Auteur/autrice : charlie

Rabibochons le central et le local !

Des liens entre les services dits centraux et les entités locales, on pourrait écrire des livres entiers. La plupart serait des drames, tant la relation avec le siège est souvent décriée. Mais parfois, ça marche ! Alors, on fait la paix ?

Le Siège manque de visibilité et se plaint du manque de communication des autres sites qui, eux, fustigent l’interventionnisme du Corporate. 

Procès d’intention à gogo

Des PME jusqu’aux grands groupes, à partir du moment où une activité est multi-sites, la question du lien entre le Siège et les autres sites se pose.

Souvent, cette relation tourne vite à la méfiance. Le Siège manque de visibilité et se plaint du manque de communication des autres sites qui, eux, fustigent l’interventionnisme du Corporate.

Très vite, le cercle vicieux s’installe : l’entité locale, par crainte de l’ingérence du Corporate, fait une communication a minima et refuse au maximum les mains tendues. Du coup, le Siège a l’impression qu’on lui cache quelque chose et force l’entrée (au moment des budgets ou à l’occasion d’une crise sociale ou qualité que tout site traverse à un moment ou à un autre). Cette intrusion du Siège valide les pires craintes des « locaux » qui renforcent les barricades, etc.

 

Pourtant, le besoin de coopération est vital

C’est d’autant plus frustrant de constater cette mauvaise alchimie que chacune des deux parties a, objectivement, besoin de l’autre pour avancer.

Encore faudrait-il imaginer que les technocrates du Siège peuvent apporter quelque chose…

Pour le Corporate, c’est évident : leurs décisions et projets ne trouvent de réalité que dans la traduction opérationnelle qui en est faite par les sites. Sans cela, les initiatives du Siège tournent à vide et cela désespère jusqu’aux plus enthousiastes.

Bien sûr, les partisans de la manière forte y trouveront là une justification pour asséner à coups de démarches « top down » des prescrits de toutes sortes. Mais ces projets étant subis par les sites, ils ne produiront que des leurres utilisés pour faire « comme si ». 

Les sites aussi pourraient utiliser intelligemment les apports du Corporate. Presque tous ceux sur lesquels nous intervenons se plaignent d’avoir en permanence « le nez dans le guidon », happés qu’ils sont par le quotidien opérationnel et la gestion des urgences. Pourquoi ne pas s’appuyer sur le Siège qui, justement, n’est pas prisonnier de l’opérationnel ? Encore faudrait-il imaginer que les technocrates du Siège peuvent apporter quelque chose…

Par ailleurs, structurellement, le Corporate concentre les compétences techniques, la connaissance des marchés et des clients. Le terrain serait bien présomptueux d’ignorer cette manne de savoirs mis à sa disposition.

 

Ce n’est pourtant pas une fatalité

Nous observons tellement cette incapacité de coopération efficace que nous pourrions imaginer qu’elle est structurelle, inévitable. Pourtant il suffirait de pas grand chose pour que l’interaction rugueuse devienne coopération.

Pour les sites, le plus dur est de demander de l’aide 

La première erreur serait de croire que la bonne relation entre Siège et sites dépendrait d’abord et avant tout de la posture du premier. Bien sûr, un Groupe bienveillant et à l’écoute favorise les chances de bonne coopération.

Mais il n’y a rien de plus efficace qu’un site qui sort lui-même du schéma classique et demande spontanément de l’aide. L’effet est celui d’une bombe ! 

Certes, cela nécessite de ne pas considérer une demande d’aide comme un aveu d’échec. Certes, cela nécessite de considérer que l’autre partie pourrait éventuellement être utile, mais ce travail en vaut la peine : le cercle vicieux est pris à contre-pied et les bonnes volontés émergent.

Notre conseil aux sites est simple : vous avez un Siège qui essayera de toutes façons de vous aider, avec ou sans votre demande. Plutôt que de faire du karaté (essayer de contrer la force de l’autre), essayez le judo (utiliser la force de l’autre à votre profit) en émettant des besoins ciblés et finis dans le temps. Vous serez surpris de constater le changement de relation que cela produit.

Le service qui marche, ce n’est pas le meilleur mais celui qui est compris et demandé par les sites.

Pour les services Corporate, passer en mode Coach

Le changement de posture des services Corporate est plus dur car c’est culturel. Il nécessite de faire le deuil de la croyance souvent ancrée « Si je produis le meilleur service ou le meilleur outil possible, il sera accepté par les sites ».

Et bien non, les contre-exemples sont partout. 

Le service qui marche, ce n’est pas le meilleur mais celui qui est compris et demandé par les sites.

Vous pensez que la création d’une université Groupe est l’idée du siècle ? Si les opérationnels ne la demandent pas, elle sera une coquille vide. Idem pour le SI RH ou l’arsenal de communication sur les valeurs Groupe. 

L’enjeu, c’est de passer d’un système de VRP (qui fait du porte-à-porte pour vendre son produit au plus grand nombre) à un système de boutique (qui fait venir son client interne dans sa boutique pour lui faire exprimer ses besoins, lui répondre au juste nécessaire et essayer de le fidéliser). 

 

Nous avons récemment observé des entreprises où ce système fonctionne, nous croyons donc qu’il n’est jamais trop tard pour bâtir, enfin, une relation utile et apaisée entre d’historiques frères ennemis.

Bernard, 55 ans, génération Y, qui s’en occupe ?

Alerte ! Les jeunes de la génération Y débarquent dans les entreprises et ça va faire mal : pas de fidélité à l’entreprise, comportement instable, égoïsme, équilibre pro/perso qui penche clairement vers la vie perso…  

Et si c’était l’air du temps et non une question de génération ?

 

C’est quoi la génération Y ?

C’est un concept démographique désignant ceux qui sont nés entre 1980 et 2000. Son nom n’a pas d’origine claire : il représenterait le Y du câble des écouteurs sur le torse, ou, phonétiquement, le « why » de la génération qui se questionne. Admettons, cela n’a pas beaucoup d’importance de toute façon.

Cette génération a quelques caractéristiques objectives : elle est entrée sur le marché du travail avec internet, n’a pas connu la guerre froide, n’a pas connu les relations amoureuses sans le SIDA et n’a pas connu le marché du travail sans chômage.

Après c’est une suite de clichés que tous les scientifiques ou presque dénoncent. Oui sauf que dans les entreprises, ce sont ces clichés dont on parle. Les scientifiques n’ont pas passé l’accueil et le tourniquet des sièges sociaux.

Alors pêle-mêle, qu’entend-on ?

  • Désimpliqués, ils auraient un rapport utilitariste à l’entreprise et s’inquièteraient de la qualité de la mutuelle plus que des défis de la société qu’ils rejoignent.
  • Ils voudraient le plaisir avant tout et négligeraient les valeurs de rigueur et de fiabilité, apanages de leurs trop sérieux parents.
  • Ils militeraient pour l’équilibre vie pro/vie perso… ce qui est compris par les managers plus âgés comme « ils privilégient la vie perso à la vie pro ».

On exagère ?

Non, même pas, regardez plutôt : http://madame.lefigaro.fr/societe/management-mots-pour-booster-generation-171013-444444

 

Pourquoi ce concept n’a aucun sens ?

D’abord parce que les limites sont imprécises. Que dire de ceux qui sont nés en 1975 ?

Ensuite parce que la génération n’est évidemment pas homogène. Entre ceux nés en 1983 et ceux nés en 1995… Même au sein d’une même année : l’éducation, la personnalité, le parcours personnel, la culture sont heureusement bien plus importantes que l’année de naissance.

Aussi, toute la génération Y n’est pas fan de Facebook et de jeux vidéos. Il y en a qui écoute Brassens, aime le foot au stade avec leurs parents ou veulent faire leur trou dans l’entreprise… C’est comme si on disait que les enfants des années 50 étaient tous hippies en 70 et que ceux des années 60 ne pensaient qu’au fric en 85… Absurde !

 

Mais alors que faire du management générationnel ?

Ce n’est pas parce que les clichés de la génération Y sont ineptes que les dirigeants ne doivent pas se questionner sur l’évolution du management.

D’où vient-on ? 

Le marché du travail des 30 glorieuses s’est caractérisé par le plein emploi et la nécessité de reconstruire et de bâtir un pays moderne. La valeur travail est alors centrale et l’abnégation va avec la sécurité de l’emploi (même dans le privé).

L’explosion du chômage au milieu des années 70 ne change pas les mentalités immédiatement. D’abord parce qu’on a cru à une crise cyclique et que personne n’imaginait que le chômage deviendrait si structurel.

Ensuite parce qu’il y a d’énormes effets d’inertie, les mentalités mettent plusieurs générations à s’adapter aux nouvelles donnes. Les dirigeants et cadres sup d’aujourd’hui sont entrés sur le marché du travail dans les années 80/90 et ont donc été modelés par les dirigeants des 30 glorieuses, tout en apprenant à vivre sans la croissance et avec le chômage.

Les quinqua d’aujourd’hui sont de plus en plus de la génération Y : combien en connaissons-nous qui ont plaqué un boulot sécurisé et bien payé pour une aventure entrepreneuriale, artisanale, artistique, et souvent hasardeuse ? 

Aujourd’hui, la donne a changé pour tout le monde

A ce jour, plus personne n’a réellement connu les années fastes.  

Le manager doit comprendre cette transformation, quels que soient son âge et les générations représentées dans son équipe, et en tirer les conséquences :

  • Il est logique et même sain que les salariés d’aujourd’hui ne soient plus viscéralement liés à leur entreprise : c’est une protection contre d’éventuelles décisions futures (PSE ou autre).
  • Il est salutaire que face à un monde de moins en moins lisible, chaque personne, quel que soit son âge, se pose des questions sur son utilité dans ce monde et sur le sens profond de ce qu’il fait.
  • Il est enthousiasmant de vivre à une époque où les femmes obtiennent de plus en plus de postes à responsabilité. Il faut inventer des solutions pour faire coexister cette aspiration avec celle, toujours vive notamment en France, d’avoir et d’élever correctement des enfants.
  • Il est heureux de vouloir s’éloigner de la mauvaise habitude qui fait que depuis les années 80, les managers travaillent de plus en plus, très, très loin des 35h, avec une vie perso qui en souffre forcément.

Ces changements sont en grande partie positifs même s’ils ont des inconvénients. Mais surtout, ils n’ont rien à voir avec l’âge.

Les quinqua d’aujourd’hui sont de plus en plus de la génération Y : combien en connaissons-nous qui ont plaqué un boulot sécurisé et bien payé pour une aventure entrepreneuriale, artisanale, artistique, et souvent hasardeuse ? Combien twitte, poste sur Facebook ? Combien veulent rentrer chez eux pour diner, et sans être exténué si possible ? Combien aspirent à plus de sens dans leur vie ?

 

Comment s’adapter ? 

Nous préférons l’idée d’un management moderne, c’est-à-dire adapté à son monde, plutôt qu’un management générationnel qui serait nécessairement clivant.

Aussi, traitons les individus, jeunes ou vieux, non par rapport à leurs âges mais par rapport à ce qu’ils doivent affronter aujourd’hui… Et vous allez voir que les motifs d’inquiétude sont souvent les mêmes à 25 et 55 ans :

  • Peur de l’exclusion du marché de l’emploi… Vrai dans les 2 cas.
  • Inquiétude liée au peu de perspectives et de garanties à long terme… Vrai dans les 2 cas.
  • Volonté de réussir sa vie perso faute de pouvoir tout miser sur la pro… Vrai dans les 2 cas.

 

Nous proposons 2 axes de travail pour le manager :

  • Travailler avec une équipe en admettant que ses membres sont de passage et là pour apprendre, se développer et vivre un moment fort sous votre management… Ce qui marchera tout aussi bien pour celui qui restera longtemps à son poste.
  • Proposer une relation au travail moins scientifique, et en tous les cas plus enthousiasmante, non pour fidéliser mais pour tirer le meilleur de tout le monde pendant le temps de votre collaboration.

Managez des missions courtes, excitantes, comme si tous, y compris vous, étaient en CDD… et si les gens restent plus longtemps, c’est tout bénef. 

 

La morale de l’histoire 

On le voit, poser la question depuis l’angle du management générationnel, c’est prendre le risque de vouloir reproduire un modèle ancien qui ne correspond plus à la réalité.

Nous sommes tous de la génération Y, et les prochains jeunes qui viendront sur le marché du travail nous emmèneront plus loin encore. Adaptons-nous ! 

Ainsi, nous aurons tous appris quelque chose de cette confrontation des rapports au monde… jeunes et vieux…

Connaissez-vous la permaculture ?

Ce mois-ci, pas de bouquin, de film ou de BD mais une pratique agricole qui donne à réfléchir : la permaculture. Et pourquoi pas du permanagement ?

La permaculture est une expérience très sérieuse d’agriculture productiviste, mais totalement BIO. 

Comment ?

Le principe est de s’inspirer du fonctionnement de la nature pour obtenir des synergies entre les cultures. Ainsi, la nature ne faisant pas de monoculture mais privilégiant la diversité et la densité, la permaculture reproduit ces notions. En Normandie, la ferme du Bec Hellouin cultive des centaines d’espèces sur des parcelles de 1000 m2.

http://www.fermedubec.com

Le résultat : des rendements immensément supérieurs à l’agriculture intensive classique, sans pesticide et sans machine. Il faut 700 m2 cultivés pour un salaire contre plusieurs hectares dans un système classique !

Vous nous voyez venir…

Et si on faisait du « permanagement » : s’inspirer de ce que la nature a compris pour le reproduire dans notre management ?

Les humains sont d’une immense diversité et sont plus performants pour créer que pour reproduire (contrairement aux fourmis)… Pourtant, on les manage comme des fourmis : tâches spécialisées, écoute faible, sacrifices fréquents.

Et si le bouillonnement et la transgression, qui sont des penchants naturels de l’Homme, devenaient les priorités du management ?

Le manager peut s’en sortir face à la mondialisation financiarisée

La globalisation et la concurrence mondiale sont devenues des lieux communs de l’analyse économique et géopolitique de notre siècle… Les politiques, peu au fait du sujet et parfois démagogues laissent penser à un système polarisé entre grands financiers, qui tirent les ficelles depuis Bruxelles ou le Qatar, et victimes qui en subissent les foudres en Lorraine ou à Detroit.

Dans la vraie vie, il y a aussi tous ceux qui font fonctionner le système sans qu’on leur demande leur avis : les managers intermédiaires des grandes entreprises… Aidons les !

 

L’équation de la mondialisation

Chaque jour, les managers de terrain des grandes et moyennes entreprises doivent jongler entre leur conscience et leur devoir ; entre leurs missions et leurs idées.

Tous les plans sociaux sont mis en œuvre par des managers de terrain qui n’ont rien décidé et parfois suppriment leurs propres postes dans l’affaire.

Des milliers de managers doivent répondre à leurs équipes qui fustigent la faiblesse de leurs primes par rapport à celles du top management, ou la fermeture d’un site par rapport à un résultat net exprimé en milliards d’euros. 

Vous me direz que ce n’est pas seulement la mondialisation qui est en cause. Certes, mais elle joue beaucoup. Si les grands groupes (Sanofi, Carrefour, Vivendi) cherchent continuellement à optimiser leurs marges alors que le résultat net est très important, c’est que le marché impose une attractivité immense des capitaux, sans quoi les investisseurs iront voir la concurrence.

Avec ces capitaux, Sanofi garde ses investisseurs, apprécie son action, poursuit sa croissance et continue d’employer près de 100 000 personnes en France !

Toujours est-il que cette analyse macro n’est d’aucune utilité sur le terrain et que nos managers de terrain sont concrètement en difficulté au quotidien.


 

Un dilemme

Avant d’aborder les solutions concrètes, reconnaissons d’abord un dilemme cornélien :

  • Dois-je résister aux excès du système, mais risquer de me mettre en marge ?
  • Dois-je assumer ce que je ne cautionne pas ?

Evidemment, il y a aussi les supporters du système mais soyons honnêtes, sur le terrain ils sont peu nombreux. Le sentiment de subir est trop fort.

Ce dilemme, nous le vivons aussi : en tant que consultant, doit-on refuser les projets qui nous heurtent ou tâcher de les accompagner pour qu’ils se passent au mieux ? Nous avons décidé de les accompagner parce que nous espérons, à notre minuscule échelle, limiter les excès et permettre aux managers de s’adapter.  

C’est d’ailleurs la posture que nous proposons : le système en place dans le monde est efficace globalement, et montre peu de faiblesse structurelle. Le mieux nous paraît être d’essayer de bien le comprendre pour en tirer le meilleur pour les organisations/équipes dont nous avons la charge.

 

Mais concrètement ?

Parce qu’évidemment, il ne suffit pas d’être en paix avec le système pour être efficace et parvenir à en démêler les complexités.

Comment mener un PSE dans une entreprise rentable ? Que dire à des équipes qui utilisent le niveau de résultat du groupe comme argument ?  

Oser le débat contradictoire avec ses managers intermédiaires :  

À éviter : leur demander d’appliquer sans discussion, de « tenir la position » sans savoir ce qu’ils en pensent, c’est l’assurance qu’ils seront mal à l’aise. Demander à un manager de dire qu’il est tout à fait logique de réduire les effectifs alors qu’un Groupe est bénéficiaire, c’est une illusion. Certes, on peut le rationnaliser intellectuellement, mais à chaud, face à un opérateur, c’est mission impossible. 

À essayer : Accepter la contradiction, leur permettre d’exprimer leurs doutes, les accepter et parfois même les partager. Qui n’est pas dubitatif aujourd’hui sur la marche du monde et le pouvoir des financiers londoniens, qataris ou américains ? Le nier n’avance à rien. Il vaut mieux évoquer la question et trouver ensemble le message managérial qui concilie les valeurs avec les décisions corporate.

 

Renforcer la puissance du projet local

À éviter : décliner sans filtre les projets et demandes du corporate et user du « ça vient de tout là-haut » pour couper court à la discussion. C’est à la fois simpliste et inefficace parce qu’un projet qui n’est pas compris par une équipe est l’assurance qu’il ne portera pas ses fruits.

À essayer : bâtir de vrais projets d’équipe, d’entité, d’usine ou de service et les déployer aux équipes en ayant intégrer les projets corporate, actuels et futurs permet de garder la main. Plus l’acteur de terrain peut se référer à une ambition locale, une aventure à laquelle il donne du sens et adhère, moins il verra le marché ou le Groupe comme des menaces insaisissables. Les acteurs sont beaucoup plus sereins que les spectateurs face au changement.

 

Ne pas s’enfermer

Nous ouvrons ce débat, mais évidemment avec moins de certitude que jamais. Nous vivons dans un système où les décisions sont difficiles à tracer, soumises aux aléas boursiers, stratégiques, politiques.

La seule voie que nous avons trouvée est celle qui consiste à être le plus agile possible dans cet océan très agité… Et pour reprendre la métaphore de Lynch et Kordis (La stratégie du Dauphin, éditions de l’Homme, 2006) : il y a ceux qui subissent et espèrent que le boulet passera à côté, les carpes ; ceux qui décident de tuer pour se faire leur place, les requins ; et ceux qui inventent des solutions hors du cadre pour créer de la valeur, les dauphins…

Nous croyons plus à l’intelligence qu’à la violence ou à la passivité, autant vous le dire.

La dernière fois que vous avez surpris votre équipe, c’était quand ?

A l’instar de la célèbre « routine du couple » qui dévitalise la relation amoureuse, l’engagement et la mobilisation des équipes sont en danger quand s’installe la « routine managériale ». De la première on fait des milliers de livres et d’articles dans les magazines, de l’autre on ne dit rien. Attention, sinon vos équipes iront voir ailleurs… 

 

La routine vient d’abord de la volonté de bien faire 

C’est toujours pareil, au début on a plein de petites attentions, on se dit qu’on sera différent, meilleur, on prend des bonnes résolutions. C’est la période que, y compris dans le cadre professionnel, on appelle souvent la « lune de miel ». Mais nous sommes dans des sociétés qui, à coups de surcharge et de reporting, nous ramènent vite dans le rang.

Souvent après une crise ou un rush, la peur de faire des erreurs reprend le dessus, efface nos ambitions premières et les remplace par un comportement plus « classique » destiné surtout à ne pas faire de faute.

C’est souvent comme cela que la routine s’installe… 

Certains ont alors tendance à reproduire ce qui a marché ailleurs, comme une bonne recette… aucune raison que ça ne fonctionne pas cette fois-ci ! D’autres se contentent de faire ce que tout le monde fait : un directeur d’usine va travailler son schéma directeur, son plan à 3 ans, ses processus façon Lean ; un DG va lancer un projet de relance « CAP 20XX » ou « XXX 2.0 » qui sera déployé strate par strate et lancé à l’occasion d’une messe très solennelle.

Deux façons de faire qui ont le même défaut, celui de ne pas construire une dynamique par et pour les équipes, qui elles commencent à avoir l’impression que « l’on a déjà vu cela ailleurs ». 

Bien sûr, nous ne jetons pas l’opprobre sur les managers qui jonglent entre leur volonté de marquer leur empreinte et la rigidité d’un système qui, comme nous l’avons dit le mois dernier, réduit leurs marges de manœuvre.

Avant (Il y a 20 ans et plus), nous avions des organisations qui changeaient peu et, en revanche, des managers assez différents. Aujourd’hui, c’est l’inverse : les organisations changent sans cesse et les managers sont de plus en plus uniformes, pas interchangeables encore mais c’est un risque pour l’avenir.

Les managers s’enchaînent, se ressemblent, se font prévisibles et presque invisibles.

La routine est là.

 

La routine, le manque d’écoute, la lassitude

Le premier effet de la routine, c’est le manque d’écoute. Celui du haut de l’organisation d’abord qui, lancé dans une démarche lourde et parfois sourde, ne s’attache plus à prendre en compte les remontées du terrain ou même à s’assurer que les équipes suivent encore. 

Manque d’écoute du bas vers le haut aussi, car les équipes lassées ne s’impliquent plus dans l’énième projet ou l’énième plan d’action qui leur est proposé. On cesse de se remettre en question et on continue à faire un peu plus de la même chose, la force des habitudes. 

Et comme dans un couple, on risque de finir par aller voir ailleurs : soit le manager, qui change de terrain de jeu pour commencer un nouveau cycle, soit des membres des équipes qui, sans forcément changer d’entreprise, ne sont plus vraiment là.

Vous devez avoir UNE idée en tête : surprendre. Surprendre en n’organisant jamais deux événements collectifs de la même manière (hors rituels), en rajoutant toujours un élément qui étonnera et marquera les esprits. 

La solution : des rituels mais pas de routine

Pourtant, l’amour est encore là. Nous voyons tant de collaborateurs qui ont un fort sentiment d’appartenance à leur entreprise, qui aiment leur métier et en sont fiers. Nous voyons tant de managers engagés, passionnés, donnant sans compter de leur temps et de leur intelligence pour faire progresser leurs équipes. L’envie est rarement partie, elle est endormie plutôt.

L’enjeu n’est donc pas de tout jeter ou de tout faire différemment. Au contraire la première chose à faire est de poser des bases saines : un projet d’entreprise stable, des rituels solides et pérennes. Prendre des décisions prévisibles, parce qu’elles sont connectées à une vision qui est claire pour tout le monde, ce n’est pas un défaut, c’est un socle. Mais il ne faut pas s’arrêter là.

Ce qu’il faut faire, c’est changer votre manière de faire. Là-dessus, vous devez avoir UNE idée en tête : surprendre. Surprendre en n’organisant jamais deux événements collectifs de la même manière (hors rituels), en rajoutant toujours un élément qui étonnera et marquera les esprits.

Surprendre, ce n’est pas de faire quelque chose d’incroyable mais quelque chose de différent. De donner l’impression à votre équipe que vous vous remettez en cause personnellement, vous ou votre Codir, que vous savez prendre des risques, que vous vous exposez. Si vous faites cela, vos équipes auront envie de venir, de vous écouter et, pour certains, de prendre des risques eux aussi.

Après, une grande partie des conseils applicables aux couples sont parfaitement adaptés à la relation managériale :

  • Improviser : être spontané, ne pas tout ficeler à l’avance, éviter de tout planifier et laisser de la liberté à votre équipe.
  • Tenter de nouvelles choses : ne pas croire que « ça ne marchera jamais » et que « ça ne vaut même pas le coup d’essayer ». Accepter le droit à l’erreur.
  • Communiquer, communiquer, communiquer.
  • Multiplier les petites attentions : pour valoriser et soutenir quand vos équipes en ont besoin. 

Bien sûr, surprendre n’est pas une fin en soi. Ce qui soude à long terme, dans le couple, dans l’amitié ou en entreprise, c’est ce que nous vivons ensemble, ce que nous construisons ensemble.

 

Et cette construction n’est pas qu’un fait : ce n’est pas le fait d’avoir un enfant qui construit, c’est de l’élever ; ce n’est pas le fait d’emménager dans un nouvel appartement, c’est de vivre dedans. Bref, l’animation de l’équipe doit se rythmer par les réalisations communes et pas uniquement par l’animation astucieuse et originale du quotidien.

Asterix n’a pas que la potion !

Ce qui semble caractériser le petit gaulois et ses amis, c’est d’abord l’accès à une potion magique qui les rend invincibles. Oui au premier coup d’œil mais à y regarder de plus près, l’intérêt des aventures d’Astérix repose sur les limites de la potion :

  • La zizanie : conflits internes, donc il y a de la potion pour tout le monde et son effet s’annule.
  • La serpe d’Or, Les Helvètes : impossible de fabriquer la potion.
  • Chez les Bretons : la potion est perdue au pire moment.
  • Les 12 travaux : épreuves d’intelligence, la potion est inutile dans bien des cas.

Etc…

Ce qui rend les histoires d’Astérix intéressantes, c’est l’incertitude, la question de savoir comment ils vont s’en sortir. Si la potion magique suffisait l’album aurait 3 pages : avant la bataille, bataille, banquet.

Quel rapport avec le management ?

Si vous voulez que vos équipes de terrain se mobilisent, inventent, progressent, ne vous focalisez pas sur la recherche de potions, de solutions soi-disant parfaites qu’elles n’auront qu’à appliquer. Le manager doit faciliter la tâche, aider à surmonter un problème mais toujours laisser à l’autre un espace d’appropriation, un défi qui fasse appel à son intelligence et son expérience.

Sans quoi, pas d’aventure et donc pas de fierté ; la récompense (le banquet) est alors déconnectée de l’effort et elle est soit vécue comme un dû, soit ignorée tout simplement.

Managers cherchent responsabilités…

C’est un retournement de situation comme seul le monde de l’entreprise sait les faire. Depuis toujours, les managers cherchent des outils pour responsabiliser leurs équipes : une quête noble. Seulement, nous constatons dans nos missions que le fléau de la déresponsabilisation touche tout le monde, et probablement davantage les managers eux-mêmes que leurs équipes. Managers, et si le temps était venu de briser vos chaînes  ? 

 

Prison en bas, prison en haut

Les équipes que nous croisons lors de nos pérégrinations managériales nous le disent toutes, quelle que soit leur activité ou la taille de leur entreprise, elles ont le sentiment d’un flicage grandissant, d’un management gendarme, d’être infantilisées. 

Et il faut bien admettre que nous les comprenons. Au fil du temps, les modes de fonctionnement des grandes entreprises se sont rigidifiés. À coups de procédures hyper cadrées, d’indicateurs pléthoriques et de plans d’action superposés, les entreprises ont créé une prison d’outils et de systèmes.

Pour les équipes et les managers de terrain, ces contraintes pèsent surtout sur le climat social. Bien sûr, nous pensons que l’autonomie donnée aux équipes est une source extraordinaire de création de valeur, mais admettons que leurs degrés de liberté ayant souvent été très limités, ils ont surtout eu la désagréable sensation de passer de pas grand chose à rien du tout.

Quand on remonte la hiérarchie en revanche, c’est la dégringolade.

Ces mécanismes privatifs de responsabilité ont cruellement vidé les missions managériales de leur substance. Dans les grands groupes industriels, autrefois, la responsabilité du chef d’atelier était grande : définition et amélioration des processus de fabrication, détection et évolution des talents, achats, etc. Aujourd’hui, un directeur d’usine n’a, pour les budgets, que l’autorisation d’écrire exactement ce que l’on attend de lui, on lui dicte aussi ses choix de recrutement et il doit faire des rapports presque quotidiens sur les rendements de ses machines. 


Le serpent qui se mord la queue

Dans ces entreprises, il est devenu vain de rechercher qui est responsable parce qu’il y a toujours quelqu’un qui réglemente le fonctionnement de l’autre (un supérieur hiérarchique, une fonction corporate voir un acteur extérieur qu’il soit certificateur, inspecteur du travail ou consultant).

Et puis le fait de piloter les contraintes de l’autre est, en soi, une contrainte : n’a-t-on jamais vu un responsable se plaindre du nombre de réunions qu’il a lui-même mises en place pour piloter l’ensemble des processus de sa propre entité ? 

 

La surcharge de travail, meilleur ami de la déresponsabilisation 

Les procédures et les contraintes à elles-seules ne permettent pas d’expliquer le triste mais galopant succès de la déresponsabilisation en entreprise. Il est en effet surprenant de constater la relative docilité avec laquelle les managers ont accepté de voir leurs prérogatives dévorées, leurs marges de manœuvre mises en miettes. 

La raison est toute simple : ils avaient autre chose à faire…

Plusieurs managers, passant d’un poste opérationnel à un poste projet, même temporaire, nous ont fait part de leur désarroi et d’un sentiment de vertige dû à cette autonomie retrouvée

La surcharge de travail est probablement la plus redoutable des armes de déresponsabilisation massive. Elle agit comme une drogue sur les managers qui la subissent. Elle détourne le leader de sa responsabilité car elle le saoule de mails, de réunions, de reporting.

Elle est agréable aussi, même si tout le monde s’en plaint, car elle fait passer la journée plus vite et donne à sa victime le sentiment du devoir accompli.

Elle se rend même indispensable chez certains, car un manager qui a un agenda et une boîte mail vides se sent désemparé, il n’a plus l’habitude, il a l’impression d’être inutile.

Plusieurs managers, passant d’un poste opérationnel à un poste projet, même temporaire, nous ont fait part de leur désarroi et d’un sentiment de vertige dû à cette autonomie retrouvée et dont ils ne savaient pas quoi faire. Ils étaient en manque de surcharge.

 

Seul remède, la cure de transgression 

Comme face à toute addiction, il faut d’abord du courage pour s’en sortir. Personne ne s’attend à ce que vous luttiez comme le mouvement inexorable de déresponsabilisation, il va donc falloir provoquer vous-même cette recherche du retour au management responsable.

Prendre des risques ? Voilà le retour de la responsabilité.

Pour cela, vous devrez d’abord redonner de l’air à votre agenda et à ceux des membres de votre équipe. Diminuer les sources de pression qui asphyxient toujours un peu plus les capacités d’initiatives. 

Comme rien ne vous sera donné, il faut gagner ces espaces de liberté. En optimisant vos tâches d’aujourd’hui ? Oui bien sûr, même si le gain sera faible et avec le risque que l’espace libéré soit immédiatement repris par d’autres tâches.

L’arme la plus efficace, c’est la transgression. Vous devez questionner les lois de votre entreprise et remettre en cause celles qui vous semblent inadaptées, inutilement chronophages ou à faible valeur ajoutée. Transgresser implique de prendre des risques, et seuls les résultats obtenus vous permettront de justifier vos choix a posteriori. Prendre des risques ? Voilà le retour de la responsabilité.

Bien sûr, le mouvement de retour à un management responsable est progressif. Nous croyons sur ce sujet à l’efficacité de la tactique des petits pas : pas d’effet d’annonce présentant le retour triomphant du manager-entrepreneur mais des petites victoires successives qui, tenues dans la durée, créeront le cycle vertueux de la reprise en main d’un rôle responsable. Le temps long, lui aussi, est un signe de responsabilité.

Nous savons à quel point le rôle du manager est difficile, nous n’en sommes que plus admiratifs de ceux qui, à tous les niveaux, se battent pour retrouver la responsabilité, seul gage crédible de liberté et d’audace.

 

Pourquoi la comm ne change rien

Affiches, films, intranet, mails, écrans, cérémonies des voeux, lettres… la communication est une reine aux multiples visages dans nos entreprises. C’est l’action réflexe pour faire bouger les équipes sur la sécurité, la qualité, l’efficacité…. Mais est-on sûr que ça a une quelconque efficacité ?

 

Le paradoxe de la communication

Pour certains c’est le diable, le symbole d’un consumérisme fou qui assume la manipulation plutôt que l’information et qui exploite les faiblesses humaines au lieu de faire appel à l’intelligence. 

Sans aller tout à fait jusque-là, force est de constater que la communication a pris une place folle dans nos vies et, pour ce qui nous intéresse, dans nos entreprises.

Les agences de comm sont nombreuses, les opérations qualité/sécurité sont devenues incontournables et surtout les dirigeants des entreprises ont souvent le réflexe de la communication comme s’il s’agissait d’une solution miracle :

  • Les usines ne s’adaptent pas au monde moderne ? La comm est mal passée.
  • Une équipe ne se remet pas en question ? Il faut communiquer plus clairement sur le contexte et la nécessité de changer.
  • Le taux de fréquence a augmenté ? Il faut une campagne de communication pour re-sensibiliser.

Alors que l’on a pris l’habitude d’analyser tous les chiffres, chaque action, nous avons l’impression que la comm passe entre les gouttes et que l’on continue à en faire sans savoir si c’est vraiment efficace :

Dans la pharmacie par exemple, la période de « vache grasse » est terminée depuis 10 ans et les dirigeants, constatant que les équipes sont toujours nostalgiques, veulent communiquer… ils le font depuis 10 ans, sans résultat…

La communication, c’est un peu comme le McDo : personne n’aime vraiment ça, mais tout le monde y va.

 

Elle est souvent infantilisante

Une première explication de cette inefficacité, c’est que la comm est trop souvent péremptoire, elle ne parle pas à l’adulte mais à l’enfant :

  • « La sécurité c’est l’affaire de tous » Ah bon ? 
  • « mettez des gants pour protéger vos mains » 8-/

La comm dans les entreprises est souvent une transposition de la comm des parents avec leurs enfants.

Sur la comm stratégique, c’est (un peu) plus subtil, mais le message est toujours asséné comme une vérité immuable, aussi vrai que les lois de la gravité :

  • « Il faut faire de la productivité pour sauver vos emplois »
  • « Il faut s’internationaliser pour rester compétitif »

Mais si vous avez raison, pourquoi avoir peur de débattre au lieu de simplement affirmer ? Ce n’est pas de pédagogie dont a surtout besoin un adulte, c’est de réfléchir. 


 

Rarement crédible

Du coup les messages ne passent pas, ils ne sont pas crus. Déjà, l’humain a tendance à se méfier des idées des autres en temps normal et à préférer les siennes… si en plus on ne le fait pas réfléchir, alors la communication devient même suspecte. 

Très souvent, la comm semble déconnectée de la réalité : la direction parle d’une victoire alors que les équipes ont surtout l’impression d’être sous pression depuis des mois ; la communication parle de respect alors qu’en bas on a l’impression d’être déconsidéré chaque jour un peu plus.

 

Elle marche quand elle n’est pas seule

Pour autant, arrêter la communication parce qu’elle marche mal est un mauvais calcul. Il y a aussi des exemples de communication efficace. Quand elle est adossée à un projet dynamique dans lequel on va chercher à faire réfléchir, à impliquer les gens.

Dans ce cas, la comm est efficace parce qu’elle nous rappelle nos engagements et contribue au sentiment d’appartenance.

 

Dans le doute, abstenez-vous !

Partant de ce constat, nous recommandons de ne JAMAIS considérer la communication comme une solution, quel que soit le problème. La communication n’est pas la solution, elle l’accompagne. D’ailleurs un projet sans comm peut marcher, une comm sans projet, non.

Ou alors, en soutien des actions déjà lancées 

Une fois que le projet est lancé, qu’il a fédéré suffisamment d’alliés pour générer un flux d’actions significatif, alors la communication est utile parce qu’elle soutient ceux qui avancent.

Son unique intérêt est de fédérer la communauté d’alliés car si vous demandez à un passif ce qu’il pense de la comm, il vous répondra « du pipeau », et un opposant vous dira que c’est « de la propagande ».

La communication n’est crédible que si elle est précédée d’actions.

Et avec quelques règles

Finalement la communication est une action nécessaire mais elle ne doit pas être faite pour qu’on puisse dire : le sujet est traité.

Une communication doit soutenir un effort et donc respecter quelques règles :

> Soutenir ce qui est réalisé. Elle ne demande rien parce que personne n’agit juste parce qu’une affiche le lui demande. 

> Chercher à parler le langage du terrain, en évitant les formules intellectualisantes ou infantilisantes. Puisque l’on raconte ce que font les équipes, il est logique de parler terrain et pas avec un langage institutionnel. 

> Changer constamment les codes de communication. Parce que la comm ne marche que si elle est nouvelle, il faut varier souvent les supports et le ton. Les possibilités sont innombrables : faire distribuer des tracts aux managers, organiser une communication itinérante et collaborative… Réinventez-vous et éliminez les communications trop anciennes.

Un jour sans fin… un autre regard sur la courbe du changement

Vous allez dire que nous voyons des leçons de management partout et que nous passons des soirées soporifiques à regarder nos VHS oubliées, nous assumons ! Ce mois-ci nous vous conseillons de (re)voir Un jour sans fin d’Harold Ramis

Pour le spectacle jouissif de voir Bill Murray recommencer éternellement la même journée pour l’améliorer ou pour son illustration fidèle des étapes du changement chez l’être humain. Peu importe la raison, c’est un film jubilatoire.

Le changement, le film ne parle que de ça… Ou plutôt de l’absence de changement puisque la même journée se répète inlassablement comme un disque rayé. Et Bill Murray est le seul à s’en rendre compte :

  • D’abord, incrédule, il lutte contre ce fait auquel il ne veut, il ne peut pas croire.
  • Ensuite, joueur, il cherche à améliorer la journée pour gagner de l’argent, séduire, mais sans changer ce qui le bloque sur cette journée (son incapacité à s’engager)
  • Enfin, il cherche à s’en sortir et comprend qu’il devra se changer lui-même plutôt que changer seulement ce qui l’entoure.

C’est une bonne leçon, une bonne image de ce que nous observons dans les entreprises :

  • Du déni, quand on veut croire que le passé peut demeurer la réalité.
  • De l’agitation (de la surcharge de travail), quand on s’active à faire mille choses sans jamais vraiment rien changer.
  • Du progrès enfin, quand on se confronte au réel et qu’on travaille sur les choses importantes.

« Vous ne changerez pas les Hommes » nous disent souvent nos clients… Non. Mais eux peuvent décider de changer.

Votre Codir est-il une table ronde ?

Codir, Comex, Comag, CD. Peu importe le nom, le comité de direction est l’organe de décision que les entreprises mettent en place pour traiter les sujets stratégiques et transverses… en THÉORIE, car en pratique, ce n’est que très rarement le cas. Dans 80% des cas, le Codir ne fonctionne pas bien. Une malédiction ? Non, un défi managérial ? Sûrement.

Un Codir avec un seul directeur, ce n’est pas un Codir 

Le Codir a un principe noble : celui de rassembler les top-décideurs d’une entreprise, d’un site, d’une filiale pour partager sur sa trajectoire et l’aider à développer une stratégie gagnante à moyen terme. 

Du coup, la réunion Codir ressemble souvent à un triste monologue, à un fonctionnement quasi-monarchique qui ne satisfait personne mais dont tout le monde s’accommode. 

Il est souvent composé d’un directeur général et de ses n-1, managers ou non, responsables des fonctions-clés de l’entreprise. 

Et 80% du problème est déjà là, vous avez au Codir deux niveaux hiérarchiques, et le directeur général est à la fois celui qui prépare les sujets, celui qui les présente en majorité, celui qui pose des questions, celui qui y répond et celui qui arbitre au final.

Du coup, la réunion Codir ressemble souvent à un triste monologue, à un fonctionnement quasi-monarchique qui ne satisfait personne mais dont tout le monde s’accommode. Le DG car il évite la contradiction, les autres car ils n’ont pas à assumer la responsabilité des décisions prises.

Ainsi, l’intérêt du Codir est nul, ou presque. Personne ne dit au DG s’il va dans le mur et les membres du Codir ont du mal à défendre les décisions parfois difficiles qui sont prises dans ces réunions. Résultat : chacun perd 3h par semaine, parfois plus.

  

Un Codir qui pense court terme, c’est un anti-codir

Un Codir, initialement, est un moment où l’on s’extrait du quotidien, de « l’opérationnel » pour aborder des sujets de fond, moyen et long terme, stratégiques. En THÉORIE là aussi. 

En réalité, la majorité des Codir n’atteint jamais cet objectif. Le Codir devient un outil de gestion des affaires courantes, où chacun vient avec ses irritants ou ses priorités du jour qu’il expose à des collègues qui l’écoutent (à moitié, car certains lisent leurs mails en même temps…) pour être sûrs que les actions de l’autre ne menacent pas leurs propres objectifs. 

Difficile de dire que ce problème est un simple sujet d’efficacité, qu’il est question d’animation ou de structuration de réunion. C’est d’abord une question de fond : soit que les membres du Codir sont trop mouillés dans les problèmes court terme (et ils apportent donc ces problèmes dans chaque réunion à laquelle ils participent) soit que la vision long terme est si floue et éloignée de leurs préoccupations que les sujets du quotidien sont une échappatoire naturelle et salutaire.

Manager un Codir est difficile, alors vouloir le faire avec un groupe de plus de 10 personnes est à la fois présomptueux et illusoire. 

Et du coup non seulement le Codir est inutile, mais il est contre-productif. Inutile car il ne permet pas de traiter les sujets pour lesquels il est conçu ; contre-productif car il traite les sujets opérationnels sans impliquer les acteurs de terrain qui, écartés de la prise de décision, sont moins engagés dans leur mise en œuvre.

 

Un Codir pléthorique, ça tue un Codir

L’autre défaut tout aussi problématique, et objectivement moins excusable que les deux autres, c’est le Codir trop nombreux qui rend impossible l’échange, la complicité, la cohésion et l’engagement collectif. Les deux points précédents ont montré à quel point manager un Codir est difficile, alors vouloir le faire avec un groupe de plus de 10 personnes est à la fois présomptueux et illusoire. 

Bien sûr, cela permet de toucher plus de personnes en même temps, bien sûr cela donne un sentiment d’importance aux personnes qui en font partie, une impression de responsabilité. Mais que voilà des avantages bien pauvres en regard des dégâts que le surnombre cause à l’esprit de groupe, à la codécision, à l’ambiance même tout simplement.  

 

Le Codir, c’est une table ronde

Pour faire un bon Codir, travailler la réunion elle-même est un exercice limité. Cela demande beaucoup d’efforts (rigueur dans les horaires, structuration de l’ordre du jour) pour des bénéfices limités dans le temps et dans la portée. Cela ne veut pas dire que cette action est inutile, mais que s’arrêter aux sujets techniques est cosmétique. Le vrai sujet est autour du projet d’entreprise.

Un Codir doit d’abord être DIRIGÉ, non pas par le directeur général mais par le projet d’entreprise. Quels sujets abordés ? Qui porte quels sujets ? Quelles décisions ou actions sont attendues du Codir ? Tout cela doit être issu d’un travail plus fondamental sur la vision d’entreprise. Le court terme ? Il doit tout simplement être exclu de ces échanges en Codir. Pas de tour de table pour évacuer le quotidien en début de réunion, car c’est ainsi qu’il cannibalise tout le temps imparti.  Même la sécurité, même le social, même les résultats de production du jour. Rien que du projet d’entreprise. 

Pour cela, un Codir doit aussi être ADAPTÉ. Il n’est pas interdit de réfléchir intelligemment à la constitution de son Codir, ni d’imaginer que le casting puisse changer en fonction du projet d’entreprise et des priorités fixées. Il n’est en revanche jamais bon de mettre quelqu’un au Codir parce que « son prédécesseur y était », que « tout le monde fait comme ça » ou que, fin du fin, « je ne peux pas ne pas le/la mettre au Codir ». Bien sûr, la dimension humaine est importante et certains seraient choqués d’être sortis du Codir. Cela s’accompagne, et s’accompagne bien mieux si chacun sait quelle est sa place, sa contribution au projet d’entreprise.

Pour ceux qui sont au Codir, leur participation doit enfin être COÛTEUSE, l’inverse d’une place honorifique pour managers en quête de médailles ou de galons. Par les sujets qu’ils animent, par la responsabilité qu’ils doivent assumer sur les décisions stratégiques, par les messages qu’ils doivent porter aux équipes (la leur et les autres), par le niveau d’exigence du directeur sur leur production individuelle, la présence au Codir doit être en elle-même un challenge.

Posez-vous la question : les membres de mon Codir sont-ils concentrés, en tension (pas forcément sous pression) au début d’une réunion Codir ? Si ce n’est pas le cas, c’est que leur participation n’est pas assez engageante. 


C’est la raison pour laquelle nous comparons souvent un Codir à la table ronde du roi Arthur : tout ceux qui ont une place à la table ont un rôle à jouer, chacun s’exprime sur les sujets de tous, sans problème de légitimité. Les places de chacun ne sont pas immuables (il y a plus de chevaliers éligibles que de places). Chacun a des dragons à combattre pour justifier son rang. Et bien sûr, chacun et tous sont tendus vers un même objectif, la quête du graal.

ALBUS CONSEIL