Tout comme les seniors, les jeunes souffrent de nombreux préjugés : issus des générations Y et Z, ils seraient plein d’énergie, créatifs à souhait, zappeurs, indépendants, capricieux…
L’idée n’est pas de prétendre que tout cela est faux, mais plutôt de se dire que partir de ces caractéristiques pour les manager serait une grave erreur. Surtout parce que manager l’âge uniquement est rarement une bonne idée et que comme nous tous ils ont surtout besoin d’un management à la personne.
Dans ce podcast on essayera de comprendre comment ne pas tomber dans le piège de vouloir plaquer ces préjugés sur son management et on discutera des façons de manager au mieux une génération qui nous paraît parfois loin de nous.
Catégorie : livre
Soyons fiers d’être mal à l’aise
De toutes les émotions qui traversent les individus en entreprise, il en est une qui est peu visible, tenace et qui provoque des conséquences particulièrement néfastes quand elle n’est pas traitée, c’est le malaise.
Or levons le doute tout de suite : ce n’est pas le malaise qui pose un problème en soi, car c’est un révélateur sain de nos désaccords, mais bien son traitement. On est mal à l’aise d’exprimer son malaise ! Et les conséquences en management sont dramatiques : messes basses et formation de clans, résignation et désengagement, réveil tardif alors que le projet est déjà engagé.
C’est l’émotion des lents
Et oui c’est une émotion noble. C’est une intuition de recul, une rebuffade qui me souffle que je ne suis pas totalement d’accord avec ce que j’entends. Quelque chose en nous veut faire une pause, mais ne sait pas vraiment pourquoi. D’aussi grandes et belles décisions peuvent venir d’un malaise bien décortiqué que d’une colère fortement exprimée. Le malaise a juste un tempo plus lent.
Et c’est une émotion normale en entreprise, haut lieu de changement de directions d’origines peu claires, de présentations bien ficelées sur lesquelles on nous demande de nous faire un avis en 5 minutes, de personnalités convaincues qui parlent vite et fort. Et alors comme une dernière défense, notre malaise se dresse : on ne sait pas encore quoi dire contre, mais on a besoin de vérifier un truc, de se poser tout seul pour voir la big picture.
On peut reprocher très justement au malaise la facilité avec laquelle il nous laisse dans l’inaction. Facile à cacher, pas toujours insupportable, on sait que dans quelques heures on n’y pensera plus.
C’est un piège. Les malaises reviennent toujours.
Assumons d’être des emmerdeurs
On ne dit rien d’habitude pour l’excellente raison que ce n’est « que » un malaise. Et face à un argumentaire serré, une présentation bien préparée, on a l’impression de ne pas être à la hauteur du débat en parlant d’une sensation aussi vague. On se sent quand même moyennement armé dans nos arguments, avec la peur de passer pour un emmerdeur ou de rester les bras ballants quand on nous demandera notre proposition.
Mais on n’a pas encore de proposition et c’est ok ! Non je ne réfléchis pas à la vitesse de la lumière, non je n’ai pas tous les éléments en tête, j’ai besoin de temps pour m’approprier les choses et je veux pouvoir réfléchir à tête reposée.
Mais en ravalant son malaise, on fabrique des projets bancals et des équipes résignées
La première chose qu’il se passe quand on ne dit rien de son malaise c’est que la réunion va conclure sur une proposition plutôt logique et qui a l’air de convenir à tout le monde.
Dans le meilleur des cas la proposition validée fonctionne, mais on se sera forcément un peu désengagé. Dommage.
Dans le pire des cas le malaise s’enkyste, soit qu’on rumine seul dans son coin, soit qu’on rassemble un groupe silencieux de gens d’accord avec nous. A la longue les comportements se tordent, créant des non-dits, du passif, des clans, des décalages de perception…
C’est l’enfer pour tout le monde.
Alors allez chercher le malaise !
En entreprise il y a 1000 occasions de malaise : quand on débute sur un poste, quand on n’a pas tout compris de ce qu’on attend de nous, quand on s’entend mal avec un collègue, quand on doit faire un feed-back difficile, quand on nous annonce un plan stratégique…
Si vous gérez des équipes, ne vous contentez pas de réunions silencieuses. Posez simplement une question : « est-ce qu’il y en a qui sont mal à l’aise avec ça, même sans savoir pourquoi ou sans avoir une contre-proposition aboutie ? ».
Et parce qu’on ne voit pas toujours tout, discutez régulièrement en off avec chacun de vos collaborateurs, à la machine à café, autour d’un déjeuner…
Mener le combat pour la normalisation de l’expression du malaise vous permettra de réduire durablement les tensions et d’engager vraiment vos collaborateurs sur vos projets. Vous aurez peut-être de fausses alertes mais y gagnerez infiniment en relationnel.
Message à caractère informatif: des vidéos complètement ringardes et has been?
Nous vous invitons à voir ou revoir en ce début d’année les vidéos de « Message à caractère informatif », mini série de Canal + des années 90.
Le principe ? Reprendre des vidéos Corporate des années 70-80 (ambiance moquette aux murs, grosses lunettes et cravates king size) et les détourner pour souligner le ridicule de nos jargons, codes et procédures en entreprise.
La série se concentre principalement sur la COGIP, entreprise française poussiéreuse à l’activité floue. On y découvre « le winner », qui adore travailler avec lui-même, l’équipe adepte de réunionite qui ne sait même plus pourquoi elle participe à cette réunion, la cheffe d’entreprise qui licencie les ¾ de ses salariés du fait de la hausse de son chiffre d’affaires… Tant d’archétypes que nous retrouvons au quotidien !
Regarder « Message à caractère informatif », ce n’est pas seulement se marrer de l’absurdité des situations (« voilà, grâce à moi, vous allez épater tout le monde grâce au choix de vos crayons de couleur pour tracer les courbes »), c’est aussi prendre du recul par rapport à nos travers au boulot : et si on arrêtait de parler avec un jargon pour masquer notre mauvaise maîtrise d’un sujet ? Et si on mettait de côté les winners qui jouent solo ? Et si on assumait de ne pas être toujours au top de la motivation et d’avoir parfois envie de glander à la machine à café ?
L’histoire du premier match de baseball États-Unis vs Japon – ou comment éviter le piège de la nouveauté
A la lecture de Transpacific Field of Dreams de Sayuri Guthrie-Shimizu, on découvre les liens nippo-américains à travers l’histoire du baseball au Japon. Un épisode marquant de cette histoire est riche d’enseignement.
Le baseball a été introduit dans l’archipel au début des années 1870 mais le premier match nippo-américain a été joué en 1896, entre les jeunes de l’école préparatoire Ichiko et une équipe constituée d’expatriés américains, ces derniers éprouvant un vif dédain pour le niveau des Japonais.
En 1896, donc, une série de 4 matchs est jouée. Le résultat est sans appel : 3-1… pour les japonais. Cette victoire n’était pas évidente : d’un côté, des Américains sûrs de leurs compétences et de leur supériorité naturelle, de l’autre, de jeunes japonais vigoureux et volontaires, à l’esprit d’équipe exacerbé.
Mais comment fait-on triompher l’envie face à la compétence ?
C’est en s’appuyant sur le passé que les jeunes Japonais sont parvenus à créer une force inarrêtable. En effet, les étudiants d’Ichiko étaient issus d’anciennes familles de samouraïs ayant pour valeurs une ténacité à toute épreuve, un esprit de dévouement, un patriotisme et un courage sans faille. Ainsi, comme leurs ancêtres, les élèves d’Ichiko s’entrainaient-ils tous les jours, par tous les temps. Se plaindre était interdit et, lorsqu’ils étaient frappés au visage par une balle mal lancée, ils ne pouvaient dire « aïe » ou « j’ai mal » mais devaient dire : « ça démange ». C’est, sans aucun doute, ce même socle historique et culturel qui explique le beau parcours de l’équipe japonaise dans la coupe du monde de rugby … un succès encore une fois inattendu.
Vous avez un défi gigantesque à présenter à vos équipes ? Ou même simplement un projet qui semble compliqué ? Peut-être serez-vous tenté de chercher de la nouveauté pour motiver vos troupes. Mais, comme les jeunes hommes de l’équipe d’Ichiko, vous pourrez aussi vous appuyer sur l’histoire de votre groupe.
Nul besoin de toujours faire du neuf pour porter vos samouraïs vers le succès, même face à l’adversité la plus forte.
Eric Bellion, le Shackleton moderne !
Vous vous souvenez de Shackleton, cet illustre explorateur parti en 1914 à la conquête de l’Antarctique avec 26 matelots ?
Une centaine d’années plus tard on regarde cette Aventure comme une vieille légende : géniale mais absolument intransposable dans notre monde d’aujourd’hui !
Et pourtant, en 2012, Eric Bellion, navigateur, redonne un nouveau souffle à cette épopée en constituant l’équipage de sa team Jolokia sur un appel à volontaires dans le même esprit que celui de son prédécesseur :
« Recherche hommes et femmes pour voyage hasardeux. Pas de salaire. Vie spartiate, tâches d’équipage impitoyables, implication exigée. Priorité aux Borgnefesse sociaux ou physiques. Trop normal s’abstenir. Honneur et reconnaissance garantis en cas de succès ».
250 personnes y répondent parmi lesquels des jeunes, des seniors, des hommes, des femmes, des handicapés, des valides, d’origines et de milieux sociaux complètement différents. Il en retiendra 20 parmi lesquels un aveugle, un paraplégique, un malvoyant et un amputé du pied.
Après une année d’entraînement, la team Jolokia embarque en tant que seul équipage non pro pour la Fastnet Race, une course difficile en Manche et mer d’Irlande.
Que nous enseigne-t-il ?
Qu’il croit à la diversité, c’est certain. Qu’elle a des vertus d’efficacité pour une équipe, on n’en doutait pas ! Mais surtout, qu’elle est amenée par une chose : le fait de recruter d’abord sur le critère de la motivation et du partage d’un même but et d’un état d’esprit commun avant celui de la compétence pure.
Une des leçons que l’on peut en tirer : prenez des risques dans vos recrutements : passer outre les critères très normés dont sont encore trop souvent prisonnières les entreprises d’aujourd’hui – et ce non pas pour répondre aux injonctions des quotas de diversité – mais bien pour avoir des énergies, des intelligences, des expériences complémentaires plutôt qu’une équipe de clones.
À regarder d’abord l’engagement, vous obtiendrez une belle diversité et si tout va bien, la performance ! Preuve en est, qui aurait parié au départ sur le fait que cet équipage d’amateurs – au sens premier du terme – arriverait 8ème sur 18 à cette fameuse course, battant à plate couture des navigateurs a priori plus compétents…
Si les aventures de ce navigateur vous intéressent, n’hésitez pas à aller voir son documentaire sorti en début d’année « Comme un seul homme » retraçant son Vendée Globe.
Et si vous n’avez jamais entendu parler de Sir Ernest Shackleton, on ne peut que vous conseiller de vous précipiter sur le livre retraçant son épopée, L’Odyssée de l’Endurance.
Les crapauds fous ou comment votre projet réussit grâce à l’audace
En janvier, nous célébrions les atouts du management punk et marginal. Ce mois-ci, on en remet une couche. Laissez-vous entrainer au théâtre du Splendid pour la pièce « Les crapauds fous ». C’est l’histoire vraie et surprenante de deux jeunes médecins polonais, Eugène Lazowski et Stanislaw Matulewicz, qui ont inoculé le vaccin contre le typhus aux habitants juifs de leur village en 1940.
Leur but est de les rendre positifs aux tests de dépistage pour dissuader les nazis de s’approcher de trop près et ainsi les sauver de la déportation.
Mais leur ruse ne tarde pas à éveiller les soupçons et les deux amis doivent rivaliser d’inventivité pour que la supercherie ne soit pas découverte.
Embarqués dans leur projet fou, nos deux médecins osent tout pour contrer les obstacles mais dans tous les cas ils y vont à fond.
Le plus fou, dans cette histoire, ce n’est pas tant l’objectif poursuivi que le chemin pris pour y arriver. Stanislaw a fait un pari. Il n’avait aucune certitude que le vaccin du Typhus réponde positif au test de dépistage. Pourtant ca a marché ! Constatant le résultat, Eugène ose voir les choses en grand. Puis, embarqués dans leur projet fou, nos deux médecins osent tout pour contrer les obstacles mais dans tous les cas ils y vont à fond. Résultat : 8.000 Juifs sauvés! Une belle prime à l’audace !
Et l’audace chez nous, managers ? On la désire mais on l’accepte mal en vrai. La créativité est recherchée et valorisée à la condition qu’elle ne sorte pas trop des clous. Les idées originales, trop différentes, voire bizarres font peur à plus d’un titre. Les résultats étant incertains, il y a les risques de contre-performance et de ne pas être pris au sérieux par la direction, ses pairs et les équipes.
Souvent, un manager, suffisamment courageux, se lance et développe une idée audacieuse, mais recule devant le risque.
Alors qu’il n’y a qu’une seule chose à retenir de nos médecins : croyez en vos idées et celles de vos collaborateurs, même celles les plus folles qui dérangent les esprits et, surtout, creusez-les au maximum pour leur donner une réelle chance de succès. Qui sait : elles peuvent vous emmener loin.
La pièce se joue jusqu’au 30 juin. Courez-y !
Pour réveiller les équipes, il faut du rythme
Depuis que nous suivons les méandres du management, nous avons observé des contextes d’équipe variés. Dernièrement, une difficulté se répand comme une épidémie : la perte de contrôle du rythme. Guérir nécessite de reprendre la main sur ce que l’on fait. Oui mais comment ?
Les équipes sont de plus en plus aliénées
A quoi reconnaît-on qu’une équipe a perdu la maîtrise du rythme ? Elles sont aliénées à quelque chose qui a pris le contrôle sur leur travail.
La plus fréquente aliénation est celle du court terme. Presque tout le monde en souffre, nous sommes aspirés par les sollicitations du quotidien qui nous empêchent de faire avancer les sujets de fond et qui forment un flot continu de petites urgences et d’incessantes mini-crises. C’est toujours pénible, mais c’est parfois plus que cela. Souvent, ce quotidien nous asphyxie, il n’y a plus de place pour les sujets de fond ou même pour la prise d’initiatives. Progressivement, les managers deviennent comme ces gouvernements qui gèrent les affaires courantes, ils n’exercent plus le mandat de leader. Consciemment ou non, ils subissent le rythme du quotidien, d’autant plus pervers qu’il est insatisfaisant mais confortable car son traitement est immédiat et semble justifier sa propre utilité : « J’ai résolu 10 sujets aujourd’hui, c’était chaud ! »
Les équipes subissent et ont le sentiment de tourner dans la roue du hamster, donc de brûler beaucoup d’énergie sans peser véritablement sur les choses.
Si le quotidien est l’aliénation par en bas, l’aliénation par en haut n’est pas mal non plus. C’est celle du poids hiérarchique, qui s’exprime directement (des réunions de revue hiérarchique suffisamment régulières pour ne rien laisser passer) ou indirectement (des reporting qui cadenassent l’action). Si le contrôle est une mission de la hiérarchie, le surcontrôle est un système qui, voulant éviter les erreurs qui coûtent cher, dirige l’action de vos équipes et supprime le sentiment de responsabilité et de maîtrise. On ne fait plus les choses pour réussir sa mission mais pour bien figurer lors de la prochaine réunion avec le chef, c’est elle qui dicte le tempo.
Aliénation au flux, à la peur phobique des syndicats, à la stratégie de communication, etc. Il en existe beaucoup mais elles ont toutes la même conséquence. Les équipes subissent et ont le sentiment de tourner dans la roue du hamster, donc de brûler beaucoup d’énergie sans peser véritablement sur les choses.
C’est grave, car des équipes aliénées ne mettent pas leur intelligence et leur coopération en action. Comme dans l’image du mammouth, leur valeur ajoutée – en tant qu’équipe – est réduite à son minimum.
Pour rebondir, est-ce réaliste de se rebeller ?
D’abord, il faut prendre conscience de son aliénation. Pour cela, il faut être attentif aux crises sourdes que l’équipe peut traverser ou aux situations contradictoires.
Pour l’un de nos clients par exemple, cela s’est passé lors d’un événement très réussi sur le fond pour l’équipe qui a franchi une étape importante de sa stratégie mais pour lequel les collaborateurs n’ont pris aucun plaisir à la victoire. Pas seulement par manque de célébration, mais aussi parce que l’équipe ne se sentait plus actrice du projet collectif mais exécutrice.
Évidemment, la réponse la plus totale serait ensuite de se rebeller face à un système oppresseur, de se soulever contre l’aliénation et de proposer un contre-modèle, à sa main. Si nous sommes convaincus que cette rébellion est possible, nous savons aussi que beaucoup d’entreprises ne le permettent pas, que le processus est long, difficile…
Remettre en question la vision, le modèle, de mode de management, la culture d’entreprise dans un grand groupe, c’est jouer à 1 contre 100, c’est un beau combat inutile.
Selon la logique de coexistence si chère au jeu de Go, ce qu’il faut c’est occuper les terrains laissés vides. Et cela tombe bien car il y a une dimension souvent oubliée dont les managers peuvent se saisir : nous l’appelons la cadence.
Prendre la cadence à son compte en choisissant ses épisodes
Ce qui va vous permettre de définitivement reprendre et maintenir le rythme, c’est de tenir la cadence.
Nous ne parlons pas du plan à 3 ans (qui sert souvent de vision, ou de stratégie) ni du budget annuel (qui est plus financier qu’autre chose) mais bien de la cadence, c’est-à-dire ce qui guide notre action au quotidien, en n’étant pas trop proche (pour aider à prendre du recul) mais pas trop loin non plus (pour avoir toujours un point de mire qui joue le rôle d’attracteur).
La cadence est une maille, entre 3 et 4 mois, que nous appelons des épisodes. Une période courte, structurée autour d’un enjeu simple et excitant.
Autrement dit, cela permet de guider la vie de l’équipe comme une série télé plutôt que comme un film japonais de 4h30, alors même que l’intérêt du premier n’est pas forcément plus captivant que celui du second.
Regardez Downton Abbey, ils arrivent à ne pas nous endormir en nous parlant d’une famille aristocratique anglaise et de ses domestiques, ils parviennent même à nous enthousiasmer sur un enjeu de bonne température du thé. Comment ? On y retrouve les bons ingrédients : Chaque saison de la série est constituée autour d’un enjeu vaste (ex : marier les 3 filles) et la cadence des épisodes permet de tenir l’attention des spectateurs et le fil de l’action (épisode 1 : rencontre ; épisode 2 : séduction ; épisode 3 : révélation du secret, etc.).
Et vous, savez-vous quel épisode vous êtes en train de vivre avec votre équipe ?
De quand date votre dernier mea culpa ?
Cueillis à froid par le scandale de Volkswagen qui fait la Une depuis mi septembre, nous avons observé avec attention la gestion de crise du constructeur. Autant la triche est ahurissante, autant la réaction est exemplaire. Résumée par les mots du patron de Volkswagen America : « we totally screwed up ». Un mea culpa net et sans ambages qui permettra sûrement à l’entreprise de se reconstruire plus rapidement que si les dirigeants avaient dissimulé et nuancé comme c’est trop souvent le cas.
Le mea culpa, c’est une arme que les managers utilisent peu voire pas du tout. Pourtant, l’amende honorable n’est pas preuve de lâcheté mais de courage, ce n’est pas se défausser mais, au contraire, prendre ses responsabilités.
L’erreur, l’inséparable prix de la décision
On ne pourra pas éviter l’adage latin tarte-à-la-crème « Errare humamum est ». On ne peut pas l’éviter notamment parce que tout le monde n’en a pas conscience.
Comme le disent de nombreux philosophes actuels, nous vivons dans un monde où la peur prolifère. Nous avons peur de tout dans l’entreprise notamment : le chômage, la crise, la concurrence, les syndicats (qui ont peur, eux aussi), le manque de crédibilité, etc.
Ceux qui cherchent surtout à ne pas faire de fautes ne seront jamais des leaders et seront toujours dépassés par ceux qui décident.
Cette peur omniprésente, de tout et de son contraire, amène à ne plus prendre de risque, ce qui a d’ailleurs été constitutionnalisé en France par le principe de Précaution, intention louable mais qui en dit long sur l’aversion actuelle aux risques.
Et cette non prise de risque amène le manque de responsabilité que l’on peut résumer ainsi : j’ai tout fait pour ne pas prendre de risques, donc cette erreur était inévitable et ce n’est pas ma faute. Ainsi dans l’affaire du sang contaminé, une des ministres concernées ose déclarer qu’elle est « responsable, mais pas coupable », une défausse restée célèbre.
Certaines personnes se félicitent constamment des décisions qu’ils n’ont pas prises et qui auraient amené des erreurs. Nous disons que ceux qui cherchent surtout à ne pas faire de fautes ne seront jamais des leaders et seront toujours dépassés par ceux qui décident.
Un bon manager n’est pas celui qui ne fait pas d’erreurs mais celui qui décide, prend des risques et compense ses échecs par la grandeur de ses succès.
Accepter les erreurs ok. Et accepter ses erreurs ?
Il n’est pas rare que des managers, ayant adhéré au raisonnement ci-dessus qui n’est pas neuf, prône le droit à l’erreur. Parmi eux, il arrive même que certains managers tiennent leurs engagements de ne pas sanctionner systématiquement l’erreur, quand elle est faite suite à une prise de risque calculée et dans le sens du projet collectif. C’est un premier pas qui n’est pas simple à faire et qui est à même de libérer les énergies. Bravo à eux.
On croît rester crédible en ne parlant pas de ses erreurs alors que c’est le contraire.
Beaucoup plus rares sont ceux qui acceptent leurs propres erreurs. Bercés par l’illusion de renvoyer l’image du manager parfait, nous sommes souvent les seuls à croire que nos erreurs ne se verront pas si nous n’en parlons pas. Quelle erreur !
On croît rester crédible en ne parlant pas de ses erreurs alors que c’est le contraire : personne n’achète le mythe du manager infaillible, la reconnaissance des erreurs donne à l’inverse de la force aux autres éléments.
On croît se montrer fort en ne parlant pas de ses échecs, alors que c’est l’opposé : le manager qui ne les reconnaît pas apparaît faible à son équipe, effrayé de se montrer vulnérable, en manque de confiance.
On croît protéger l’entreprise, ce qui a été construit, en cachant les erreurs comme pour éviter sa conséquence immédiate, et par définition négative. Mais assumer le droit à l’erreur, c’est d’abord oser regarder les choses sur un temps plus long et conserver des bases saines. Pour VW, on voit bien que le mal est fait et qu’il faut préserver l’essentiel : l’avenir. C’est l’inverse du cas Mediator, où l’on cherche à sauver le présent quitte, si la stratégie échoue, à hypothéquer l’avenir.
Le mea culpa, un art indispensable à tout manager
Pour ceux qui sont décidés à reconnaître leurs propres erreurs, la moitié du chemin est faite. Le reste repose sur la façon de le faire.
Ce sont toutes les différences entre les mea culpa habituels (en politique notamment, autour du beaucoup trop utilisé « j’ai changé ») et celui de Volkswagen suite au récent scandale.
Listons-en 4 :
- Honnêteté : un mea culpa doit être sincère, sinon il est démasqué tout de suite par ceux qui l’écoutent. Les politiques ont tendance à battre leur coulpe d’erreurs du passé pour mieux vanter leurs décisions actuelles, cela n’a aucune valeur. Le stratagème est facilement éventé. Un bon mea culpa se fait à chaud, sans trop de forme ou de calcul.
- Absence de nuance : symbolisé par DSK qui qualifiait imprudemment ses actes de « légèreté », la nuance tue le mea culpa. Ce n’est certainement pas à vous de minimiser votre erreur. Elle doit être exposée sans atténuation, sans auto flagellation non plus bien sûr. Laissez les autres minimiser l’erreur pour vous si elle doit l’être, ce n’en sera que plus fort.
- Ne pas trop personnaliser : l’enjeu est de parler d’une erreur, pas d’une faiblesse structurelle dont vous ne maîtriseriez pas la portée à l’instar du « péché de naïveté » de Lionel Jospin en 2002. Soyez franc sur l’erreur, ses conséquences et la responsabilité que vous endossez, mais un jugement sur vous-même n’est pas à propos et surtout pas en public.
- Rester exigeant : pour être efficace, le mea culpa doit servir votre projet, quel qu’il soit. L’amende honorable qui ne servirait qu’à soulager sa conscience est inutile, elle le sera si vous demandez un effort à votre équipe pour rebondir (se remettre également en question, aider à trouver les solutions pour faire face à la situation provoquée, etc.)
Nous avons assisté récemment à un mea culpa de grande classe fait par un manager humble et courageux, cela a participé à relancer une dynamique d’équipe avec puissance et enthousiasme. Nous vous souhaitons la même chose !
Asterix n’a pas que la potion !
Ce qui semble caractériser le petit gaulois et ses amis, c’est d’abord l’accès à une potion magique qui les rend invincibles. Oui au premier coup d’œil mais à y regarder de plus près, l’intérêt des aventures d’Astérix repose sur les limites de la potion :
- La zizanie : conflits internes, donc il y a de la potion pour tout le monde et son effet s’annule.
- La serpe d’Or, Les Helvètes : impossible de fabriquer la potion.
- Chez les Bretons : la potion est perdue au pire moment.
- Les 12 travaux : épreuves d’intelligence, la potion est inutile dans bien des cas.
Etc…
Ce qui rend les histoires d’Astérix intéressantes, c’est l’incertitude, la question de savoir comment ils vont s’en sortir. Si la potion magique suffisait l’album aurait 3 pages : avant la bataille, bataille, banquet.
Quel rapport avec le management ?
Si vous voulez que vos équipes de terrain se mobilisent, inventent, progressent, ne vous focalisez pas sur la recherche de potions, de solutions soi-disant parfaites qu’elles n’auront qu’à appliquer. Le manager doit faciliter la tâche, aider à surmonter un problème mais toujours laisser à l’autre un espace d’appropriation, un défi qui fasse appel à son intelligence et son expérience.
Sans quoi, pas d’aventure et donc pas de fierté ; la récompense (le banquet) est alors déconnectée de l’effort et elle est soit vécue comme un dû, soit ignorée tout simplement.
Liberté & Cie, la liberté en action !
Une fois n’est pas coutume, c’est un livre de management que nous vous conseillons ce mois-ci. Ou plutôt un pèlerinage à la découverte de la liberté en entreprise.
Loin des concepts impraticables, Brian Carney et Isaac Getz nous font découvrir des leaders qui ont mis au centre de leur vision la liberté des employés comme moteur de l’innovation et du développement.
Ainsi FAVI, fonderie de cuivre française, a réussi une croissance extraordinaire depuis 30 ans en changeant totalement de modèle : plus de managers intermédiaires, les ouvriers organisés en autodirections de 20 personnes, chacune responsabilisée sur un produit et un client. Plus de pointeuse, plus de contrôle des consommables, etc.
Au-delà du point de vue militant qu’ils défendent, les histoires qu’ils décrivent sont à peine croyables. Favi, Gore-Tex, Chaparral, IDEO, dans tous les pays et dans tous les secteurs, ces entreprises ont choisi d’aller au bout de leurs convictions : responsabilité, confiance et prise de risque remplacent hiérarchie, contrôle et surveillance. Et ça marche, lisez plutôt !
Isaac Getz et Brian M. Carney, Liberté & Cie (Fayard, 2012)