Auteur/autrice : charlie

Pourquoi garder les meilleurs n’est pas une priorité

 1 mois après une réflexion sur les systèmes de Hi-Po qu’il faut selon nous proscrire, poursuivons le combat contre les idées reçues sur le management des talents ! Il le faut parce que nos entreprises sont obsédées par les pépites en tout genre, qui répondent à certains canons du moment : souplesse, pragmatisme, leadership, aisance relationnelle, « intelligence », et bien sûr résultats obtenus, âge, études… Mais a-t-on raison de tout faire pour les attirer et les retenir ? Pas sûr.

 Attirer et garder les meilleurs c’est cher….

Comme personne ne remet en question le fait qu’il faut attirer les super talents chez soi plutôt que les laisser aller à la concurrence, tout le monde se bat pour les mêmes personnes. D’autant plus que la définition de ce qu’est un talent est très normée finalement par le bruit ambiant sur le management. Il suffit de se balader sur LinkedIn quelques minutes et on a plein de critères. Je viens de faire l’exercice à l’instant et, en 4 minutes chrono j’ai gestion des émotions, prise d’initiatives, culture digitale, féminins si possible, coopérative, intelligence collective, innovante… Qui ne recrute pas le candidat qui a tout ça ? Personne. C’est donc cher surtout s’il est suffisamment jeune, mais pas trop.

Et puis, au long de leur vie au boulot, ces mêmes talents sont chassés, donc exigeants. Ils fréquentent des gens comme eux, comparent salaires et avantages, sentent souvent le parfum d’une herbe ailleurs qui serait peut-être un peu plus verte.

Et comme on ne se pose même pas la question du bien-fondé de cette course pour les pépites, on paye cher, sans challenger ce choix.


Et moins efficace qu’il n’y parait

Mais la stratégie est hautement contestable, au-delà de son prix, par les effets indésirables qu’elle induit, et les possibilités qu’elle réduit.

D’abord, elle prend comme critère des qualités objectives et effectivement efficaces en entreprise, mais néglige un peu (beaucoup) la motivation. Les talents peuvent en avoir évidemment, mais un outsider que l’on recrute, qui ne coche pas les cases peut en avoir bien plus et bien plus longtemps, justement parce qu’il ne coche pas toutes les cases. Vous savez, c’est l’effet du petit Poucet dans les compétitions sportives (coupe de France de football en tête) où une équipe objectivement moins forte renverse une équipe de stars, parce que la motivation dépasse le talent. Mais évidemment cet argument est insuffisant sur la durée, parce qu’en entreprise on a beaucoup de matchs à jouer, et pas seulement un exploit à réaliser.

Pendant ce temps, on cantonne es autres aux projets et tâches subalternes

Plus structurellement la fragilité de cette stratégie est d’induire une gradation entre les salariés (comme on l’a vu dans l’article sur les systèmes HiPo https://www.albus-conseil.com/fr/flop_67-en-finir-avec-les-hipo). Elle déséquilibre les moyens donnés aux uns vs ceux que l’on donne aux autres, bien plus nombreux. Elle concentre les projets les plus excitants et les plus formateurs dans les mains de ces pépites, pour qu’ils restent relever le défi. Mais pendant ce temps, on cantonne donc les autres aux projets et tâches subalternes. En plus, les talents, notamment quand ils sont très jeunes, veulent travailler avec des gens comme eux, parce que ça les stimule et que ça renforce les probabilités de succès et donc d’effet booster pour la carrière.

En réalité, il faudrait demander (exiger) que les pépites soient presque exclusivement centrées sur les autres plus faibles. Mais on leur demande rarement ça… Et l’accepteraient-ils ?

La recherche de talents c’est une stratégie qui omet que l’entreprise est un système plus complexe qu’un train qui a besoin d’une locomotive pour tirer des wagons passifs. L’entreprise a besoin que tout le monde tire. Et attribuer cette mission à certains c’est implicitement ou explicitement ôter aux autres la responsabilité de le faire.


Les retenir en période de changement est un calcul dangereux

Et dans la vie des entreprises, il y a des moments où cette stratégie contestable devient carrément absurde : en période de forts changements. Quand vous menez une réorganisation, un PSE, quand vous modifiez en profondeur votre stratégie. Si vous êtes à la tête d’une petite boîte rachetée par une plus grande, ou que vous rachetez une autre structure dont la taille va modifier profondément le fonctionnement de l’entreprise. Bref, si vous menez un changement important, alors, vous avez sûrement tendance à vous dire : « pourvu que les meilleurs ne partent pas ».

Ça ne veut pas dire que tous les talents vont partir, mais que vous ne maîtrisez que très peu la décision.

Mais un grand changement c’est un changement du pacte pour lequel on est rentré dans l’entreprise. Et dans ces cas là, le réflexe mécanique, pour tous, c’est que le projet individuel va temporairement et violemment prendre le dessus sur le projet collectif : « Est-ce toujours la boîte dont je rêve ? » « Est-ce le moment de donner un nouveau sens à ma carrière ? » Or ces questions, nécessaires et souhaitables dans un processus d’appropriation, vont aboutir à des conclusions qui vous sont moins favorables pour les plus hauts potentiels. Puisqu’au moment où ils vont étudier leur propre cas, ils vont aboutir à la conclusion qu’ils ont d’autres possibilités que de rester. Alors que les gens plus fragiles vont se dire qu’ils ont intérêt à s’accrocher. Ça ne veut pas dire que tous les talents vont partir, mais que vous ne maîtrisez que très peu la décision. Votre intérêt est de faire une bonne proposition sans exagération (pour garder des marges de manœuvre pour les autres) et de vous concentrer sur l’équipe du futur, ceux qui resteront sûrement pour les fédérer autour du nouveau projet.

Exemple : votre start-up à succès est rachetée par un grand groupe (vous êtes chez Chauffeur Privé racheté par Daimler par exemple) : il est probable que les super talents qui sont venus pour être grisés par l’esprit start-up soient impossibles à retenir. Ils vont donc partir. L’attitude la plus logique est donc de faire de ces départs une fête (vive ceux qui ont contribué à nos succès jusque-là et qui vont faire le bonheur de start-upeurs en devenir !) et de mobiliser votre énergie sur ceux que le monde des start-up n’intéresse pas plus que ça (oui oui, il y en a) pour faire un projet excitant pour les années à venir, avec les atouts du grand groupe.


Et parfois les faire partir fait avancer plus vite 

  Et puis, allons plus loin et rappelons notre inspirateur principal, le roi Arthur (https://www.albus-conseil.com/fr/flop_24-la-revanche-manageriale-darthur). Arthur veut le but mais pense que le progrès et le collectif sont les moyens les plus efficaces pour l’obtenir, quand Lancelot veut réunir les meilleurs pour y arriver. Arthur nous invite à regarder l’équilibre des relations plus que les records. Il nous incite à faire progresser un peu tout le monde plutôt que beaucoup peu de monde pour avoir un grand bras de levier, et surtout une pérennité des actions. Ainsi, Aimé Jacquet, arthurien iconique, n’a pas pris Cantona pour gagner sa coupe du monde, et a inspiré son disciple Didier Deschamps qui s’est privé de Benzema, pour le même résultat.

Parfois se séparer d’un talent évident, c’est libérer les énergies.

Alors quand votre équipe ne marche pas malgré de grands talents, envisagez la possibilité qu’elle ne marche pas à cause des grands talents. Parce qu’ils prennent trop de lumière et en laissent peu aux autres qui se démotivent. Parce qu’ils suscitent votre admiration qui va sembler inaccessible aux autres.

Parfois se séparer d’un talent évident, c’est libérer les énergies et redécouvrir des talents moins brillants, mais bien répartis. Vous reprendrez souvent de l’optimisme sur votre équipe en enlevant la star qui vous éblouit.


Faites vos talents, hors des normes et rien que pour vous

Finalement, la question n’est pas de se séparer à tout prix des meilleurs, ou de renoncer à en attirer un seul, mais surtout de ne pas exagérer en la matière. Pas de privilège à leur donner et l’exigence très forte d’emmener les autres avec eux. Un talent anti-collectif c’est grave.

C’est aussi une question de mesure et d’équilibre. On n’oublie pas de valoriser autant les petites victoires de ceux qui essayent que les grandes victoires de ceux qui planent au dessus de la mêlée. On n’oubliera pas de sur-valoriser un collectif qui marche ensemble vs un individu qui avance vite mais seul.

Ainsi, vous créerez vos propres talents, adaptés à la vie et aux contraintes de votre entreprise, qui vous coûteront plus en formation et en management de long terme, mais moins en course au package dans un marché hyper concurrentiel.

L’histoire du premier match de baseball États-Unis vs Japon – ou comment éviter le piège de la nouveauté

A la lecture de Transpacific Field of Dreams  de Sayuri Guthrie-Shimizu, on découvre les liens nippo-américains à travers l’histoire du baseball au Japon. Un épisode marquant de cette histoire est riche d’enseignement.

Le baseball a été introduit dans l’archipel au début des années 1870 mais le premier match nippo-américain a été joué en 1896, entre les jeunes de l’école préparatoire Ichiko et une équipe constituée d’expatriés américains, ces derniers éprouvant un vif dédain pour le niveau des Japonais.

En 1896, donc, une série de 4 matchs est jouée. Le résultat est sans appel : 3-1… pour les japonais. Cette victoire n’était pas évidente : d’un côté, des Américains sûrs de leurs compétences et de leur supériorité naturelle, de l’autre, de jeunes japonais vigoureux et volontaires, à l’esprit d’équipe exacerbé.

Mais comment fait-on triompher l’envie face à la compétence ?

C’est en s’appuyant sur le passé que les jeunes Japonais sont parvenus à créer une force inarrêtable. En effet, les étudiants d’Ichiko étaient issus d’anciennes familles de samouraïs ayant pour valeurs une ténacité à toute épreuve, un esprit de dévouement, un patriotisme et un courage sans faille. Ainsi, comme leurs ancêtres, les élèves d’Ichiko s’entrainaient-ils tous les jours, par tous les temps. Se plaindre était interdit et, lorsqu’ils étaient frappés au visage par une balle mal lancée, ils ne pouvaient dire « aïe » ou « j’ai mal » mais devaient dire : « ça démange ». C’est, sans aucun doute, ce même socle historique et culturel qui explique le beau parcours de l’équipe japonaise dans la coupe du monde de rugby … un succès encore une fois inattendu.

Vous avez un défi gigantesque à présenter à vos équipes ? Ou même simplement un projet qui semble compliqué ? Peut-être serez-vous tenté de chercher de la nouveauté pour motiver vos troupes. Mais, comme les jeunes hommes de l’équipe d’Ichiko, vous pourrez aussi vous appuyer sur l’histoire de votre groupe.

Nul besoin de toujours faire du neuf pour porter vos samouraïs vers le succès, même face à l’adversité la plus forte.

En finir avec la passivité dans vos équipes

Le grand frein au changement dans les entreprises ce n’est pas l’opposition (finalement très rare) mais c’est surtout la passivité, l’absence d’initiatives…bref ce qui ronronne !

Heureusement il existe des solutions pour en sortir ! Petit tour d’horizon dans cet épisode…

* Pour aller plus loin *

// A lire //
Sortir une équipe de la passivité
Vive les projets peu ficelés !
Si, si, le management participatif est un but en soi !

// Les extraits //
Bloqués #6 – Pourquoi t’as démissionné ?
Kaamelott : le retour du roi Livre V épisode 49

La table ronde du management est un podcast produit par Albus Conseil
Au micro : Camille Riou et Patrick Bois.
A la réalisation : Laëtitia Peyre

Éloge de la lenteur en management

Quand vous écoutez les anciens parler du monde du travail aujourd’hui, il revient régulièrement la phrase « ça va trop vite, maintenant, c’est fou ! ». On a tendance à prendre cela comme un compliment : on est plus efficace, on a accéléré…

Et s’il fallait prendre cela au pied de la lettre ? et si ça allait vraiment trop vite ? Et si on était vraiment devenu fou ?

L’optimisation sans fin

En entreprise, depuis le taylorisme, c’est toujours la même histoire. On doit accélérer, on doit optimiser, on doit réduire le « time to market », on doit chercher plus d’efficacité et de productivité. Les innovations vont toutes dans ce sens-là. Optimiser quoi qu’il en coûte.

D’ailleurs, le fait d’aller plus vite a permis de faire des progrès. Dans les transports, dans l’industrie, dans la transmission d’information notamment, beaucoup d’avancées ont été obtenues en accélérant le rythme parfois jusqu’à l’instantané.

Nous avons créé des organisations exsangues qui produisent des projets à n’en plus finir, sans que personne – ni en haut, ni en bas – s’en satisfasse

Comme souvent, c’est quand l’accélération est devenue l’unique mot d’ordre, une obsession, que les problèmes ont commencé à se poser. Quand on a brulé sur l’autel de la recherche de vitesse tous les autres enjeux : la prise de hauteur, le lien social, l’oxygénation. Nous avons créé des usines boulimiques, insatiables où les systèmes compressent le travail des hommes. Nous avons créé des organisations exsangues qui produisent des projets à n’en plus finir, sans que personne – ni en haut, ni en bas – s’en satisfasse. Nous avons créé un monde sans prise de recul où les erreurs se répètent, les femmes et les hommes s’épuisent, les progrès restent éphémères. Oui, les « anciens » ont raison, nous sommes devenus fous.

La lenteur, un ingrédient essentiel dans le travail

Étonnamment, la lenteur est devenue une tare. Rapprochée de la paresse ou de la bêtise, la lenteur est vue comme un défaut dans toutes les entreprises que nous connaissons.

C’est d’abord dû à la fascination de l’homme moderne pour la vitesse. Comme le dit Milan Kundera : « la vitesse est la forme d’extase dont la révolution technique a fait cadeau à l’homme ». Cette citation est tirée d’un ouvrage intitulé La Lenteur (Harper Perennial, 1994).

Dans ce livre, il explique que le bannissement de la lenteur dans la société moderne pose un problème majeur d’oubli. La mémoire a besoin de temps pour s’imprimer, et plus on va vite, plus on oublie. Nous le voyons tous les jours en entreprise : plus personne ne se souvient de la grande vision « Ambition 2025 » lancé par l’ancien directeur en 2015, tout le monde sait quand commencent les innombrables projets qui vont révolutionner notre vie en 6 mois mais ils ne vont jamais au bout, et on refait invariablement les mêmes actions, avec les mêmes erreurs, toujours un peu plus vite…

Jouer une partie à toute vitesse, ce n’est souvent que reproduire une partie que l’on connaît

Un joueur d’échecs ou de Go vous expliquera que l’innovation a besoin de lenteur. Jouer une partie à toute vitesse, ce n’est souvent que reproduire une partie que l’on connaît ; un artisan vous dira que la lenteur est nécessaire pour mettre en œuvre tout son savoir-faire, pour prendre le temps de penser ce qu’il fait, tout simplement. 

D’ailleurs, dans nos temps libres, nous recherchons souvent la lenteur : bricoler tranquillement, marcher sereinement, etc. Nous le faisons pour nous reposer, mais aussi parce que la lenteur fait du bien, permet à notre esprit de vagabonder et d’apporter à notre conscience des choses nouvelles, des idées différentes.

 Se souvenir, innover, développer notre savoir-faire, nous oxygéner… tout cela manque tellement en entreprise aujourd’hui !

Redonnons une place à la lenteur dans le monde du travail

Essayer de réinjecter tout cela en entreprise, c’est remettre de la lenteur et donc aller à contre-courant de la frénésie omniprésente. Ainsi, c’est d’abord un acte de courage !

Sur certains sujets choisis, la lenteur est utile voire indispensable

Pour que ça fonctionne, nous avons donc deux conseils : choisir ses combats et y aller à fond. Choisir ses combats, c’est une façon de rester compatible avec le rythme de l’entreprise dans laquelle vous évoluez. Mettre de la lenteur partout, ce serait désorienter tous ceux qui travaillent avec vous et vous y perdriez plus que vous y gagneriez. En revanche, sur certains sujets choisis, la lenteur est utile voire indispensable : un changement d’organisation, un changement de culture et plus globalement les grands enjeux humains, tout ceci nécessite prise de hauteur et maturation comme la lenteur seule peut vous en fournir.

Sur ces points-là donc, allez-y à fond dans la lenteur. C’est presque un art de manager, un modèle anti-hackathon. Il consiste à challenger à l’inverse vos collaborateurs. Par exemple, s’ils vous disent qu’ils peuvent traiter un de ces sujets en 1 mois, demandez-leur de le traiter en 6 mois mais de le commencer tout de suite.  L’un de nos clients a dit à son Codir récemment : « D’habitude, nous mettons 5 sujets-clés à l’ordre du jour d’un séminaire ; aujourd’hui, je vous propose de ne mettre qu’un sujet à l’ordre du jour des 5 prochains séminaires : notre modèle managérial ». C’est l’idée.

C’est un ajustement complet qu’il faut opérer : savoir sanctionner une action qui a été faite correctement mais trop vite, savoir valoriser la lenteur et la profondeur de telle autre, etc. Fixer un délai du type « pas avant… » plutôt que par ASAP.

Cela peut paraître caricatural mais nous luttons ici contre un réflexe très ancré. Pour réussir à être lent, il vous faudra justement être patient !

En finir avec les HiPo

High potential, talents de demain, pépites, les grandes entreprises couvent leurs superstars dans un nid douillet et s’enorgueillissent des programmes mis à leur disposition pour les accompagner vers les sommets : learning expeditions, graduate programms, postes en mission à travers le monde, formations au Costa Rica, à Shanghai ou à Londres, MBA en tous genres. On rivalise à coups de milliers de dollars pour séduire les meilleurs, et attirer dans ses filets celui dont tout le monde rêve… Mais le calcul est-il bon ?


Un calcul si évident

Si l’idée est tellement généralisée, c’est qu’elle doit être bonne ! En fait, je crois qu’elle bénéficie d’une aura liée aux satisfactions qu’elle procure à ceux qui sont concernés (organisateurs et bénéficiaires).

Officiellement le calcul est simple : on veut former les dirigeants de demain, créer un noyau dur susceptible d’entrainer le reste de la troupe et évidemment retenir ceux qui nous paraissent les plus précieux.

Mais il me semble que la vraie force des systèmes HiPo, c’est qu’ils nourrissent très fort les egos des concernés : les créateurs s’éclatent à concevoir des formations brillantes, novatrices, exotiques et peuvent enfin dépenser des budgets individuels importants qui permettent de valoriser fortement leur imagination pédagogique. Quant aux HiPo eux-mêmes, difficile de ne pas s’enorgueillir d’être identifié comme un des espoirs de la boîte ?

Mais il s’agit de vérifier qu’au-delà de ces effets, l’investissement consenti est bien au bénéfice du résultat global de l’entreprise.


Mais on perd en bas

D’abord, il faut questionner l’effet d’entrainement.

Est-il vrai que les programmes HiPo génèrent de la motivation chez les autres pour y entrer ? C’est peu probable ou si c’est le cas, c’est à petite échelle. Les conditions d’âges ou le nombre de personnes concernées, voire le profil universitaire requis sont des barrières objectives qui excluent forcément une grande partie des collaborateurs, l’immense majorité même.

Est-il vrai que la capacité managériale renforcée de ce petit nombre de managers va bénéficier au plus grand nombre ? Intellectuellement je veux bien, mais là encore, je peine à y croire dans la réalité du quotidien. Il y a d’abord une raison que je qualifierai de sociologique : en créant un groupe identifié, de petite taille, bénéficiant de conditions particulières, je pense qu’on crée plus une caste de gens qui se ressemblent et s’aperçoivent en discutant entre eux qu’ils ont plein de points communs.

Je constate qu’en réunissant ces profils, il est très rare que l’on cultive la générosité.

L’âge souvent, une certaine facilité intellectuelle, une motivation intrinsèque forte. Je constate qu’en réunissant ces profils, il est très rare que l’on cultive la générosité. On cultive plutôt de la réassurance mutuelle sur les recettes qui ont marché jusque-là. Les stars sont conduites à devenir des superstars. Ce dopage a tendance à les éloigner des difficultés des personnes « normales » et à renforcer leur confiance en eux : j’observe que les talents sont ceux qui parlent le plus d’exemplarité et évoquent leur parcours pour montrer aux autres que « c’est possible ». Sauf que les autres en question n’ont pas les mêmes atouts et les injonctions à la perfection les rebutent plus qu’elles ne les motivent.

Non je crois que les programmes HiPo ne peuvent pas prétendre à la contagion.

Plus trivialement, pour qu’il y ait véritablement entraînement, il faudrait que le nombre des HiPo soit bien supérieur à ce qu’il est la plupart du temps. On ne couvre pas suffisamment l’entreprise pour avoir un effet d’entraînement global. Même en comptant ceux qui sont déjà sortis du système en plus de ceux qui y sont à l’instant t, les dispositifs HiPo concernent rarement plus de 5% de l’effectif dans les grands groupes. Non je crois que les programmes HiPo ne peuvent pas prétendre à la contagion. Au mieux, ils musclent la capacité stratégique d’une élite mais ils ne peuvent créer d’émulation.

Par ailleurs, il est clair que la débauche de moyens pour ce petit nombre n’est donc pas disponible pour les 95% qui restent.

On perd aussi en haut

Mais le plus surprenant, c’est que nous observons que les programmes HiPo, ou même les logiques managériales visant à stimuler la frange haute des collaborateurs, est souvent contre-productive. Il y a quelques mois, nous posions la question à un codir de lister les différentes actions destinées à fidéliser les meilleurs et qui ont contribué à les faire fuir. Nous nous sommes arrêtés à 17…

Les fausses bonnes idées de stimulation des HiPo peuvent être classées en 3 catégories

1. L’essorage

Les potentiels sont très vite identifiés pour tout. Ils sont sur tous les projets, changent de poste avant de l’avoir assimilé, sont exploités jusqu’à la dernière goutte. Cette sur-utilisation est hyper fréquente. Elle révèle l’impuissance managériale à développer le reste des équipes et qui finit par faire porter à très peu de gens les efforts que l’on n’arrive pas à obtenir des autres. Je suis atterré des efforts que l’on demande à nos super collaborateurs, et souvent le sacrifice managérial qu’on exige d’eux.

Identifier quelqu’un comme un potentiel est souvent un cadeau empoisonné. A tel point que nous commençons à croiser des jeunes gens qui refusent ces programmes pour préserver leur vie privée et leur santé.

2. Le téléguidage

L’autre écueil du management des potentiels est qu’on leur demande très peu leur avis. Sous prétexte que c’est une bonne nouvelle et une marque de reconnaissance si évidente, on décide pour eux les plans de carrière, de formation. On les change de poste sans leur demander leur avis. Le HiPo est un produit que l’on bichonne, que l’on protège et finalement que l’on éteint parce qu’on a décidé qu’on savait ce qui était bon pour lui. Mais s’il veut prendre son temps ? Progresser moins vite pour consolider ses savoir-faire ? Et bien, il est taxé de manque d’ambition, voire d’ingratitude. Sauf que ce potentiel semble avoir plutôt bien géré sa vie jusque-là… Pourquoi ne pas lui faire confiance.

3. le sevrage

Enfin si on entre dans les systèmes HiPo, il faut bien qu’on en sorte. Cette sortie est souvent difficile parce que l’on perd l’attention et le bénéfice des programme évidemment. Aussi parce qu’on est renvoyé à notre âge. Ce n’est probablement pas l’effet le plus fort mais il ne faut pas le négliger. Ce n’est pas parce que vous vous êtes occupé 2 ans de quelqu’un qu’il sera motivé et fidèle pendant des années. Vous pourriez même avoir la désagréable surprise d’apprendre un départ quelques mois après la sortie du programme… Ingratitude ? Peut-être. Retour au réel ? Sûrement.


On perd partout

Ce mouvement de management vers l’hyper valorisation des meilleurs, en plus de ne pas profiter à la majorité des gens et souvent même pas aux bénéficiaires, est en plus une absurdité fonctionnelle.

Elle nie le fait que dans 99% des entreprises, la valeur ajoutée est le fait d’un très grand nombre de gens, imbriqués intelligemment. La synergie des actions, la transversalité, la réactivité et l’écoute entre les équipes sont bien plus contributrices à la valeur que l’excellence d’un seul.

Orienter tant d’efforts et d’argent sur si peu de gens est un non-sens quand on pense que ce sont les 90% de gens normaux qui font les performances extraordinaires d’une organisation.

Alors si vous devez revoir votre programme HiPo, qu’il soit ouvert à tous, et notamment à ceux qui ont envie de progresser, sans condition de prétendue intelligence, rapidité ou talent.

Managers, devenez un nouveau genre de mentor – sur le modèle d’Opher Brayer

L’histoire du pianiste israélien Yaron Herman et de son mentor, disponible en podcast (référence ci-dessous) casse les codes. Elle montre que le plus important pour un mentor est de comprendre plutôt que d’apprendre.

Yaron Herman découvre le piano très tard, à 16 ans, et devient rapidement un grand virtuose. La vitesse avec laquelle il est devenu un prodige est tout simplement incroyable, et le talent de pédagogue de son mentor n’y est pas pour rien !

En effet, ce dernier, Opher Brayer, est selon Yaron « un mauvais pianiste mais un pédagogue hors pair », dont la méthode repose notamment sur l’usage de la psychologie lui permettant de comprendre les mécanismes et les motivations profondes de son élève. Ainsi, durant les 1er cours, Yaron ne fait quasiment pas de piano mais répond aux questions de son professeur : « Tu t’entends avec tes frères ? »,  « Tu aimes vraiment la musique ? », « Tu aimes le sport ? » …

Grâce à ses réponses, Opher apprend à comprendre le jeune homme et dessine une méthode sur mesure pour l’aider à se dépasser et lui insuffler la passion. C’est ainsi qu’il utilisera par exemple son esprit de compétition, développé en jouant au basket à haut niveau, pour décupler sa motivation.

Résultat, en seulement deux ans, Yaron devient lauréat du prestigieux “talent junior” de la Rimon School of Jazz and Contemporary Music.


Qu’est-ce cela peut vous inspirer à vous manager ?

Que la clé de la motivation et du développement de vos collaborateurs se trouve dans la compréhension de ce qu’ils sont, plus que dans ce que vous leur transmettez ! 

Pour ce faire, nul besoin d’un doctorat en psychologie mais surtout :

  • De temps qualitatif avec eux, déconnectés des sujets pro pour connaître leurs mécanismes personnels.
  • D’accepter de faire différemment pour chacun. Les managers ont tendance à utiliser une ou deux méthodes qui ont marché pour tous leurs collaborateurs. Osez faire du 100% sur mesure. 

Prenez cela comme un jeu, il y a probablement des virtuoses cachés au sein de vos équipes à côté desquels il serait dommage de passer !

Reco : podcast GDIY

https://soundcloud.com/generation-do-it-yourself/yaron-herman et son dernier album Songs of the Degrees

Manager punk

Dans la lignée de notre article de début d’année sur le manager punk, nous nous demandons comment faire exister ses opinions dans un monde qui se norme, dominé par la finance et les process hyper cadrés et comment rester alignés avec ses valeurs, ses convictions quand ce que l’on nous demande de faire s’en éloigne… La réponse est probablement dans une forme de rébellion personnelle, proche du mouvement punk !

* Pour aller plus loin *

// A lire //
Managers, soyez punk
Stop au management par les valeurs

// A écouter //
Punk, génération No Future – France culture – 4 épisodes

// Les extraits //
Georges Brassens – « Mourir Pour Des Idées »
Bernard Lavilliers – « Les Mains D’Or »
Punk, génération No Future – France Culture

La table ronde du management est un podcast produit par Albus Conseil
Au micro : Camille Riou et Patrick Bois.
A la réalisation : Laëtitia Peyre

Arthur et Lancelot : deux visions du management

Dans la course effrénée à la performance, il est utile de se poser la question de la stratégie pour aller plus vite que ses concurrents !

On constate que nombre d’entreprises misent sur 20% (voire moins !) de leur effectifs pour faire avancer leur organisation et lancent à ce titre des programmes pour les fameux « hauts potentiels ». Ce qu’on en pense ? Quel dommage de laisser de côté tant de potentielles forces vives ! Ce en quoi on croit ? Considérer chaque collaborateur comme un talent et miser sur chacun d’entre eux en les aidant à tous progresser : c’est la stratégie Arthurienne (qui valorise d’abord le progrès), qui s’oppose à celle de Lancelot (qui valorise plutôt la performance), en vigueur généralement.

* Pour aller plus loin *

// A lire //
La revanche managériale d’Arthur

// A voir //
Tout « Kaamelott » d’Alexandre Astier et particulièrement les saisons 3, 4 et 6
Les yeux dans les bleus de Stéphane Meunier
Les interventions de José Mourinho

// Les extraits //
Claude Onesta : « Manager, c’est s’intéresser aux autres »
La diplomatie dans le sport 1 – Aimé Jacquet (parle aux attaquants)
Kaamelott : le médiateur Livre III épisode 96
Kaamelott : la dispute Livre III épisode 99
Kaamelott : la dignité des faibles Livre VI épisode 37

La table ronde du management est un podcast produit par Albus Conseil
Au micro : Camille Riou et Patrick Bois.
A la réalisation : Laëtitia Peyre

Il faut soigner (aussi) ses mauvaises relations !

Il n’y a rien de plus important que d’établir de bonnes et saines relations avec ses collègues, son chef ou ses équipes. Pour cela, il y a beaucoup de moyens et d’outils (teambuilding, feedbacks, communication, projet commun). Mais dans la vraie vie, il y a aussi de mauvaises relations de travail. Et là, on n’a plus rien pour nous aider à les gérer. Que faire de nos mauvaises relations ?

 Admettons déjà qu’elles existent

Soyons clairs pour commencer, il y a toujours des choses à faire pour créer de meilleures relations de travail avec ceux qui nous entourent. C’est un effort sans fin et la majorité de nos articles publiés depuis 6 ans y sont consacrés.

Pour autant, il faut considérer le nombre de relations bilatérales que nous entretenons au travail. Si on prend en exemple une équipe managériale de premier niveau dans une entreprise moyenne : disons qu’ils sont 15 managers de terrain, qu’ils ont 6 responsables au Codir, et que chacun encadre 5 personnes. Le nombre de relations bilatérales est de plus de 10 000 ! Impossible que tout le monde s’entende avec tout le monde, même avec les meilleures intentions du monde.

Si vous êtes managers et que vous n’avez pas ce type de difficultés à gérer, c’est que vous ne les avez pas repérées.

Une mauvaise relation peut être rationnelle (on n’évalue pas l’autre comme un bon contributeur à la bonne marche de l’entreprise ou d’un projet), personnelle (on ne s’entend pas bien, on n’a pas de caractères compatibles, on n’a pas aimé une action passée de l’autre) ou purement émotionnelle (méfiance, dégoût, haine). Dans tous les cas, la mauvaise relation n’est pas figée, elle peut s’améliorer, tout comme une bonne relation peut s’envenimer.

Si le travail managérial consiste en priorité à soigner et à étendre le nombre des bonnes relations, il est aussi de reconnaitre et de gérer les mauvaises. Si vous êtes managers et que vous n’avez pas ce type de difficultés à gérer, c’est que vous ne les avez pas repérées car elles existent toujours au-delà d’un certain nombre de personnes dans l’équipe.

 Peu voire pas de boîte à outils à disposition

Pour gérer les relations, on a un éventail très large de solutions. Si elles sont naissantes ou neutres, on choisit des actions pour se connaître mieux ou apprendre à travailler ensemble (teambuilding), on construit un projet commun qui nous donne une raison de collaborer, etc.

Si elles sont bonnes ou au moins saines, on les cultive avec des rituels de communication, avec des moments de célébrations, avec des feedbacks (c’est vrai que l’on peut faire des feedbacks à tout le monde, mais quand la relation est mauvaise, c’est quand même moins facile…), etc.

Pour les mauvaises relations, les choix proposés sont plus limités. Google et Linkedin ne sont pas les meilleurs experts mais ce sont les plus utilisés. Leurs réponses sont : « risque de burn-out », « gestion de personne toxique » (l’autre évidemment) et « démission ». Autant dire que ce n’est pas très subtil… surtout que souvent, c’est juste une relation qui ne marche pas à l’instant t, entre deux personnes parfois maladroites mais bien intentionnées.

Pour améliorer les choses, il y a déjà deux choses à ne pas faire

La première erreur, la plus naturelle et la plus répandue, c’est de faire intervenir ou de laisser intervenir une tierce personne dans la relation. C’est aussi naturel que de se gratter un bouton de moustique : on cherche un moyen de sortir d’un problème qui nous préoccupe, et l’intervention d’un « casque bleu » nous soulage sur le coup car il vient apaiser ou arbitrer pour sortir de l’impasse du moment. Le problème, c’est qu’en le faisant il vient rendre ok une relation qui ne l’est pas, ou qui ne le sera désormais qu’avec cette troisième partie. Et donc c’est parti pour vous « gratter » longtemps et de plus en plus.

La deuxième chose à éviter, c’est de faire comme si la relation était bonne. Pour sauver les apparences, pour ne pas avoir à confronter le problème, on a tendance à jouer le jeu de la bonne relation en espérant que les gens seront dupes et, pourquoi pas, que ça s’améliore tout seul avec le temps. Alors j’ai deux grandes nouvelles à vous communiquer : petit 1 nous sommes tous de très mauvais acteurs dans ces cas-là, donc non seulement personne n’y croit mais les autres remarquent le malaise d’autant plus que vous essayez de le cacher ; petit 2 les relations difficiles ne s’améliorent pas comme par enchantement, si on ne fait rien elles pourrissent à coup sûr !

 La solution : bâtir une entente cordiale

Petit point d’histoire pour ceux qui l’ignorerait : l’entente cordiale est un processus diplomatique qui a permis, au XIXème siècle, aux empires anglais et français de dépasser leurs nombreux désaccords et de conclure des traités malgré tout. Il a tenu avec des hauts et des bas pendant un siècle, il s’est finalement raffermi jusqu’à un grand rapprochement au début du XXème siècle.

C’est ce que nous vous conseillons de faire avec vos mauvaises relations du moment.

Il s’agit de définir un contrat de relation

Cela nécessite d’abord de prendre acte avec la personne concernée de l’état actuel des relations. La forme peut être variée mais l’esprit reste le même : oui nous avons des difficultés à travailler ensemble, bien sûr nous aimerions que cela se passe mieux mais certains sujets étant aujourd’hui trop antagonistes, nous ne les résoudrons pas rapidement. C’est pourquoi nous devons trouver un moyen de collaborer.

Ensuite, il s’agit de définir un contrat de relation. Ce n’est pas un contrat formel mais plus il sera précis, plus il sera utile. Il remplace ainsi ce que l’alchimie relationnelle ne produit pas. Il définit a minima des choses à faire absolument (ex : traiter tel ou tel sujet entre nous avant d’en parler aux autres pour éviter de les prendre à partie) et des choses à éviter absolument (ex : ne pas traiter nos difficultés par mail, étant donné que ce type d’échanges s’envenime toujours entre nous).

Après la définition de cet « accord », il faut l’animer avec des hauts et des bas inévitables au cours du temps. Pour cela, il faut s’en parler assez régulièrement, pour s’assurer que chacun est toujours ok dans ce fonctionnement et repérer éventuellement les progrès ou les erreurs commises.

Avec un peu de chance, cela finira par améliorer le relationnel lui-même et le contrat deviendra inutile. Mais même sans cela, tout le monde peut en sortir gagnant.

Managers humanistes, choisissez le PSE !

Dans un monde qui va de plus en plus vite, il faut savoir changer…. Mais dans un monde de plus en plus sensible médiatiquement et judiciarisé, il ne faut pas faire de vague…

Dans ce grand écart, on déteste le patron voyou qui fait un PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi), mais pas de problème pour le PDV (Plan de Départ Volontaire), beaucoup plus humain… soi-disant… Pourtant managers et élus syndicaux devraient préférer le PSE, et de loin ! Voilà pourquoi.


Restructurer, ce n’est pas un tabou

D’abord, évacuons le politiquement correct : non, restructurer n’est pas nécessairement un réflexe de patrons voyous, d’actionnaires avides ou d’américains méprisants. Le monde change depuis la nuit des temps et l’activité humaine, économique ou non, s’y adapte. Presque plus personne ne travaille dans les forges d’épées, le taillage de pierre pour la construction, la copie manuscrite des livres…. On a restructuré. Mais il y a toujours une industrie des armes, du bâtiment, de l’édition. Et si demain, nous n’avons presque plus de livres, il y aura sans doute en revanche quelques emplois dans l’informatique qu’il n’y avait pas à l’époque du tout papier.

Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain.

Il y a évidemment, en France et ailleurs, des décisions avides qui engagent des transformations uniquement motivées par l’appât du gain à court terme, sans considération ni pour l’individu, ni pour le long terme. Ces restructurations doivent être combattues. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Parce qu’en mettant toutes les restructurations dans le même sac, on évitera certains abus, mais on empêchera aussi notre pays d’avoir une économie moderne, et on creusera encore plus notre chômage structurel pour éviter d’aggraver le conjoncturel.

Bref l’économie détruit et crée des emplois depuis des millénaires. Et il y a plus d’emplois aujourd’hui qu’il n’y en a jamais eu dans l’histoire. Sur la longue durée, les restructurations ne posent aucun problème. C’est bien évidemment à court terme, pour les gens directement concernés au moment du changement, que la restructuration est violente.

Et cette violence, conjuguée à la nécessité de transformer régulièrement pose la question des meilleurs outils pour le faire en France.


PSE = diable ?

En France, la loi encadre fortement les licenciements. Les argumentaires doivent être très précis pour permettre d’en réaliser un groupé. On craint les abus sûrement, et donc on montre les dents a priori.

En très gros, on a 2 choix pour faire des modifications de grande ampleur :

  • Le PSE, Plan de Sauvegarde de l’Emploi, qui organise la transformation de l’entreprise et conduit, après négociation avec les instances représentatives, à des licenciements.
  • Le PDV, Plan de Départ Volontaire, qui propose, toujours après négociation avec les instances représentatives, aux salariés qui le souhaitent de quitter l’entreprise.

Dans les 2 cas les conditions de départ sont négociées au préalable et connues.

Comme le premier est imposé et le second volontaire, le premier a particulièrement mauvaise presse alors que le second est plus facilement accepté par les élus et par les politiques. En se lançant dans un PSE, on agite un chiffon rouge et les médias s’en mêlent, les politiques aussi.

Sauf qu’il y a derrière cette préférence une erreur d’appréciation dangereuse. Rappelons que l’épisode des suicides chez France Telecom, apparait à l’occasion d’une restructuration massive mais sans PSE.


En réalité le PSE a le mérite de la clarté

Du coup, échaudés par le tourbillon médiatique, les patrons craignent de se lancer dans ce type de plan. Mais loin de renoncer à la restructuration elle-même, ils prennent l’autre chemin, plus discret : le Plan de Départ Volontaire.

Rappel de France Télécom : l’entreprise vient de racheter Orange et est super endettée. Elle va s’ouvrir à la concurrence, le mobile est en train de tuer le business du téléphone fixe. Tout change et il est impossible que l’entreprise ne change pas… Mais on ne lance pas un PSE, on contourne avec l’objectif de supprimer 22 000 emplois sur plus de 100 000…. 22 000 volontaires à trouver ? Impossible. Il faut encourager le volontariat…

Le PDV est une solution honnête sur le papier mais qui pose de vrais problèmes : quand on n’a pas assez de volontaires, on fait quoi ? Comme les volontaires ne sont pas aux postes qui nous arrangent, on fait quoi ?

S’ils ne sont pas volontaires, on peut imaginer qu’ils le vivent mal.

Le PDV est une solution qui doit se mettre en œuvre avec une infinie délicatesse : il ne faut surtout pas décliner le nombre de départs ouverts dans le plan en fixant un objectif à atteindre par direction ; c’est dans ce cas que le manager local peut ne pas avoir le nombre requis et chercher à « créer des volontaires ». Il faut prendre le temps pour mettre en place les dispositifs d’accompagnement, sauf qu’on a aussi besoin de mettre en place la nouvelle organisation, donc on a rapidement des gens qui n’ont plus de postes…. Et s’ils ne sont pas volontaires, on peut imaginer qu’ils le vivent mal.

Le PSE est bien plus clair. Il est dur mais les critères négociés pour choisir à qui on ne proposera pas de postes et à qui on en proposera vont avoir tendance à protéger les plus faibles et à faire sortir les moins fragiles (plus jeunes, plus « bancables » sur le marché du travail). Le PSE détermine une date de départ. C’est dur, mais on sait à quoi s’en tenir ; quand on sera prévenu, quelles seront les mesures d’accompagnement, quand on devra partir, quand la nouvelle organisation se mettra en place.

Il y a une forme de justice dans le PSE parce que l’entreprise ne va pas pouvoir être gagnante sur tous les tableaux et ne remettre sur le marché du travail que ceux dont elle ne veut plus. Dans le PDV, très rapidement, on s’organise pour que les moins bons soient volontaires.

Bien restructurer

 Dans la grande majorité des cas, nous recommandons donc le PSE :

  • Aux patrons parce qu’ils seront obligés de monter un plan le plus équilibré possible, ce qui permettra de poursuivre l’activité après le plan sans démotivation majeure.
  • Aux syndicats parce qu’ils auront plus la main sur ce qu’il se passe au local, alors que l’essentiel leur échappe dans un PDV.
  • Aux politiques parce qu’ils trouveront sur le marché du travail des individus moins fragiles qui seront accompagnés pendant des mois et bénéficieront d’un congé de reclassement (qui maximise les chances de reclassement et limite les versements d’indemnités).

Evidemment le PSE n’est pas un outil de gentil nounours non plus, et il n’est pas vertueux par essence.


Il faut encore bien le mener :

=> En amont en inventant des projets qui préparent l’avenir et s’inscrivent dans un plan à long terme destinés à être en bonne place sur son marché dans 5/10 ans.

=> Pendant la négociation en offrant vraiment des marges de manoeuvres aux élus pour que la solution retenue soit la plus équilibrée entre les intérêts de l’entreprise et ceux des salariés (sortants et restants). 

=> Après la négociation en proposant une vision au-delà du PSE qui n’est qu’un outil conjoncturel au service de la stratégie.

 

ALBUS CONSEIL