Face à la crise : quelles alternatives à la frénésie ?

« En ce moment, c’est la crise »
Quand l’alerte est lancée, les réactions sont souvent similaires dans les entreprises : top-down, restrictives, conservatrices. Mais si ces réactions sont immédiates, elles ne sont pas toujours efficaces, de par leur déconnexion avec le terrain, le manque d’explication aux équipes et de nuances.
Pourtant, les crises sont l’occasion de révéler l’audace des équipes. Encore faut-il s’en donner les moyens : cela passe d’abord par une lucidité sur la situation et sur les spécificités des réponses à apporter.
Face à la crise, on se serre la ceinture : les réactions spontanées
Quand l’alerte est lancée, on ne peut pas ne pas réagir. Certes, le premier réflexe peut être la tétanie, donc une paralysie dans la réponse à apporter : on n’ose rien tenter, de peur que la décision aggrave la situation. Inconfort face au manque de pragmatisme, peur de voir que la situation nous échappe… on pourrait parler des conséquences sur les équipes de la tétanie. Mais je préfère attirer l’attention sur les impacts de la réaction inverse, et qui me semble commune à beaucoup d’entreprises qui se sentent en crise : la surréaction frénétique.
Prenons un sujet actuel illustré d’un exemple réel : l’activité économique de marchés asiatiques est en baisse, notamment dans le secteur de l’immobilier et du luxe. Un grand groupe de cosmétiques voit ce ralentissement qui fait baisser ses volumes de vente dans sa branche Luxe.
Ni une ni deux, la réaction – à l’autre bout de la planète – ne se fait pas attendre : un mail est envoyé à tous les cadres, alertant de l’état de crise économique actuel et prévenant de mesures drastiques à venir. Dans les couloirs, lors d’échanges informels, on ressent une fébrilité, on fait attention aux messages qu’on passe aux équipes : « on est en crise, on doit se serrer la ceinture » ! Et les décisions suivent : couper les budgets pour les fêtes de fin d’année, geler les recrutements, arrêter certains projets long-terme…
On comprend facilement l’inquiétude mais surtout l’incompréhension des équipes, face à la décorrélation entre une tendance économique globale et des restrictions budgétaires très localisées. Cette déconnexion se voit aussi entre là où se prennent les décisions (niveau Comex monde) et là où elles doivent être appliquées (niveau directions locales), avec en prime le manque d’explication et de sens de ces décisions. Certainement parce qu’on considère que l’alerte à la crise se suffit à elle-même, il est rare en effet que la Direction prenne le temps d’expliquer aux équipes ces mesures, et donne la possibilité aux managers de proximité de transmettre un discours nuancé et complexe, à l’image du contexte finalement.
Et si la frénésie de la Direction créé une déconnexion avec le terrain, on peut aussi ajouter qu’elle n’est pas la réponse la plus efficace financièrement : car en anesthésiant les équipes, on se prive de leur capacité de rebond pour sortir de la crise ; et on se prive aussi d’opportunités de marchés (main-d’œuvre, investissement…) plus accessibles car moins concurrentielles par rapport à une période d’opulence économique.
Par ailleurs, dans cet exemple précis, on peut légitimement se demander si cette entreprise est réellement en crise : certes le ralentissement économique fait baisser ses volumes de vente, mais connaître une légère baisse de croissance met-elle son existence en péril ?
Il ne s’agit pas uniquement d’un pinaillage de vocabulaire, mais c’est bien révélateur du côté on-off de la crise : si le mot est prononcé, le plan d’action est immédiat pour dégrossir et se serrer la ceinture.
J’ai détaillé ici cet exemple en cosmétique, mais j’aurais pu en trouver d’autres, dans le Retail, dans l’industrie… Quel que soit le secteur, cette réaction de frénésie est révélatrice de la frilosité à l’idée de voir certains indicateurs économiques baisser (croissance du chiffre d’affaires entre autres) : nos finances sont notre bien le plus précieux, donc en cas de crise nous devons les préserver, donc protéger nos marges, réduire les dépenses, dégraisser la machine, faire moins.
Cette vision de ce qui a de la valeur dans les organisations me semble limitée en soi. Et elle créé des réponses simplifiées face à une situation complexe et anesthésie la capacité des équipes à être courageuses, innovantes et audacieuses dans des périodes où ces qualités sont pourtant indispensables pour rebondir.
Et si c’était au contraire, le moment de se montrer audacieux ? Faire mieux plutôt que moins
Réagir différemment et intelligemment, cela repose en effet sur les qualités humaines des équipes, qui sont créatrices de valeur pour les organisations : une capacité courageuse à investir, l’engagement, la réactivité face aux demandes clients, la capacité à prendre des initiatives… Finalement, des qualités humaines qui sont, bien souvent, sacrifiées dans les périodes de crise, au profit de la sécurisation d’indicateurs chiffrés.
Mais comment s’appuyer sur ces actifs et résister à la frénésie quand tout nous y pousse ?
D’abord, on va chercher la lucidité. Comme l’exemple précédent l’a montré, cela vaut le coup de se demander si on l’est réellement, en crise. Car on emploie ce mot pour désigner des situations tellement différentes que prendre le temps de formuler une compréhension singulière de la crise pour l’entreprise, c’est déjà se démarquer.
Concrètement, oser prendre un temps au sein du Codir, pour se poser quelques questions : dans quel contexte économique évolue-t-on ? Quelles conséquences (sur notre activité, sur nos équipes Retail, terrain, support, siège) concrètes pour nous, à court et moyen terme ?
Oser questionner les liens entre le contexte global et l’activité de l’entreprise.
Et quelle que soit la réponse à ces interrogations, je vous invite à questionner ce qui génère de la valeur pour vous, réellement. Faire l’exercice de projection suivant : qu’est-ce qu’on ne voudrait pas sacrifier, quoiqu’il arrive ?
Enfin pour communiquer ces éléments aux équipes, je vous conseille ne pas minimiser les difficultés, avec un discours réaliste mais pas alarmiste (comme on vous le détaille dans notre vidéo également consacrée au sujet).
Avec un constat plus précis et spécifique sur la crise en cours et de ses impacts sur la boite, les réactions à adopter ne se résument plus à vouloir faire des économies de partout. Au contraire, les crises sont peut-être le moment de faire un pas de côté : lancer un projet pour les équipes, pour remettre du mouvement et de l’ambition. D’ailleurs, c’est bien dans ces périodes que se révèlent les capacités des leaders à réveiller l’audace et l’engagement des équipes.
Et ça peut se faire, même dans un contexte critique : je vous détaille deux exemples concrets de réactions à des crises, réactions qui me semblent nuancées et décalées par rapport aux réponses que l’on voit souvent
Le premier cas : quand un projet de vente suscite de l’incertitude
J’ai en tête deux usines de la même entreprise industrielle pharmaceutique, dont l’une était menacée d’être vendue d’ici la fin d’année. Une année complète, sur l’histoire d’une boîte, c’est peu ; mais à l’échelle des équipes c’est énorme et cette attente aurait pu cannibaliser tous les projets en cours. Pour éviter ça, le Codir a partagé à ces deux usines l’ambition d’être beaucoup plus soudées l’une avec l’autre, travailler mieux ensemble. L’idée étant que quelle que soit l’issue (une vente d’une des deux, ou pas de vente du tout), les 2 entités avaient plus à gagner à travailler leur collaboration.
Pour ce faire, 10 chantiers stratégiques et transverses sont lancés. Passée la première réaction frileuse des équipes à s’engager dans une période d’incertitude, des groupes de travail ont été montés et ces chantiers étaient considérés au bout de plusieurs mois comme les priorités qui auront marqué l’année. Année qui aurait pu être vécue comme une longue stagnation anxiogène pour les sites.
Le deuxième cas : une entreprise qui ne cède pas à la panique face à une crise économique
Une autre entreprise d’industrie lourde subit, comme le groupe que j’évoquais plus haut, une baisse de 30% de ses volumes de vente, dans un contexte de crise économique du secteur. Deux réactions simultanées face à cette baisse de volume : des mesures de réduction de frais généraux (diminuer la surface de bureaux, arrêter sa participation à un évènement marketing onéreux, optimiser davantage la répartition des tâches entre salariés…), couplées de mesures offensives et long-termistes axées sur les ressources humaines : recrutement notamment de profils techniques libérés sur le marché du travail, investissement sur la formation, accélération de la maîtrise des savoir-faire… Et le tout communiqué et expliqué aux équipes, qui arrivent sans surprise à intégrer les deux réponses parallèles.
Je pourrais détailler une multitude d’exemples de réactions audacieuses possibles, car il y a théoriquement autant de situations de crise que d’entreprises.
Le point commun, c’est de passer d’une réaction conformiste face à une crise généralisée à une réponse singulière face à une crise caractérisée.