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Déléguer n’est pas la panacée

Ceux qui nous lisent régulièrement se disent peut être que nous sommes de grands défenseurs de la délégation. Et bien non ! Pas contre non plus évidemment, mais il nous semble que ce concept souffre d’une trop bonne publicité : beaucoup de managers en font un principe absolu de management. Nuançons.

 

La responsabilisation est un objectif

Quitte à défendre un lieu commun, nous préférons « responsabiliser ». Parce qu’il parait naturel et logique qu’en développant la responsabilisation de son collaborateur, on développera son attention au travail, sa réflexion sur ce qu’il est en train de faire, sa motivation (celle qu’il alimente lui-même). Un collaborateur responsable est un collaborateur avec qui on peut réduire le temps (et donc le coût) de contrôle.

A ce titre, il est évidemment prioritaire qu’un manager se préoccupe avant tout de la responsabilisation des membres de son équipe. Reste à savoir comment, quand on exclue le recours à la valeur (la responsabilisation affichée au fronton de l’entreprise) comme nous l’avons montré dans un précédent article : http://www.albus-conseil.com/fr/flop_11-stop-au-management-par-les-valeurs

  

Déléguer est une solution 

Bien sûr, pour développer la responsabilisation, déléguer est une solution.

Rappelons ce qu’est déléguer : littéralement, il s’agit de faire faire à quelqu’un quelque chose dont on était chargé. Quand on ne délègue pas des tâches subalternes (café et photocopies pour caricaturer), déléguer est une façon de montrer sa confiance, de tirer vers le haut et de varier les plaisirs pour le collaborateur.

A ce titre, c’est un outil qu’il faut garder sur sa palette.

En réalité pour que délégation soit égale à responsabilisation, il y a tout un travail de pédagogie à faire.  

Mais déléguer n’est pas automatiquement responsabiliser

Il ne faut pas oublier que, quand on délègue, on transfert une responsabilité localement, entre 2 personnes, au sein d’une équipe. Mais en général, vue de plus haut dans l’organisation, la responsabilité n’a pas changé de main. Comme les collaborateurs ne sont pas idiots, ils s’en rendent compte. Le sentiment de responsabilisation est donc moins fort car celle-ci n’est pas publiquement transmise.

Par ailleurs, déléguer se résume parfois à un simple transfert de charge de travail. La délégation est un exercice de management exigeant qui, si on n’y fait pas attention, donne l’impression d’une patate chaude que l’on s’envoie. Or, si on délègue pour se décharger, la vertu est faible.

En réalité pour que délégation soit égale à responsabilisation, il y a tout un travail de pédagogie à faire.

 

Et déléguer, c’est souvent stresser 

La délégation se heurte aussi mécaniquement, et logiquement, au problème de la compétence. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi puisque le fait d’apprendre un nouveau geste, une nouvelle tâche peut être un puissant levier de motivation. Encore faut-il que la montée en compétence soit accompagnée faute de quoi ce n’est que le stress qui augmente et il n’est générateur ni de responsabilisation, ni de confiance.  

Aussi nous concluons sur la délégation pour dire :

  • Qu’elle n’est managérialement productive que quand on délègue des tâches d’intérêt.
  • Que dans ce cas, elle n’est responsabilisante que bien accompagnée.
  • Que c’est donc un mode de management exigeant, qui ne peut pas être une règle ou un réflexe.

 

Réhabilitons le faire ensemble

Dans ce monde, on veut aller tellement vite qu’on va souvent au binaire, en générant des comportements aussi problématiques que ceux que l’on voulait combattre.

Dans notre cas, on voulait combattre l’autoritarisme, l’imposition traditionnelle qui positionne les collaborateurs comme des machines qui parlent et souvent râlent. On a donc prôné l’inverse : la délégation.

Le Faire ensemble permet aussi de faire monter en compétence et ouvre donc les portes à de la délégation sur des actions d’importance. 

Si le combat contre l’autoritarisme est sain, la réponse par la délégation est insuffisante. Nous rencontrons souvent des managers qui en ont fait LE principe de management (avec les meilleures intentions du monde), et qui se retrouvent devant de sérieux problèmes de stress au travail et de rupture entre eux et leurs équipes.

Mais il existe une autre façon de faire, qui paraît évidente mais visiblement un peu oubliée à l’heure où je-ne-sais-quoi impose de faire tout plus vite : FAIRE ENSEMBLE.

En effet, une excellente façon de responsabiliser est de travailler ensemble sur un projet ou un problème. La responsabilisation vient alors du fait que votre collaborateur se sentira responsable que le travail commun aboutisse.

Le Faire ensemble permet aussi de faire monter en compétence et ouvre donc les portes à de la délégation sur des actions d’importance. 

Elle permet enfin de développer le lien entre le manager et ses collaborateurs, en effaçant temporairement la logique hiérarchique.

Bien sûr, bien faire ensemble impose une discipline du manager pour éviter l’imposition déguisée. Nous utilisons pour cela les principes du co-développement : il s’agit de ne pas entrer dans la relation pour expliquer et convaincre mais pour questionner et chercher ensemble. L’attitude co-développement est donc moins celle du professeur qui explique une notion que celle de 2 scientifiques devant un tableau noir, essayant de résoudre une équation très compliquée.

Le Faire ensemble est un véritable investissement managérial, puissant outil de motivation et plus facile à utiliser que la délégation. Le pari est donc gagnant sur le moyen et long terme en évitant la passivité (qui va avec l’imposition) ou la baisse de la qualité (qui va avec une délégation excessive).

Le manager peut s’en sortir face à la mondialisation financiarisée

La globalisation et la concurrence mondiale sont devenues des lieux communs de l’analyse économique et géopolitique de notre siècle… Les politiques, peu au fait du sujet et parfois démagogues laissent penser à un système polarisé entre grands financiers, qui tirent les ficelles depuis Bruxelles ou le Qatar, et victimes qui en subissent les foudres en Lorraine ou à Detroit.

Dans la vraie vie, il y a aussi tous ceux qui font fonctionner le système sans qu’on leur demande leur avis : les managers intermédiaires des grandes entreprises… Aidons les !

 

L’équation de la mondialisation

Chaque jour, les managers de terrain des grandes et moyennes entreprises doivent jongler entre leur conscience et leur devoir ; entre leurs missions et leurs idées.

Tous les plans sociaux sont mis en œuvre par des managers de terrain qui n’ont rien décidé et parfois suppriment leurs propres postes dans l’affaire.

Des milliers de managers doivent répondre à leurs équipes qui fustigent la faiblesse de leurs primes par rapport à celles du top management, ou la fermeture d’un site par rapport à un résultat net exprimé en milliards d’euros. 

Vous me direz que ce n’est pas seulement la mondialisation qui est en cause. Certes, mais elle joue beaucoup. Si les grands groupes (Sanofi, Carrefour, Vivendi) cherchent continuellement à optimiser leurs marges alors que le résultat net est très important, c’est que le marché impose une attractivité immense des capitaux, sans quoi les investisseurs iront voir la concurrence.

Avec ces capitaux, Sanofi garde ses investisseurs, apprécie son action, poursuit sa croissance et continue d’employer près de 100 000 personnes en France !

Toujours est-il que cette analyse macro n’est d’aucune utilité sur le terrain et que nos managers de terrain sont concrètement en difficulté au quotidien.


 

Un dilemme

Avant d’aborder les solutions concrètes, reconnaissons d’abord un dilemme cornélien :

  • Dois-je résister aux excès du système, mais risquer de me mettre en marge ?
  • Dois-je assumer ce que je ne cautionne pas ?

Evidemment, il y a aussi les supporters du système mais soyons honnêtes, sur le terrain ils sont peu nombreux. Le sentiment de subir est trop fort.

Ce dilemme, nous le vivons aussi : en tant que consultant, doit-on refuser les projets qui nous heurtent ou tâcher de les accompagner pour qu’ils se passent au mieux ? Nous avons décidé de les accompagner parce que nous espérons, à notre minuscule échelle, limiter les excès et permettre aux managers de s’adapter.  

C’est d’ailleurs la posture que nous proposons : le système en place dans le monde est efficace globalement, et montre peu de faiblesse structurelle. Le mieux nous paraît être d’essayer de bien le comprendre pour en tirer le meilleur pour les organisations/équipes dont nous avons la charge.

 

Mais concrètement ?

Parce qu’évidemment, il ne suffit pas d’être en paix avec le système pour être efficace et parvenir à en démêler les complexités.

Comment mener un PSE dans une entreprise rentable ? Que dire à des équipes qui utilisent le niveau de résultat du groupe comme argument ?  

Oser le débat contradictoire avec ses managers intermédiaires :  

À éviter : leur demander d’appliquer sans discussion, de « tenir la position » sans savoir ce qu’ils en pensent, c’est l’assurance qu’ils seront mal à l’aise. Demander à un manager de dire qu’il est tout à fait logique de réduire les effectifs alors qu’un Groupe est bénéficiaire, c’est une illusion. Certes, on peut le rationnaliser intellectuellement, mais à chaud, face à un opérateur, c’est mission impossible. 

À essayer : Accepter la contradiction, leur permettre d’exprimer leurs doutes, les accepter et parfois même les partager. Qui n’est pas dubitatif aujourd’hui sur la marche du monde et le pouvoir des financiers londoniens, qataris ou américains ? Le nier n’avance à rien. Il vaut mieux évoquer la question et trouver ensemble le message managérial qui concilie les valeurs avec les décisions corporate.

 

Renforcer la puissance du projet local

À éviter : décliner sans filtre les projets et demandes du corporate et user du « ça vient de tout là-haut » pour couper court à la discussion. C’est à la fois simpliste et inefficace parce qu’un projet qui n’est pas compris par une équipe est l’assurance qu’il ne portera pas ses fruits.

À essayer : bâtir de vrais projets d’équipe, d’entité, d’usine ou de service et les déployer aux équipes en ayant intégrer les projets corporate, actuels et futurs permet de garder la main. Plus l’acteur de terrain peut se référer à une ambition locale, une aventure à laquelle il donne du sens et adhère, moins il verra le marché ou le Groupe comme des menaces insaisissables. Les acteurs sont beaucoup plus sereins que les spectateurs face au changement.

 

Ne pas s’enfermer

Nous ouvrons ce débat, mais évidemment avec moins de certitude que jamais. Nous vivons dans un système où les décisions sont difficiles à tracer, soumises aux aléas boursiers, stratégiques, politiques.

La seule voie que nous avons trouvée est celle qui consiste à être le plus agile possible dans cet océan très agité… Et pour reprendre la métaphore de Lynch et Kordis (La stratégie du Dauphin, éditions de l’Homme, 2006) : il y a ceux qui subissent et espèrent que le boulet passera à côté, les carpes ; ceux qui décident de tuer pour se faire leur place, les requins ; et ceux qui inventent des solutions hors du cadre pour créer de la valeur, les dauphins…

Nous croyons plus à l’intelligence qu’à la violence ou à la passivité, autant vous le dire.

ALBUS CONSEIL