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La (sur)charge de travail : une fatalité ?

C’est un irritant qui revient quasiment chez chacun de nos clients : « on travaille trop, on n’a pas le temps de traiter les problèmes de fond, de prendre son temps... » Voyons pourquoi on croit que ce n'est une fatalité... et explorons quelques pistes.

Ecrit par Albus Conseil

C’est un irritant qui revient quasiment chez chacun de nos clients : « on travaille trop, on n’a pas le temps de prendre du recul, de traiter les problèmes de fond, de prendre son temps… »

 

On travaille trop ? Qu’en disent les chiffres ?

 

Avant de vous partager notre avis sur la question, on est allé chercher les chiffres sur le sujet (sauf mention contraire, de l’INSEE).
 
Au global, on observe depuis un demi-siècle une baisse du temps de travail, principalement sous le double impact de la hausse du travail salarié (en moyenne les salariés travaillent moins que les non-salariés comme indépendants, agriculteurs…) et de mesures législatives (passage au 39 puis 35h*). 
On passe de 1950 heures travaillées en moyenne par an en 1975 à 1600 en 2018. Rapporté à une échelle journalière, on travaille en moyenne 20 minutes de moins par jour entre 1986 et 2006, et le « temps libre » a en moyenne augmenté de 33 minutes par jour. 
 
La conclusion rapide, ça serait de dire que non, on ne travaille pas plus qu’avant : on travaille même moins en moyenne.

Alors que le temps travaillé par jour diminue, la sensation de n’avoir pas assez de temps en dehors du travail reste quasiment à l’identique.

3, 2, 1 : intensifiez !

 

C’est intéressant de mettre en parallèle les chiffres et le ressenti des travailleurs. Alors que le temps travaillé par jour diminue, la sensation de n’avoir pas assez de temps en dehors du travail reste quasiment à l’identique. 48% de la population interrogée juge ne pas avoir assez de temps en 1979, et 45% en 2019. C’est d’ailleurs des ressentis que partagent beaucoup de nos clients. 

Le temps de travail n’est donc pas allégé, mais il devient au contraire compressé.

 
Mais en parallèle, l’organisation du travail a d’autres évolutions qui génèrent en partie ce ressenti de trop travailler, d’être sous l’eau, de courir d’un sujet à un autre… bref de manquer de temps. 
Le monde du travail connaît un double mouvement de flexibilité et de contrôle. Le travail la nuit et le dimanche augmente, pour certaines populations de travailleurs le télétravail se développe… dans le même temps, on augmente le contrôle du travail (la fréquence de pointage augmente par exemple). 
Le tout sur fond d’intensification du travail : augmentation de la cadence, multiplication des projets et sujets simultanés tous jugés prioritaires, le fait de reporter à des personnes et différentes (et donc répondre à des objectifs multiples), l’articulation entre différentes temporalités… 
 
Le temps de travail n’est donc pas allégé, mais il devient au contraire compressé. Prenons un exemple dans lequel beaucoup se reconnaîtront : le télétravail permet certes plus de flexibilité dans l’organisation de ses journées, mais génère des tunnels de réunions en visio, laissant à peine le temps de décrocher les yeux de l’écran plus de 2min. 
Anecdote véridique, je démarre un appel en fin de journée avec une cliente. Voyant qu’elle avait enchaîné les visio, je l’ai invitée à prendre 10min pour aller boire un coup et marcher 10 pas dans son appartement, ce qu’elle n’avait pas pu faire de l’après-midi… 
 
Et cet effet d’apnée se ressent beaucoup dans les grands groupes : nombre de managers que nous accompagnons se retrouvent à mettre leur agenda en pause systématiquement car le central impose le rythme des projets, rend prioritaires des sujets qui ne le sont pas forcément pour le terrain. Encore ce matin, un dirigeant d’un site industriel me partageait être régulièrement interrompu par des visites de responsables du central, qui exigent de lui qu’il redresse l’usine… tout en le sollicitant plusieurs jours. Jours pendant lesquels il n’est pas avec ses équipes, sur le terrain.
 
Un autre élément qui contribue à compresser le temps est ce à quoi on l’alloue. En l’occurrence, une grande partie est consacrée aux reportings et au suivi des indicateurs. La multiplication des indicateurs et leur importance croissante dans les échanges et les décisions génère une ressenti de « temps consigné », pour reprendre l’expression de Corinne Gaudart et Serge Volkoff, deux sociologues qui ont travaillé sur Le Travail Pressé dans leur ouvrage du même titre. Et très concrètement, ces tâches pèsent lourd dans le temps de travail notamment des managers de proximité : le temps de trouver les indicateurs, qui sont pourtant souvent déconnectés du travail réel, de compiler les données, de préparer et animer les réunions de présentation sur ces indicateurs… autant de temps qui ne sera pas consacré aux équipes, au travail réel, quotidien et créateur de valeur, à la créativité.
Face à cette intensification, forte est la tentation d’optimiser et rationaliser le temps.

 

Les fausses bonnes idées

 

Les solutions souvent proposées, nous n’y croyons pas vraiment, principalement parce qu’on voit, chez nos clients, qu’elles restent la plupart du temps lettres mortes voire qu’elles ont des effets inverses :

  • Faire moins : réduire le nombre de projets en cours, donc renoncer parfois, se fixer des limites de plages horaires…

Faire moins de projets, c’est évidemment un bel objectif, mais il nécessite autant d’exemplarité managériale que d’alignement à tous les niveaux hiérarchiques. Donc, difficile à mettre en œuvre suffisamment pour voir des effets.
Et faire moins dans ses journées, cela semble aussi compliqué à mettre en œuvre : se fixer des bornes horaires pour les réunions (par exemple, pas de réunion après 18h) semble être une bonne décision au moment où on la prend. Mais bien souvent, 2 semaines plus tard, devant le casse-tête des calendriers, on envoie une invitation pour un créneau censé être proscrit, avec en prime une pointe de culpabilité. 

  • Prioriser : semble plus réaliste que de renoncer.

En pratique, c’est souvent ce qu’il se passe quand tous les sujets deviennent urgents : on doit bien décider quelle urgence est la plus urgente. 
Mais comme la solution précédente, elle nécessite tellement de vertu et d’alignement entre différentes équipes et niveaux hiérarchiques que cela semble compliqué. Alignement qui est, comme expliqué plus haut, parfois ardu à obtenir dans des grandes organisations complexes et transverses.

  • Optimiser les projets et les agendas :

La conséquence, c’est de pressuriser encore plus et de réduire le temps « gratuit ». Le temps dans la journée qui n’a pour objectif ni d’avancer sur un projet, ni de traiter ses mails… bref, le temps qui n’a pas pour objectif d’être utile. Ce temps qui laisse la place à l’inspiration et à notre cerveau d’emmaganiser les sujets et idées qu’on a travaillés. Ce même-temps qui permet aussi de prendre la température des équipes, d’avoir des échanges informels qui nous en apprennent souvent plus qu’une réunion de suivi de projets. 
Demandez aux équipes de réduire les réunions d’une heure à 45 minutes : vous enchaînerez deux réunions de 3/4h d’affilée, cela ne la fera pas démarrer à l’heure, et je doute que cela permette systémiquement de libérer du temps. 
En tant que consultante, je souris face à la contradiction de mes clients qui me demandent d’organiser un séminaire pour « prendre de la hauteur, passer une journée conviviale et d’échanges », mais qui veulent réduire la pause déjeuner à 1h plutôt que l’1h30 que je leur propose…

  • Augmenter la liberté de chacun pour laisser de l’autonomie sur la gestion de son agenda :

C’est d’ailleurs ce que réclament 82% des salariés selon une enquête de la CGT en 2017. Cela peut réduire la charge en théorie, mais ça augmente surtout la charge mentale en pratique. Chez Albus, le fonctionnement très libre que l’on propose a plutôt tendance à nous rendre plus engagés et volontaires que déconnectés des priorités. 
 
Bien sûr, on ne dit pas que ces solutions sont totalement inutiles partout, elles peuvent être moins efficaces qu’elles n’en ont l’air. Et surtout, on pense que ces mesures ne traitent pas le problème de fond, celui de l’intensification et la pressurisation globale qui pèse sur les équipes. Voire que certaines solutions renforcent la tentative de solution de contrôler l’organisation du temps de travail.

 

Le temps humain, c’est aussi accorder un moment uniquement pour laisser les équipes exprimer leurs doutes et peurs face à un gros projet de transformation, sans essayer de convaincre et sans lancer dans la foulée des plans d’action. 

 

Et si on essayait de ralentir ?

 

Donc face à cette frénésie, la piste qu’on a envie de creuser, c’est celle de la lenteur. La lenteur surtout sur les sujets qui nous tiennent à cœur et auxquels on croit. 
 
Quelques pistes d’abord qui ne remettent pas en cause toute l’organisation du travail.
Prendre en compte le temps humain. Par exemple, le lendemain d’un gros succès, plutôt qu’un bravo-tout-le-monde-retourne-au-travail, animer sur quelques heures ou un demi-journée un vrai moment de pause : un déjeuner qu’on laisse durer, le manager qui reste dans l’open space de l’équipe pour s’accorder des échanges informels, en invitant un des bénéficiaires du projet qui a bien marché, en demandant à l’équipe comm de monter un petit film ou une animation sur le sujet en question… Le temps humain, c’est aussi accorder un moment uniquement pour laisser les équipes exprimer leurs doutes et peurs face à un gros projet de transformation, sans essayer de convaincre et sans lancer dans la foulée des plans d’action. 
La valorisation : et si en tant que manager, on essayait de valoriser les personnes qui osent prendre le temps de traiter un sujet en profondeur, même si cela a impliqué de laisser tomber quelques assiettes moins cruciales ? Et à l’inverse, arrêter de valoriser la vitesse. Concrètement, un mot glissé en réunion d’équipe, pour souligner que le délai pris par quelqu’un lui a permis de vraiment creuser le sujet et donc de proposer un livrable de qualité. 
 
Quelques pistes pour l’animation et le traitement des sujets de fond, qui demandent un peu de courage et d’exemplarité managériale mais qui peuvent fonctionner sous l’impulsion d’une ou deux personnes de l’équipe convaincues. 
Dans les séminaires annuels Codir par exemple : ça donnerait quoi d’oser faire 3 séminaires dans l’année parce qu’on identifie 3 sujets stratégiques pour l’entreprise, plutôt que de traiter ces 3 sujets en une journée ? 
Dans la même veine, identifier une cause racine de la frénésie des équipes et en faire un combat collectif. Par exemple, un Codir se rend compte qu’une explication du manque de temps est la surpréparation : il peut travailler dessus, d’autant que c’est un sujet qui dépend de la culture managériale et donc qui est souvent dans la main des managers ! 
Enfin, dans des organisations où les projets transverses et imposés pleuvent, qu’est-ce que ça donnerait de s’autoriser à prendre le temps de traiter les sujets qui nous tiennent à cœur, et qu’on appliquait les conseils d’efficacité uniquement sur les sujets obligatoires mais qui ne nous enthousiasment pas ? Par exemple, s’efforcer de ne pas faire de la sur qualité sur l’analyse que nous demande le central auquelle on ne voit pas l’utilité.
 
Une dernière piste, qui demande certainement plus de liberté de la part des responsables : passer d’une logique de timing à une logique de phasage
Concrètement dans un projet, se dire « tant qu’on n’a pas atteint nos objectifs de la phase 1, on ne passe pas à la phase 2 du projet ». Et ce, sans vouloir absolument faire rentrer la phase 1 dudit projet en un laps de temps arbitraire et déterminé à l’avance, qui ne prend donc pas en compte les imprévus techniques et humains. 
  

*Notons tout de même que le passage au 35h a généré des journées de récupération du temps de travail plutôt qu’un temps de travail plus réduit dans la semaine. 

ALBUS CONSEIL