quelle idée de son marché ? Quel est son « pourquoi » ?

C’est pour ça qu’il est si dangereux de ne définir une entreprise que par ce qu’elle produit et comment elle le produit. En cas de coup dur, personne ne se bat pour un « quoi » ou un « comment ». Seul le « pourquoi » permet de faire émerger 150 « pompiers » déterminés à déjouer tous les pronostics, sur un site de 170 salariés.


Et le vrai mode pompier, c’est mettre toute l’organisation au service des héros de l’histoire

Durant l’incendie du World Trade Center, aucun sous-officier n’a demandé aux pompiers de New York de ranger la caserne, d’entretenir les camions, ou de faire l’inventaire du matériel. Si vous voulez mobiliser face à l’urgence, il vous faudra aussi alléger tout ce qui relève des affaires courantes, et matérialiser la gravité de la situation par des décisions inédites.

Comme cette manager d’une entité menacée, lorsqu’elle a dit : « Pendant les 2 prochains mois, les chiffres, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse, c’est votre engagement, vos initiatives. C’est que vous partagiez vos idées sur comment redresser la barre. C’est vos efforts, votre énergie. Du coup, durant cette période, le variable ne sera plus basé sur le CA, qui va forcément baisser, mais sur votre nombre de visites clients. Vous serez aussi dispensé de la rédaction de vos comptes-rendu de visite, et on va suspendre tout besoin de validation N+1 dans le process de remboursement de frais ».


Et pourtant, ce vrai mode pompier, on a du mal à l’activer, par peur de faire peur…

Même face à des dangers mortels pour l’entreprise, on hésite… Parce qu’en tant que managers, on veut rassurer, et du coup on minimise. On veut croire soi-même et/ou faire croire que la situation n’est pas si grave. Et surtout qu’on a des réponses, en haut… Et alors on fabrique une illusion fatale : la direction vous protège, elle prend les choses en main.

Il faut unir face au danger, plutôt que chercher à rassurer.

C’est faux ! Pour activer ce mode pompier, qui est vital dans ces circonstances, il faut pouvoir dire le contraire, il faut unir face au danger, plutôt que chercher à rassurer. Il faut pouvoir dire, comme cette même manager : « Ce n’est pas la direction qui va sauver le site. C’est un effort de tout le monde. On doit tous être pompiers dans cette histoire. La question, c’est pas de savoir si la situation est grave. Elle l’est car elle est soudaine, car elle nous privera des ressources sur lesquelles on comptait pour mener à bien notre projet stratégique, et parce qu’elle nous met à risque en termes d’emploi. Elle l’est car elle pourrait nous décourager à un moment où on va avoir besoin de l’engagement de chacun d’entre nous. Dans les prochaines semaines, on va gérer de l’urgence, on va avoir d’autres surprises. Vous pouvez être en colère, être dans la déception, l’incompréhension. Vous pouvez aussi être furieux contre moi, contre la direction au-dessus, et vous aurez vos raisons de l’être. Mais nous allons avoir besoin de l’implication de tous ».

C’est ça, le vrai mode pompier. Aussi exceptionnel, aussi courageux et aussi puissant que ça.

Et ce n’est pas la frénésie du quotidien. Cette frénésie, c’est le contraire de ce qu’incarne le pompier : c’est le mode entreprise…

Message à caractère informatif: des vidéos complètement ringardes et has been?

Nous vous invitons à voir ou revoir en ce début d’année les vidéos de « Message à caractère informatif », mini série de Canal + des années 90.

Le principe ? Reprendre des vidéos Corporate des années 70-80 (ambiance moquette aux murs, grosses lunettes et cravates king size) et les détourner pour souligner le ridicule de nos jargons, codes et procédures en entreprise.

La série se concentre principalement sur la COGIP, entreprise française poussiéreuse à l’activité floue. On y découvre « le winner », qui adore travailler avec lui-même, l’équipe adepte de réunionite qui ne sait même plus pourquoi elle participe à cette réunion, la cheffe d’entreprise qui licencie les ¾ de ses salariés du fait de la hausse de son chiffre d’affaires… Tant d’archétypes que nous retrouvons au quotidien !

Regarder « Message à caractère informatif », ce n’est pas seulement se marrer de l’absurdité des situations (« voilà, grâce à moi, vous allez épater tout le monde grâce au choix de vos crayons de couleur pour tracer les courbes »), c’est aussi prendre du recul par rapport à nos travers au boulot : et si on arrêtait de parler avec un jargon pour masquer notre mauvaise maîtrise d’un sujet ? Et si on mettait de côté les winners qui jouent solo ? Et si on assumait de ne pas être toujours au top de la motivation et d’avoir parfois envie de glander à la machine à café ?

Dis-moi comment tu gères l’agent d’accueil, je te dirai quel manager tu es !

C’est l’un des scandales les plus admis de la vie en entreprise : la gestion des postes considérés comme subalternes : agent d’accueil, assistant, cantinier, agent de sécurité, etc. Pourtant, le bon management de ces postes n’est pas seulement une question d’éthique, c’est une question stratégique que de nombreux managers oublient comme on rate un éléphant dans un couloir…


Nous faisons face à une négligence, parfois à une discrimination

Nous n’allons pas faire un classement des discriminations en entreprise, mais nous pouvons affirmer sans peine que la discrimination sociale que subisse les métiers dits subalternes en entreprise est probablement l’une des plus répandues et des moins combattues.

Qui valorise l’agent d’accueil qui accomplit sa tâche avec brio, c’est quoi d’ailleurs être un brillant agent d’accueil ?

Pourtant, qu’ils soient des salariés ou des prestataires, les métiers de l’accueil, de l’assistanat et des services internes sont lourdement déconsidérés. Leurs postes ne sont pas toujours clairement définis (un assistant est parfois considéré comme une petite main plus que comme un poste à part entière), leurs salaires progressent moins vite, leurs évolutions de carrière sont souvent inexistantes.

Et cela va plus loin… au-delà du salaire, c’est la valorisation au sens large de ces collaborateurs qui est oubliée. Qui valorise l’agent d’accueil qui accomplit sa tâche avec brio, c’est quoi d’ailleurs être un brillant agent d’accueil ? Là encore, le fait que ce soit un prestataire ne change rien : son manager ne le voit pas au quotidien, ses « clients » sont parfois aimables mais ne se sentent certainement pas responsable de la valorisation de son travail.

Beaucoup de ces métiers se trouvent entre le marteau et l’enclume. Le marteau de la digitalisation et de l’uberisation qui questionnent l’avenir même de ces fonctions, et l’enclume de la barrière sociale qui crée une distance relationnelle discriminatoire.

Les manager, c’est donc déjà une responsabilité éthique

Renforcer le management de ces profils, c’est donc au moins une question de considération. Montrer l’attention nécessaire à tous les collaborateurs sans distinction, c’est envoyer le message que l’entreprise n’est pas la caricature de cynisme utilitariste que beaucoup ont en tête. Consciemment ou inconsciemment, cela marque les esprits quand un manager renvoie par ses actes l’image de « dans mon équipe, tous mes collaborateurs comptent quelles que soient leurs fonctions ». C’est vrai pour les habituels déconsidérés mais pour tous les autres aussi.

Nous voyons en ce moment une top manager, dans une des plus grandes entreprises françaises, qui est plébicitée spécialement pour son combat visant à casser les barrières entre cadres et non cadres. Et ses défenseurs les plus ardents sont aussi nombreux dans ces deux catégories.

Mais y arriver, c’est surtout un gisement de performance énorme !

Ils sont les premières personnes vues par vos équipes le matin quand elles arrivent au travail, ils organisent la venue de vos partenaires et les accueillent, ils ont parfois la main sur vos agendas, sur vos moments de convivialité, sur votre sécurité, sur votre confort, sur votre matériel… Mais non, ils ne méritent sûrement pas que nous les considérions comme des leviers de performance…

Dans le monde des consultants, il y a un adage qui dit qu’un bon assistant pourrait faire baisser la prestation de conseil de 50% (et inversement). Personne ne le fait vraiment, mais c’est pour vous dire que tout le monde semble reconnaître ce que les managers ne voient plus, l’importance de ces soi-disant « petits métiers » sur votre efficacité.

Un management qui peut être simple, mais qui n’est pas si facile

L’opportunité est forte, car c’est souvent un terrain vierge, un levier inexploité. Apprenez à vos agents à accueillir les personnes arrivant chez vous de façon chaleureuse, originale, individuelle. Intégrez votre assistant(e) à des réunions métier pour qu’il/elle comprenne mieux vos priorités du moment. Animez-les avec un minimum de considération et de valorisation pour que leur épanouissement soit visible, écoutez leurs propositions pour optimiser le temps passé à l’accueil, à la cantine, etc. Et vous verrez qu’au-delà du mieux être humain, vos actions auront un rapport effort/efficacité imbattable !

Vous n’êtes pas là pour lui apprendre son métier mais pour l’aider à se projeter, créer les bonnes conditions pour réaliser sa mission et l’aider à se fixer des objectifs réalistes et ambitieux

Au-delà de ces actions simples et efficaces, il est vrai que le management d’un assistant par un manager qui, très souvent, ne l’a jamais été dans sa carrière est un challenge. Il a donc du mal à l’évaluer, le coacher et l’accompagner malgré des ressentis sur sa fiabilité et sur sa maîtrise des outils. Ça s’arrête là et c’est un peu court.

Il faut faire comme les managers non-experts qui managent des collaborateurs experts. C’est-à-dire que vous n’êtes pas là pour lui apprendre son métier mais pour l’aider à se projeter, créer les bonnes conditions pour réaliser sa mission et l’aider à se fixer des objectifs réalistes et ambitieux. C’est simple et difficile à la fois, car il faut éviter tous les raccourcis managériaux qu’on utilise quand on connaît le métier de son collaborateur. Alors dites-vous que, déjà, vous poser la question de « comment je manage cette personne ? », c’est un grand pas de franchi !

Alerte aux managers qui ne managent plus !

On se pose très souvent la question de comment mieux manager sans jamais se poser la question de savoir si on manage tout court… Et ça ne va pas de soi car il n’est pas si rare de voir des managers qui ne managent plus.

Vous ne managez plus 

Comme Nicole, manager dans une entreprise de l’économie digitale. Elle est en charge d’une équipe de 12 jeunes pros ultra-motivés et ultra-compétents. Ses équipes portent des initiatives dans leur périmètre et parfois même au-delà ; elles sont toujours partantes pour prendre plus de responsabilités, ou pour faire des feedbacks à Nicole pour qu’elle puisse s’améliorer.

Alors Nicole, elle s’est dit qu’elle n’a pas vraiment besoin de manager ses équipes, et on la comprend. Après tout, elles sont autonomes et si quelque chose ne va pas, elles viendront la voir. Et puis ça tombe bien son équipe est très chargée, alors elle met la main à la pâte, coordonne les opérations, donne un coup de main par-ci par-là, défend le périmètre de son équipe face aux autres managers. Et ça, ça remplit déjà très largement ses journées.

Comme Nicole, et puis comme Jacques aussi, qui est chef de service dans une usine. Il gère une petite équipe de spécialistes. Ils sont compétents, mais pas bien simples à manager. En réunion, ils ont tendance à se prendre le bec plus qu’à faire avancer les projets. Quand Jacques propose des idées de projets à mener tous ensemble, ils commencent par se plaindre, par dire qu’ils sont des spécialistes et qu’ils ne comprennent pas bien en quoi ils devraient former une équipe. Après tout, ils ont des métiers assez différents. Et comme individuellement ils ne se débrouillent pas trop mal, Jacques a laissé tomber. Il gère le quotidien, qui est déjà assez lourd comme ça, traite les urgences et essaye de ne pas se laisser trop affecter, l’équilibre vie pro/vie perso, c’est important.

Ou encore comme Carole, talentueuse directrice d’usine. La production va bien, on est dans les attentes du Groupe, déjà exigeantes. Le CODIR est solidaire, compétent, mobilisé. Le dernier lancement s’est bien passé et les clients internes savent que l’usine de Carole est ok. Alors bien sûr tout n’est pas tout rose. L’ambiance sur le site n’est pas terrible, il y a toujours cette espèce de peur du changement, de conviction que même si on est performant, on n’est pas la priorité du Groupe qui n’investira pas dans l’usine.

Mais bon, l’entreprise ce n’est pas une quête de perfection. Carole n’a plus 18 ans, elle a perdu avec raison un peu de son idéalisme. Ok l’ambiance n’est pas exceptionnelle, mais la prod est faite et bien faite. Elle s’en contente.

En fait, on comprend Nicole, Jacques et Carole. À leur place on ferait probablement la même chose. Rien n’est vraiment à côté de la plaque, mais rien de ce qu’ils font ne s’apparente à du management.

Nicole, Jacques et Carol ont renoncé à manager, ils ont doucement perdu la foi, puis perdu pied.

Les effets que cela produit

Mais ça pose un petit problème quand même cette affaire. Parce que si Nicole, Jacques et Carol ont ce poste de manager, c’est bien pour une bonne raison. Et voilà ce que ça donne réellement à terme.

En management, le statu quo, c’est assez souvent synonyme de détérioration.

Pour Nicole, le risque c’est d’avoir des équipes ultra-motivées et ultra-compétentes qui n’iront pas plus loin que leurs limites individuelles. Ils vont se sentir efficaces mais pas plus. Or ce dont ils ont envie, c’est d’aller très loin. Et c’est là que doit intervenir le manager en leur permettant de se dépasser. Pour eux, le principal risque c’est la démotivation, et Nicole risque bien de perdre assez vite les meilleurs.

Pour Jacques, son risque, c’est de perdre encore plus pied. Son équipe va continuer à se désagréger. L’ambiance va s’étioler un peu plus. Des questions de sens vont commencer à se poser. À terme, il va perdre quelques-uns de ses collaborateurs qui n’ont pas que des qualités mais qui au moins sont compétents.  Et ça peut s’aggraver encore, des clans peuvent se former et il peut finir par se retrouver en dehors de ses équipes.

Pour Carole, les choses peuvent rester intactes pendant des années. Son usine va continuer à produire comme elle en a l’habitude. Ses clients internes continueront de reconnaître son expertise. En revanche si un jour il y a un changement fort à porter, comme un changement des horaires de travail, un changement de métiers que le Groupe en difficulté imposera, alors là, ça risque d’être une autre affaire. Et on sait que ces choses-là arrivent, et qu’elles peuvent être difficiles à prévoir parce que dans ces cas-là, c’est rarement Carole qui décide. Et quand Carole va devoir porter un ce projet difficile, et bien elle aura un vrai problème : elle n’aura pas de réserve d’énergie. Alors les lignes vont dérailler, et là on va regretter de ne pas avoir anticipé.

En fait en management, le statu quo c’est assez souvent synonyme de détérioration. C’est comme au tennis, si tu ne frappes pas la balle quand elle est devant toi, c’est qu’elle est derrière.

Alors par quoi on commence ?

D’abord, il faut vous poser une première question : est-ce que c’est un problème que je ne manage plus ? si je fais un petit refus d’obstacle côté management, ce n’est pas le bout du monde…

Nous on n’en est pas si sûrs justement. Parce qu’un manager qui manage moins, qui fait au lieu de faire faire : c’est une perte de sens pour les équipes. Donc à terme une démobilisation des équipes.

C’est aussi des équipes qui commencent à tourner en rond et qui ne progressent plus. Donc à terme une démobilisation des équipes.

Et c’est des clans qui commencent à se former, avec une installation des individualismes. Donc à terme une démobilisation des équipes.

En fait c’est l’histoire de la grenouille qu’on plonge dans une casserole sur le feu. Si l’eau est chaude, elle en ressort aussitôt. Si elle est froide, elle s’habitue à la chaleur qui grimpe progressivement et elle finit par mourir.

Il est vrai que reprendre la main sur son management quand on l’a perdu, c’est difficile et coûteux. Est-ce que ça vaut la peine ?

Alors là c’est à vous de répondre.

Nous, on a juste une ou deux billes qu’on retire de l’histoire de Carole : elle a ses équipes, qui produisent bien, et qui maîtrise le quotidien. C’est bien. Pour le moment…

Devenez un autre manager : investissez le contraire de votre management d’avant.

Parce que vous êtes dans une jungle, alors tant qu’il y a assez de fruits pour tous les singes, pas de problème, vous survivrez. Mais si un changement intervient, si les fruits viennent à manquer et que ça redevient la loi du plus fort, alors c’est celui qui aura été le plus exigeant qui s’en sortira. Celui qui a les muscles pour courir le plus vite, sauter le plus loin, ou crier le plus fort prendra la plus grosse part.

Et comme les changements interviennent systématiquement, sous une forme ou une autre, il vaut mieux prendre les devants.

Et si vous répondez encore oui à cette question, alors il faut réfléchir à un moyen de changer la situation. Nous, on a une astuce à vous proposer : Devenez un autre manager : investissez le contraire de votre management d’avant.

C’est comme de redonner vie à son couple. Si votre couple bat de l’aile, vous n’allez pas essayer de faire plus de ce que vous faisiez déjà. Non, vous allez tenter de faire les choses différemment. En changeant votre restaurant habituel, en changeant de destination de week-end, en essayant des attentions inattendues…

C’est pareil pour votre renouveau managérial : si votre management d’avant vous a amené à ne plus manager aujourd’hui, c’est qu’il faut changer de management.

Alors faîtes l’inverse de votre style. Vous étiez cadré ? soyez inattendu. Vous étiez visionnaire ? laissez le soin de la vision à vos équipes. Vous étiez très « prise de hauteur » ? soyez très terrain.

Et n’ayez pas peur d’être un peu caricatural dans votre posture. Vous aurez tout le temps de la réajuster.

Eddy Merckx disait : « la révolution est comme une bicyclette, quand elle n’avance pas, elle tombe ! »

Eh bien c’est pareil pour le management !

Brillant ne veut pas dire vrai

Ce mois-ci, à l’occasion de sa ressortie en DVD, nous vous recommandons de vous plonger ou de vous replonger dans « l’autopsie d’un meurtre », film merveilleux d’Otto Preminger sorti en 1959. Pour les amoureux des films de prétoires, qui aiment la tension des cours de justice, vous découvrirez une magnifique mise en scène avec des acteurs au top : Georges C. Scott, Ben Gazzarra et James Stewart en avocat brillant, rien que ça….

Et pour les amoureux de management et d’entreprise, vous serez comblés aussi : parce que on y voit des avocats brillants et des démonstrations solides mais qui ne font que nous éloigner de la vérité et de la justice. A un moment-clé, James Stewart dérape sérieusement, le juge le reprend et demande aux jurés d’oublier ce qui a été dit ; l’accusé demande à son avocat comment ils vont faire pour oublier et il répond calmement « Ils n’oublieront pas ». Une mise en scène du cynisme qui nous rappelle combien est dangereuse l’admiration béate et aveugle pour la verve et le charisme.

Dans notre temps où tout va trop vite, la prime à l’éloquence est bien trop importante, et les Zemmour, Trump ou Boris Johnson ne peuvent être contrés que par le calme et le goût de la réflexion ; par la culture et la philosophie.

Imposons autour de nous la détente et la réflexion pour éviter qu’un James Stewart des temps modernes ne nous fasse prendre des vessies pour des lanternes.

Décideurs, arrêtez de décider !

Même nos clients les plus haut placés ont le sentiment de subir des décisions qui tombent, d’encore plus haut… Aujourd’hui, vous pouvez manager 2000 personnes et ne plus oser prendre la moindre initiative par peur qu’une directive groupe vienne tout mettre par terre. À force de vouloir régler tous les problèmes par des décisions dites structurantes, on se retrouve avec des organisations qui deviennent invivables.

Les décisions, ça vole en escadrilles

Personne n’est à l’abri des décisions qui tombent. Elles tombent d’un, deux, ou trois niveaux au-dessus, au détour d’une conf call au titre vague. Elles tombent sur n’importe quel manager, qu’il ait la responsabilité de 10, 100, ou 1000 personnes… Il se connecte sans arrière pensée au call, et y découvre la nouvelle solution technique ou organisationnelle à un problème qui n’en est pas un pour lui, ou bien qu’il est déjà en train de solutionner à son échelle.

Ces décisions sont parfois efficaces mais, l’air de rien, elles envoient aussi plein de messages catastrophiques. Il y a l’embarras du choix entre « arrêtez de penser que vous avez la main sur votre périmètre », « peut-être que vous avez déjà enclenché des choses pour résoudre ce problème, mais on s’en moque », et bien sûr « on sait mieux que vous ce qui est bon pour faire fonctionner vos équipes »… 


Faut bien avouer que c’est dur de se retenir…

Si on se met à la place de celui ou celle qui prend ces décisions, il faut reconnaître que c’est tentant : je vois un problème, et comme je suis moins impliqué émotionnellement que les managers de terrain, je suis persuadé d’avoir un avis plus objectif, une vue plus globale. Et je ne suis pas à ce poste pour rien… Je suis là pour impulser, pour agir ! 

Et puis entre managers d’une même boite, en réalité, la question principale n’est pas forcément comment résoudre le problème, mais qui résout le problème ! Alors évidemment, le N+3 n’est pas forcément très intéressé de savoir que son N-2 à déjà tenté un truc qui commence à fonctionner. Il ne veut pas uniquement que le problème soit réglé, il veut que sa solution règle le problème. 

 

Chacun cherche à caser sa solution.

C’est là que le truc devient irrationnel. La logique voudrait qu’on analyse le problème pour trouver la solution. Mais c’est pas ce qui se passe le plus souvent… Ce qui se passe, c’est que les gens cherchent un problème pour appliquer leur solution préférée, celle qu’ils ont en tête pour un peu tout.

Prendre une décision, c’est déjà agir

On connait celui qui, pour chaque problème, cherche toujours à caser sa solution « mettre en place un process clair », un autre pour qui tout problème peut-être résolu par « incentiver les personnes sur leur performance sur tel critère, pour qu’ils se mobilisent davantage », un dernier qui a toujours le réflexe de « mettre le client au centre », etc. À chacun la sienne. Plus je la place, plus je suis content.

C’est caricatural ? Bien sûr… Ce n’est pas toujours vrai. Dans certains cas, c’est encore plus bête : les décisions sont prises par peur. Par peur qu’en laissant les niveaux opérationnels résoudre le problème, je passe pour celui qui n’a rien fait. Prendre une décision, c’est déjà agir. Et on veut être du côté de ceux qui agissent. On n’a pas envie de s’entendre dire « vous avez su et vous n’avez rien fait »…

Tout ça traduit une situation ignorée du bas mais bien réelle : c’est souvent dur d’être en haut… On ne voit la situation qu’au travers des chiffres, on a moins la chaleur de la relation avec l’équipe, on veut peser alors qu’on est loin, on se sent en compétition, on se sent même parfois sur un siège éjectable. Alors on agit par égo ou par peur, bien trop souvent…


Et par solution, on entend du lourd, du structurel

Comme la décision doit briller par sa capacité à créer un avant et un après, elle implique souvent des changements d’organisation ou de structure. Elle ne concerne donc pas uniquement celui qui la prend. Bien au contraire, elle impose des changements à de nombreuses personnes. 

En ce sens, ce sont des décisions qui en imposent, bien plus que des décisions qui s’imposent, du point de vue des personnes à qui elles s’appliquent. Ces personnes vivent de plus en plus dans un sentiment d’insécurité permanente, avec le sentiment que quoi qu’elles fassent, leur initiative sera recouverte par un projet groupe au nom pompeux. Elles commencent alors à s’abstenir de prendre des initiatives.

Ces décisions qui tombent fabriquent donc ce qu’elles sont censées compenser : de la passivité et de l’amateurisme.


Vous aimez le Lean ? Appliquez le Lean Deciding

Même dans une organisation moyennement grosse et moyennement complexe, les problèmes à résoudre sont innombrables. Si on cherche tous à les résoudre, c’est l’enfer. Quand différentes personnes s’y mettent sans concertation, c’est encore pire.

Sur les prises de décisions aussi, soyons Lean. Comme d’habitude, le Lean c’est dur… C’est une philosophie, une approche des problèmes qui demande la discipline de désobéir à de bonnes vieilles habitudes. Et qui demande du courage ! Le courage de s’imposer de faire avec moins… Et celui de laisser du temps au temps, plutôt que changer de cap frénétiquement tous les 2 mois.  

Cela veut dire garder en tête que certaines solutions mettent du temps à faire effet. Et ça passe par le fait de laisser d’autres que soi obtenir de belles victoires avec leurs solutions.


Décider en mode Lean, c’est jouer à « Où est Charlie ? »

Gouverner est un art difficile, non pas parce que c’est dur de trouver des solutions et de les appliquer, mais parce que c’est dur de n’en appliquer qu’une. C’est dur de s’y tenir suffisamment longtemps, de les défendre et de les valoriser, même si ce n’est pas la sienne. 

Mais c’est aussi une autre manière d’exister tout en haut. Et c’est une autre expertise de  très haut niveau à faire valoir, celle de savoir trouver Charlie : ne sélectionner qu’un seul élément, mais le bon, parmi un océan de possibilités qui sont sous nos yeux. 

ALBUS CONSEIL