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Face à la crise : quelles alternatives à la frénésie ?

« En ce moment, c’est la crise »

Quand l’alerte est lancée, les réactions sont souvent similaires dans les entreprises : top-down, restrictives, conservatrices. Mais si ces réactions sont immédiates, elles ne sont pas toujours efficaces, de par leur déconnexion avec le terrain, le manque d’explication aux équipes et de nuances.

Pourtant, les crises sont l’occasion de révéler l’audace des équipes. Encore faut-il s’en donner les moyens : cela passe d’abord par une lucidité sur la situation et sur les spécificités des réponses à apporter.

Face à la crise, on se serre la ceinture : les réactions spontanées

Quand l’alerte est lancée, on ne peut pas ne pas réagir. Certes, le premier réflexe peut être la tétanie, donc une paralysie dans la réponse à apporter : on n’ose rien tenter, de peur que la décision aggrave la situation. Inconfort face au manque de pragmatisme, peur de voir que la situation nous échappe… on pourrait parler des conséquences sur les équipes de la tétanie. Mais je préfère attirer l’attention sur les impacts de la réaction inverse, et qui me semble commune à beaucoup d’entreprises qui se sentent en crise : la surréaction frénétique.

Prenons un sujet actuel illustré d’un exemple réel : l’activité économique de marchés asiatiques est en baisse, notamment dans le secteur de l’immobilier et du luxe. Un grand groupe de cosmétiques voit ce ralentissement qui fait baisser ses volumes de vente dans sa branche Luxe.

Ni une ni deux, la réaction – à l’autre bout de la planète – ne se fait pas attendre : un mail est envoyé à tous les cadres, alertant de l’état de crise économique actuel et prévenant de mesures drastiques à venir. Dans les couloirs, lors d’échanges informels, on ressent une fébrilité, on fait attention aux messages qu’on passe aux équipes : « on est en crise, on doit se serrer la ceinture » ! Et les décisions suivent : couper les budgets pour les fêtes de fin d’année, geler les recrutements, arrêter certains projets long-terme…

On comprend facilement l’inquiétude mais surtout l’incompréhension des équipes, face à la décorrélation entre une tendance économique globale et des restrictions budgétaires très localisées. Cette déconnexion se voit aussi entre là où se prennent les décisions (niveau Comex monde) et là où elles doivent être appliquées (niveau directions locales), avec en prime le manque d’explication et de sens de ces décisions. Certainement parce qu’on considère que l’alerte à la crise se suffit à elle-même, il est rare en effet que la Direction prenne le temps d’expliquer aux équipes ces mesures, et donne la possibilité aux managers de proximité de transmettre un discours nuancé et complexe, à l’image du contexte finalement.

Et si la frénésie de la Direction créé une déconnexion avec le terrain, on peut aussi ajouter qu’elle n’est pas la réponse la plus efficace financièrement : car en anesthésiant les équipes, on se prive de leur capacité de rebond pour sortir de la crise ; et on se prive aussi d’opportunités de marchés (main-d’œuvre, investissement…) plus accessibles car moins concurrentielles par rapport à une période d’opulence économique.

Par ailleurs, dans cet exemple précis, on peut légitimement se demander si cette entreprise est réellement en crise : certes le ralentissement économique fait baisser ses volumes de vente, mais connaître une légère baisse de croissance met-elle son existence en péril ?

Il ne s’agit pas uniquement d’un pinaillage de vocabulaire, mais c’est bien révélateur du côté on-off de la crise : si le mot est prononcé, le plan d’action est immédiat pour dégrossir et se serrer la ceinture.

J’ai détaillé ici cet exemple en cosmétique, mais j’aurais pu en trouver d’autres, dans le Retail, dans l’industrie… Quel que soit le secteur, cette réaction de frénésie est révélatrice de la frilosité à l’idée de voir certains indicateurs économiques baisser (croissance du chiffre d’affaires entre autres) : nos finances sont notre bien le plus précieux, donc en cas de crise nous devons les préserver, donc protéger nos marges, réduire les dépenses, dégraisser la machine, faire moins.

Cette vision de ce qui a de la valeur dans les organisations me semble limitée en soi. Et elle créé des réponses simplifiées face à une situation complexe et anesthésie la capacité des équipes à être courageuses, innovantes et audacieuses dans des périodes où ces qualités sont pourtant indispensables pour rebondir.

Et si c’était au contraire, le moment de se montrer audacieux ? Faire mieux plutôt que moins

Réagir différemment et intelligemment, cela repose en effet sur les qualités humaines des équipes, qui sont créatrices de valeur pour les organisations : une capacité courageuse à investir, l’engagement, la réactivité face aux demandes clients, la capacité à prendre des initiatives… Finalement, des qualités humaines qui sont, bien souvent, sacrifiées dans les périodes de crise, au profit de la sécurisation d’indicateurs chiffrés.

Mais comment s’appuyer sur ces actifs et résister à la frénésie quand tout nous y pousse ?

D’abord, on va chercher la lucidité. Comme l’exemple précédent l’a montré, cela vaut le coup de se demander si on l’est réellement, en crise. Car on emploie ce mot pour désigner des situations tellement différentes que prendre le temps de formuler une compréhension singulière de la crise pour l’entreprise, c’est déjà se démarquer.

Concrètement, oser prendre un temps au sein du Codir, pour se poser quelques questions : dans quel contexte économique évolue-t-on ? Quelles conséquences (sur notre activité, sur nos équipes Retail, terrain, support, siège) concrètes pour nous, à court et moyen terme ?

Oser questionner les liens entre le contexte global et l’activité de l’entreprise.

Et quelle que soit la réponse à ces interrogations, je vous invite à questionner ce qui génère de la valeur pour vous, réellement. Faire l’exercice de projection suivant : qu’est-ce qu’on ne voudrait pas sacrifier, quoiqu’il arrive ?

Enfin pour communiquer ces éléments aux équipes, je vous conseille ne pas minimiser les difficultés, avec un discours réaliste mais pas alarmiste (comme on vous le détaille dans notre vidéo également consacrée au sujet).

Avec un constat plus précis et spécifique sur la crise en cours et de ses impacts sur la boite, les réactions à adopter ne se résument plus à vouloir faire des économies de partout. Au contraire, les crises sont peut-être le moment de faire un pas de côté : lancer un projet pour les équipes, pour remettre du mouvement et de l’ambition. D’ailleurs, c’est bien dans ces périodes que se révèlent les capacités des leaders à réveiller l’audace et l’engagement des équipes.

Et ça peut se faire, même dans un contexte critique : je vous détaille deux exemples concrets de réactions à des crises, réactions qui me semblent nuancées et décalées par rapport aux réponses que l’on voit souvent

Le premier cas : quand un projet de vente suscite de l’incertitude

J’ai en tête deux usines de la même entreprise industrielle pharmaceutique, dont l’une était menacée d’être vendue d’ici la fin d’année. Une année complète, sur l’histoire d’une boîte, c’est peu ; mais à l’échelle des équipes c’est énorme et cette attente aurait pu cannibaliser tous les projets en cours. Pour éviter ça, le Codir a partagé à ces deux usines l’ambition d’être beaucoup plus soudées l’une avec l’autre, travailler mieux ensemble. L’idée étant que quelle que soit l’issue (une vente d’une des deux, ou pas de vente du tout), les 2 entités avaient plus à gagner à travailler leur collaboration.

Pour ce faire, 10 chantiers stratégiques et transverses sont lancés. Passée la première réaction frileuse des équipes à s’engager dans une période d’incertitude, des groupes de travail ont été montés et ces chantiers étaient considérés au bout de plusieurs mois comme les priorités qui auront marqué l’année. Année qui aurait pu être vécue comme une longue stagnation anxiogène pour les sites.

Le deuxième cas : une entreprise qui ne cède pas à la panique face à une crise économique

Une autre entreprise d’industrie lourde subit, comme le groupe que j’évoquais plus haut, une baisse de 30% de ses volumes de vente, dans un contexte de crise économique du secteur. Deux réactions simultanées face à cette baisse de volume : des mesures de réduction de frais généraux (diminuer la surface de bureaux, arrêter sa participation à un évènement marketing onéreux, optimiser davantage la répartition des tâches entre salariés…), couplées de mesures offensives et long-termistes axées sur les ressources humaines : recrutement notamment de profils techniques libérés sur le marché du travail, investissement sur la formation, accélération de la maîtrise des savoir-faire… Et le tout communiqué et expliqué aux équipes, qui arrivent sans surprise à intégrer les deux réponses parallèles.

Je pourrais détailler une multitude d’exemples de réactions audacieuses possibles, car il y a théoriquement autant de situations de crise que d’entreprises.

Le point commun, c’est de passer d’une réaction conformiste face à une crise généralisée à une réponse singulière face à une crise caractérisée.

Pour bien manager, ne soyez pas experts !

On se dit souvent que pour bien manager, il faut avoir une connaissance pointue du métier ou s’y connaitre un maximum. Pourtant, les plus qualifiés dans un domaine ne sont pas forcément les meilleurs professeurs et les meilleurs joueurs ne sont pas forcément les meilleurs coachs. Alors faut-il vraiment être un expert pour être un bon manager ? Nous, on a tendance à penser l’inverse… Mais du coup, qu’est-ce qu’il faut ? Qu’est-ce qu’on fait?

 

Généralement, on est promu grâce à son expertise.

 

C’est souvent le cas. Généralement une progression hiérarchique survient parce qu’on devient meilleur dans nos taches. Plus on devient qualifié, plus on monte les échelons, jusqu’à ce qu’un jour, on obtienne un poste de manager. Pourquoi ? Parce que ça peut paraitre logique ou rassurant. Le grand enjeu du management, c’est d’aider son équipe. On peut se dire que quelqu’un qui en faisait partie et en connait les problématiques sera à même de l’aider.

Une autre raison encore plus impactantee est qu’il y a peu de ‘filière expert’ dans les entreprises. La progression logique après l’expertise, c’est le management. Peu importe le secteur : « Junior, senior , manager »

Nous voici-donc dans de toutes nouvelles bottes. Peut-être pour la première fois. Et soudainement, on se retrouve à avoir plus de responsabilités, devoir gérer une équipe et la faire progresser. Prioriser, assurer la production et s’assurer que la machine tourne. Devoir recadrer ou valoriser… Bref, pleins de nouvelles choses vertigineuses qui peuvent faire perdre l’équilibre. Dans ces situations où l’on peut manquer de repères, le réflexe naturel est de s’appuyer sur ce qu’on sait faire. A savoir… le métier des équipes que l’on est censé manager. Après tout, on l’a pratiqué pendant longtemps et on en est là parce qu’on le faisait très bien. C’est normal de s’appuyer dessus.

 

Oui, mais est-ce que c’est vraiment ça notre rôle ? Nos nouvelles responsabilités ne portent pas vraiment sur la maitrise de notre ancien poste, si ? Pas complètement en tout cas. Et ça peut nous pousser à faire pleins d’erreurs contre-productives : Micro-manager, manquer de recul et de vision, participer à l’effet tunnel, ne faire que recadrer et jamais féliciter… et à terme, on manque de temps pour s’occuper des réelles actions que notre position implique.

Mais ce n’est plus notre rôle en tant que manager.

 

Rappelez-vous de vos professeurs préférés. Est-ce que c’était parce qu’ils étaient EXTREMEMENT qualifiés dans leurs domaines ? Peut-être un peu, mais pas uniquement. Un bon prof de maths n’est pas le meilleur des mathématiciens. Et encore moins celui qui fait les exercices à la place de ses élèves pour aller plus vite. C’est avant tout quelqu’un excellent pour transmettre et permettre à ses élèves de progresser.

En pratique, les meilleurs coachs de sports (Deschamps, Phil Jackson, Guardiola, ou autre Claude Onesta) ont été des joueurs de leurs sports respectifs, mais ils n’étaient pas les meilleurs de leur époque. Et pourtant, ce sont tous de très bons managers, car ils excellaient dans autre chose : Leur donner le cadre pour que les joueurs s’illustrent et gagnent. 

(Créer une tactique de jeu, remobiliser les troupes et impliquer toute l’équipe)

Peut-être n’y avez-vous jamais pensé mais Gandalf ou Dumbledore ont d’excellents traits managériaux aussi. Ils offraient à Harry et Frodon les ressources nécessaires pour affronter les obstacles sur leurs chemins en intervenant QUE lorsque l’obstacle était trop élevé.

Manager, c’est tout ça. C’est être un savant mélange entre Deschamps, un prof de maths et Gandalf. C’est aider et enseigner. Faire progresser et guider. Recadrer et féliciter.

Et intervenir, oui, mais que quand on ne peut faire autrement.

 

Alors, par où commencer ?

 

Après avoir dit tout ça, on peut se demander ce qu’on peut faire pour avancer dans ce sens. Bien sûr, ce n’est jamais facile, on a surement des enjeux ne dépendant pas de nous avec la pression qui va avec. Mais certaines actions peuvent quand même nous aider à initier ce changement de posture.

 

Essayez de vous demander quelle casquette vous souhaitez adopter face à vos problématiques : Est-ce que vous devez être plutôt coach, créer une tactique et permettre à vos joueurs de s’illustrer dans l’effectif ? Plutôt professeur qui doit enseigner de manière inspirante et féliciter une bonne note ? Plutôt magicien qui doit donner la ressource parfaite pour affronter un obstacle ?

Vous posez ces questions permettront de privilégier des actions de managers plutôt que d’agir par reflexe et en reprenant la main.

 

De même, questionnez-vous sur les obstacles que traversent vos équipes plutôt que la solution que vous pouvez apporter. Ainsi, vous aurez plus de facilité à identifier les leviers pour leur permettre de les gérer. Ça vous aidera à vous positionner en magicien présent pour aider plutôt qu’en héros là pour triompher.

Vous pouvez aussi changer de questionnement vis-à-vis des livrables et des solutions apportées par vos équipes. Plutôt que de vous demander si ce qui a été produit est parfait, demandez-vous si ça fonctionne. Demandez-vous tout ce que vous n’êtes pas obligés de changer. Et dans un 2è temps, si ça fonctionne mais que vous voulez cranter un peu plus haut/continuer de développer vos équipes, vous pouvez rentrer dans le détail pour mettre votre expertise au profit de plus d’exigence. Avec votre œil extérieur, vous pourrez identifier les angles morts et les gros manquements mais aussi et surtout, valoriser le travail de vos équipes.

 

Tout ceci, vous aidera à faire grandir vos équipes et vous gagnerez du temps pour effectuer ces taches, une des ressources la plus précieuses pour un manager.

En somme, votre plus grande difficulté d’ancien expert sera d’arrêter de chercher la perfection. Et en arrêtant de la chercher, vous vous exposerez aux bonnes surprises : Celle de vos équipes et de leurs progressions, celles des tentatives auxquelles vous n’auriez pas pensé et même, celle de votre propre management !

Pour bien intégrer vos nouvelles recrues, arrêtez de draguer !

La période d’intégration est aujourd’hui devenue un incontournable dans les entreprises… Il ne faut plus juste accueillir et informer, mais plaire et séduire le nouvel arrivant. Est-ce vraiment cela, bien intégrer ?

 

Souvent le réflexe quand on intègre, c’est d’abord de chercher à plaire 

Dans la plupart des entreprises aujourd’hui, l’intégration est un moment savamment orchestré : de la semaine d’intégration au véritable « parcours collaborateur », la période d’intégration est de plus en plus prise au sérieux. Et pour cause, l’enjeu est important : montrer au nouvel arrivant qu’il ne s’est pas trompé dans son choix, s’assurer qu’il corresponde aux valeurs de l’entreprise, bref, lui donner envie de rester. Pour plaire tous les moyens semblent bons, l’intégration devient la danse du paon. 

Là où il y a encore quelques années, l’intégration était synonyme d’un déjeuner avec son équipe pour faire connaissance, aujourd’hui elle tend à devenir une période initiatique qui s’étale sur plusieurs jours. On retrouve ainsi, dans ces périodes « d’onboarding » une mise en scène étudiée : des intervenants clés (les parrains ou marraines), des rituels prédéfinis (la tournée de l’open space, le verre en fin de journée, les cafés de présentation), et puis, de plus en plus, ces fameux « welcome kit », où au fond d’un sac se côtoient goodies, plaquette sur les valeurs et mémo sur l’engagement social et environnemental de l’entreprise. L’intégration semble gouvernée par un seul but : en mettre plein la vue. 

Pourtant, cela fausse la relation dès le départ 

Si l’on gratte un peu le vernis de toute cette mise en scène, on se demande pourquoi il existe une telle inflation d’énergie et de moyens mis au service de l’intégration. Évidemment, l’effort d’accueil réservé aux nouveaux au sein d’une entreprise est louable, mais intégrer n’est pas juste accueillir. Intégrer c’est absorber un élément extérieur, ce qui suppose une période de friction. On se découvre, on se jauge, on s’agace parfois, en somme on apprend à fonctionner ensemble. 
 
Or tout semble fait pour éviter une quelconque friction pendant l’intégration ! Cette période s’apparente bien plus à un sas doucereux où l’on évite que la réalité des choses soit exposée de manière trop brutale au nouvel arrivant. On ne parle surtout pas de la santé économique de l’entreprise, des problèmes de communication ou de relations entre équipes, des dossiers laissés vacants depuis plusieurs mois…

Cette période s’apparente bien plus à un sas doucereux où l’on évite que la réalité des choses soit exposée

Le problème, c’est qu’en cherchant à ne pas bousculer le nouvel arrivant, on le laisse dans une posture d’enfant à qui l’on refuse de faire voir la réalité en face. Et ça, c’est exactement Tinder : une belle image qui tente surtout de cacher ce qu’il y a derrière. 

En réalité, on essaye surtout de se protéger  
 

Si l’on y regarde de plus près, cette période de transition ouatée, qui protège-t-elle vraiment ? Pourquoi tant de précautions ? 
 
Cette mise en scène protège en fait davantage les managers et les équipes que le nouvel arrivant. Le décorum occulte la vraie vie de l’entreprise, pétrie de choses qui fonctionnent mais aussi qui dysfonctionnent. Le nouvel arrivant, par définition, dispose d’un œil neuf sur les choses, sur votre manière de vous organiser, de travailler, de décider en commun et ce regard neuf peut parfois s’avérer cinglant, ou du moins agaçant. Intégrer suppose s’exposer, et donc prendre le temps d’accueillir et de répondre aux remarques, incompréhensions voire critiques. C’est également accepter de lever le voile des illusions qu’entretiennent si bien les plaquettes d’entreprises et les sites web reluisants. Car ce décor confortable maintient aussi les interrogations du nouvel arrivant à distance : tais-toi et regarde. Il est plus facile de créer un décor policé pour quelques jours que d’accepter dès le départ de se frotter aux réactions qui dérangent et renvoient aux limites de l’organisation. Or l’intégration ce n‘est pas juste un spectacle, mais une rencontre entre deux mondes avec la période d’ajustement et de friction nécessaire.  On confond aujourd’hui intégration avec le petit déjeuner de bienvenue : il y a un moment pour être festif et accueillir, un moment pour partager et intégrer. 

Pour bien intégrer, il faut accepter de mettre en danger 

Soyons clairs :  mettre en danger ne signifie pas mettre en péril la relation dès le départ ou créer une sorte de semaine « test » pour voir comment le nouvel arrivant s’en sort. Pour bien intégrer, il va de soi qu’être transparent sur les attentes, la réalité de la santé de l’entreprise et les informations clés est essentiel. Mais alors, pourquoi « mettre en danger » ?

C’est l’inconfort qui permet de faire tomber les masques, aussi bien celui de l’entreprise et du manager que celui du nouvel arrivant. Mettre en danger permet d’aller droit à l’essentiel : moins d’images et de discours policés, plus de relation directe et simple.  Comment alors mettre en danger, sans infantiliser, et sans risque inutile ? 

Plusieurs idées me viennent en tête : 

Tout d’abord arrêter de vouloir protéger, donc arrêter de téléguider les tâches du nouvel arrivant. À vous manager, je ne crois pas que votre rôle ni même, dans la plupart des cas, votre envie profonde, soit d’ajouter à votre charge de travail celle de votre nouvelle recrue. Laissez-le tester des choses, faire en solo certaines réunions, sans vous poser comme indispensable (aussi parce que, avouons-le, ça nous rassure), soyez une abondante source d’informations et de conseils, mais pas d’actions. Oui cela signifie sans doute que les tâches confiées seront réalisées en davantage de temps, mais, au fond, qui croit vraiment à ce mythe du nouveau qui serait parfaitement opérationnel dès le jour 1 ? 

Intégrer prend du temps, et c’est sans doute pour cela qu’il s’agit d’un exercice bien plus difficile qu’il n’y paraît : en entreprise le temps long est souvent évincé.  Et si l’on pense à intégrer une personne, on oublie souvent que la personne elle aussi, a à intégrer. La mise en danger est donc double : la vôtre, puisque vous acceptez de ne pas faire, et que vous prenez le risque du temps perdu ou des erreurs malvenues, mais aussi celle du nouveau, car vous lui refusez un sas rassurant et protecteur où les premières erreurs et les « questions qui tuent » sont évitées. 

Une autre idée de mise en danger peut être d’inviter le nouvel arrivant à questionner les habitudes et modes de fonctionnement de votre équipe ou entreprise. Cela revient, comme il a été dit précédemment, à volontairement vous exposer. Il est aujourd’hui fréquent de lire comme conseil pour « réussir son intégration », qu’il faille observer les comportements et codes implicites de son équipe pour s’y conformer. Je pense au contraire qu’une confrontation de points de vue est bien plus fructueuse qu’un conformisme passif. Inviter votre nouvel arrivant à bousculer les codes que l’on ne questionne plus car bien souvent on ne les voit plus, est une mise en danger qui vous permettra sans doute de vous améliorer et progresser en tant qu’équipe. 

Une confrontation de points de vue est bien plus fructueuse qu’un conformisme passif

Enfin, osez vous mettre en danger … en faisant simple. Aujourd’hui on cherche souvent à en faire trop, à alourdir de rituels creux et pompeux les premiers instants avec le nouvel arrivant, alors qu’en réalité un bon déjeuner et du temps sanctuarisé suffisent bien davantage pour mettre à l’aise et découvrir les nouveaux. Votre disponibilité et votre confiance sur le temps long sont infiniment plus précieuses que tous les artifices que l’on peut voir fleurir.  

Finalement, ne serait-elle pas là, la vraie mise en danger : faire tomber les masques, accepter de ne pas chercher à plaire ou téléguider pour davantage se rendre disponible à l’autre ? C’est en somme laisser du temps et de l’espace pour qu’une vraie relation se construise. Et si l’on vous dit d’arrêter la drague c’est parce qu’elle s’impose plus qu’elle ne lie, mais en revanche rien ne vous empêche d’opter pour une approche bien plus subtile et viable : prendre du temps, être à l’écoute, se montrer disponible sans rien forcer, en un mot se faire fin séducteur plus que pesant dragueur. 
 
 
 

« L’union de la gauche » : un cas d’école pour les managers

 
L’union de la gauche n’est pas qu’un serpent de mer politique… c’est aussi un serpent de mer managérial. Il s’agit de trouver un moyen non coercitif de faire bosser ensemble des gens qui n’en ont aucune envie. Des gens qui se sont fait de sales coups, qui ont été de féroces concurrents, ou qui même sans cela sont bourrés de jugements négatifs les uns sur les autres. Des gens qui portent aussi, dans une certaine mesure, des projets différents ou des croyances différentes sur ce qui est prioritaire et secondaire.
 
Cet épineux sujet de mobilisation, on le trouve fréquemment dans des contextes de fusion d’équipes en entreprise : comment faire que des équipes concurrentes ou au moins différentes se mettent à travailler ensemble ? Et qu’est-ce que ça veut dire pour les leaders des équipes amenées à se rapprocher ? Bref, comment faire en sorte que la mayonnaise prenne ?
 
Commençons par la pire méthode, qui est aussi la plus utilisée : chercher à se mettre d’accord avant d’agir
 
En politique, ça donnerait Hidalgo, Jadot et Mélenchon en train d’essayer de se mettre d’accord sur un programme commun. Lors d’une fusion de deux équipes en entreprise, ça donne les managers de ces équipes en train d’essayer de se mettre d’accord sur les outils à conserver, la répartition des portefeuilles client, etc. Le tout sans la confiance qui permettrait à cette périlleuse tentative d’avoir la moindre chance d’aboutir. Le seul résultat garanti : les procès d’intention réciproques et la polarisation des positions. 
 
La meilleure méthode au contraire, c’est celle des Buddy Movies des années 80. La méthode de L’Arme Fatale 1. Les ingrédients de départ sont les mêmes : Martin Riggs et Roger Murtaugh se détestent mais doivent travailler ensemble. 
 
Mais grosse différence : ils ne vont pas chercher à se mettre d’accord avant d’agir ! Ils n’ont aucun « programme commun » et ne cherchent pas à en avoir. Et heureusement, car leurs méthodes sont à l’opposé. Ils s’entretueraient sans doute s’ils essayaient. Ils ont en revanche un but commun : démanteler un réseau d’agents secrets devenus trafiquants de drogue. Et en bottant ensemble des fesses de méchants vraiment très méchants… ils se rapprochent.
 
C’est le secret pour que la mayonnaise prenne quand ce n’est pas gagné : un but commun très fort, et surtout pas de programme
 
C’est ce qu’il faut à la gauche pour faire l’union, ou à nos deux équipes pour réussir à fusionner. L’absence de programme est cruciale : c’est dans l’action que la complémentarité devient magique, alors que dans la réflexion elle ne produit que des négociations pénibles et stériles. 
 
Et plus globalement, un programme c’est débile par nature non ? Quand on y regarde de plus près, c’est quand même une liste de solutions préconçues à des problèmes d’une infinie complexité… C’est en fait l’inverse d’une démarche humble et pragmatique par essai-erreur. 
 
C’est donc un double renoncement à l’égo dont on parle ici : l’égo d’être le chef de file, et celui d’être détenteur des bonnes solutions. Seul un but commun hyper fort peut permettre d’y parvenir.
 
Précisons pour terminer que ce but, pour fonctionner, doit être positif ! En finir avec la bagnole et les inégalités n’est pas un projet positif pour la gauche. Dire non aux lobbies ne l’est pas plus. C’est cela que la primaire populaire devrait viser : faire émerger le but commun, positif et enthousiasmant, des électeurs de gauche pour la société. Et surtout pas évaluer des candidats ou leurs prétendues solutions !
 
C’est dans l’action qu’on apprend à s’aimer et à coopérer. En politique comme en entreprise. Alors vive les buts simples, et mort aux programmes ! C’est trop tard pour la gauche, mais certainement pas pour faire bosser ensemble des équipes très différentes dans votre entreprise…
 

League of Legends : une « clarification des rôles et des responsabilités » réussie

Le championnat du monde de League of Legends a débuté ! 16 équipes vont s’affronter pendant 1 mois sur l’un des jeux vidéo les plus populaires de ces 10 dernières années. Depuis 3 ans, la finale rassemble 45 millions de spectateurs en simultané : c’est tout simplement l’évènement e-sport le plus regardé au monde.

Alors je l’annonce tout de suite : pour les non-initiés, suivre un match de LoL est tout bonnement impossible. C’est un joyeux bordel de pixels. Et pourtant pour les 45 millions de spectateurs, pas de problème. Pourquoi ? Parce que chacun connaît les rôles et responsabilités de chaque joueur.

 

Une partie de League of Legends dure 30 minutes. 2 équipes de 5 joueurs s’affrontent dans le but de conquérir la base adverse. Chaque joueur choisit un champion parmi une liste de 5 rôles possibles, les 5 mêmes rôles depuis plus de 10 ans : Top, Middle, Jungle, Support et ADC. Pas besoin de rentrer dans les détails techniques, on retiendra seulement que chaque rôle doit être assuré et que le champion choisi est restreint à son rôle : un « support » ne pourra jamais être un « ADC » parce qu’ils n’ont pas les mêmes capacités. Des rôles et des responsabilités très claires auxquels on ne peut déroger. Et pourtant…

Les rôles débordent tout le temps ! On voit le Top se mettre à assurer à la place de l’ADC, le Middle remplaçait le Jungle, le support dans la peau du Middle ! Et cela ne pose aucun problème. Pourquoi ? Parce que les opportunités qui se créent ne peuvent pas tout le temps être prises par ceux qui sont « responsables de » ou « capables de ». On ne gagne pas une partie parce que chacun s’est cantonné strictement à son rôle, on la gagne parce que chacun connaît l’objectif final et que l’on a su transformer plus efficacement les opportunités offertes en vue de servir cet objectif. 

Dans les entreprises, on entend souvent qu’il faut « clarifier les rôles et les responsabilités ». Formule incantatoire destinée à rassurer le manager et l’équipe. Le problème n’est pas là. Quand bien même vous seriez en mesure de dresser la liste de toutes les fonctions de votre activité – il faudra se lever tôt – et que vous parveniez à mettre quelqu’un derrière chacune d’entre elles, quid du reste ? De l’évolution du contexte, des crises, des surprises et des opportunités à saisir ? Vous ne pouvez pas les prévoir. Il y aura toujours du débordement de rôle alors ne perdez pas trop de temps à essayer de tout clarifier.

Évidemment, il est nécessaire d’avoir des rôles clairs et des responsabilités définies – tout comme dans League of Legends – et il est peut-être bon de les rappeler de temps en temps. Mais la prochaine fois que dans une réunion vous entendez « il faudrait clarifier les rôles et les responsabilités » ne cédez pas tout de suite aux sirènes de la facilité. Proposez plutôt de travailler sur comment rendre acceptable le « débordement de ces rôles et responsabilités ». Question moins évidente mais il y a fort à parier qu’elle servira mieux votre équipe et vos objectifs.

S’inspirer des improvisateurs pour travailler son écoute !

L’écoute est l’une des choses les plus difficiles à faire, dans la vie mais bien sûr aussi en management. Or pas de grands managers, pas de grands leaders, qui ne sachent écouter, écouter vraiment et donc dialoguer, débattre, comprendre, accueillir…
Pour en parler de la meilleure manière, nous avons choisi d’en discuter avec des spécialistes de l’écoute : des improvisateurs professionnels ! Dans cette discussion, on parlera de comment se préparer à écouter, comment écouter vraiment quand on est dans le moment, puis comment débriefer (ou s’auto-débriefer) des moments d’écoute afin d’être encore meilleurs la fois suivante ! Un podcast riche en réflexions et conseils dans lequel on a en plus beaucoup ri !

L’Ego, porté disparu des entreprises conformistes

Une des conséquences des dynamiques actuelles, où l’individualisme est combattu férocement et où l’absence de process et de méthode est vu comme une anomalie, c’est la disparition des Ego. Pourtant, l’Ego est utile pour lutter contre le conformisme et le mimétisme, les deux vrais maux du siècle en entreprise.

Le conformisme et le mimétisme galopants

La crise de CoronaVirus, mais aussi les autres crises macroéconomiques récentes ou tout simplement la constatation des décisions prises en entreprise, tout cela montre une chose implacable : nous sommes des moutons ! Tous sur le Lean, tous sur la Chine, tous sur l’Industrie 4.0, tous sur l’Agilité, tous Digital, tous écolos mais pas trop, tous confinés, etc.

Rien d’étonnant à cela, nous regardons les mêmes choses, avec les mêmes yeux, et nous en tirons tous les mêmes déductions. 

Tout le monde regarde les mêmes indicateurs, les mêmes événements, les mêmes influenceurs.

Nous regardons les mêmes choses, parce que nous avons presque tous suivi les mêmes études qui nous ont dit à quoi il fallait faire attention. Autrefois, vous rencontriez des leaders avec des cursus bien différents et/ou des convictions différentes sur le modèle économique de référence (keynésianisme contre monétarisme ou théorie des cycles réels). Tout cela a été remplacé par un modèle hybride, universel, professé dans toutes les grandes écoles (Qui imaginerait un débat passionné sur le modèle économique entre grands patrons aujourd’hui ?). Tout le monde regarde les mêmes indicateurs, les mêmes événements, les mêmes influenceurs.

Et nous les regardons avec les mêmes yeux, car toutes les entreprises suivent les mêmes méthodologies. Franchement, qui ne se passionne pas pour la méthode Agile (ou l’un de ses avatars) aujourd’hui ? Et pour le Lean hier ? Ce sont des méthodes qui sont évidemment très séduisantes mais qui donnent à tous les mêmes réflexes et les mêmes priorités. 

Et est-ce un problème ?

Et bien oui, bien sûr ! Pas d’autorégulation, pas d’autocritique, le conformisme et le mimétisme actuels nous plombent, créent des bulles énormes dont les éclatements déstabilisent le monde entier ou décrédibilisent, a minima, les équipes qui voient leurs leaders changer de « religion » comme on change de chemise. 

 

La traque aux Ego

En trame de fond, le conformisme a pris son envol grâce à la chasse aux sorcières des Ego en entreprise. Confondu avec l’Ambition mégalomaniaque ou vu comme une absence d’écoute par narcissisme ou par névrose, l’Ego a été cloué au pilori. Et puis, l’Ego, amenant parfois à des échecs monumentaux (Serge Tchuruk, Bernard Tapie, Jean-Marie Messier), a été vu comme un frein à la performance de l’entreprise.

Pour le traquer, l’entreprise a donc cadré de plus en plus l’action de ses leaders par des organigrammes de plus en plus « découpés » pour donner des responsabilités toujours plus limitées et croisées (de directeur des ventes… à directeur du parcours clients avec un lien fonctionnel par zones géographiques). Puis une deuxième couche avec les process, les outils et les systèmes qui ont considérablement encadré les pratiques des leaders. Enfin, la cerise sur le gâteau avec des prescrits de plus en plus détaillés sur les postures et les comportements (chartes en tout genre).   

Pour s’en convaincre, il suffit de taper « Ego en entreprise » sur Google, vous ne trouverez pas un article positif. C’est même d’un extrémisme qui montre le dogmatisme actuel sur le sujet.

Quel est le bon Ego et comment le retrouver ?

L’Ego, c’est le moi. Dans le dictionnaire, c’est la représentation et la conscience que tout individu a de lui-même. Dans l’acception populaire, c’est l’affirmation d’une personnalité avec une certaine confiance en soi, parfois abusive ou exagérée, qui permet d’exister singulièrement.

Cet Ego-là est essentiel en entreprise : pour challenger l’avis des autres, pour convaincre en temps de doute, pour avancer en temps de crise, pour faire des pas de côté versus le courant majoritaire, etc.

On souffre bien davantage aujourd’hui du nombre de managers insipides et sans idée que de l’excès d’Ego.

Difficile de distinguer de façon binaire le bon et le mauvais Ego sans faire un remake du chasseur des Inconnus. Disons plus simplement que l’Ego débridé a deux effets indésirables : d’abord il génère un entêtement aveugle pouvant amener à l’échec (Tapie ou Messier sont des exemples de cela avant tout), ensuite il entrave le développement personnel des autres membres de l’équipe car il prend trop de place et ne supporte pas l’expression des autres Ego de l’équipe.  

Mais justement, dans l’entreprise d’aujourd’hui et ses valeurs, ses process, ses contre-pouvoirs, les effets indésirables de l’Ego sont largement maîtrisés. Il sera toujours possible de trouver des exceptions qui confirment la règle. Mais on souffre bien davantage aujourd’hui du nombre de managers insipides et sans idée que de l’excès d’Ego.

Alors comment regonfler l’Ego de nos managers conformistes ? Cela tient en trois idées qu’il convient d’adapter à chaque contexte.

D’abord desserrer l’étau, notamment sur les comportements prescrits et sur la rigidité des processus de prise de décision. Si les audits et les systèmes fauchent toute expression singulière, ça ne peut pas marcher. Souvent, il est possible d’élargir le cadre sans se mette en zone de risque. Encore faut-il se le fixer comme objectif. 

Ensuite, il faut donner des terrains de jeu aux Ego : livrer un sujet à l’expression des stratégies plus personnelles. Comment s’ouvrir à l’international pour une PME ? Comment reconstruire une marque moribonde dans un grand Groupe ? Commencez par choisir des terrains de jeu annexes, que vous agrandirez au fur et à mesure si cela fonctionne.

Et puis cherchez à éviter ou limiter les processus de décision « moyennisant » qui recherchent le consensus, la majorité. Il faut que l’on puisse tenter des choses sans accord de tous. Cela peut passer par accepter ceux qui agissent sans avoir demander la permission et qui se plantent parfois.

Arrêtons d’idéaliser nos grands patrons

Quand on parle de grands patrons, il y a deux sports très pratiqués : le « Boss Bashing » que nous avions déploré dans un précédent article, mais aussi l’idéalisation des Boss. « Il retient tout » ; « il va très très vite » ; « s’il y a une erreur dans la présentation, elle la verra immédiatement » ; « Il connaît tout sur tout », etc. Ce ne sont pas des caricatures, mais des phrases entendues souvent, dans plusieurs entreprises. Pourquoi c’est un vrai problème et comment le résoudre? 

Bien sûr, quand il s’agit de son n+1 ou n+2 que l’on croise tous les jours, on n’a pas ce genre de problème, on connaît bien les forces et les faiblesses de la personne. Mais le top management, celui que l’on ne voit qu’à la grande messe annuelle ou au comité de pilotage ultra-stratégique, là peut se développer parfois une admiration démesurée.

Premier gros problème, l’idéalisation éteint le sens critique

Si le big boss est si fort que vous le dites, pourquoi remettre en cause ce qu’il/elle dit ou fait ? ce serait idiot surtout que si vous n’avez pas compris, c’est que vous n’avez pas la même vivacité intellectuelle que le boss. Si vous avez compris mais que vous trouvez ça bizarre ou contestable, c’est qu’il doit vous manquer certains morceaux du puzzle, car vous ne connaissez pas autant de choses que le boss. Et si vous avez déjà essayé et que ça n’a pas marché, et bien essayez encore puisque l’Être supérieur vous le dit.

Fin de la discussion. Reductio ad patronum !

Ça peut, là encore, paraître extrême mais c’est le comportement que nous rencontrons souvent et qui est le problème principal de l’idéalisation : on se soumet sans se poser de questions. On prend ses suggestions pour des décisions, ses questions pour des doutes, ses doutes pour des jugements, etc.

Le pire, c’est quand ces questions/doutes/suggestions ne sont pas entendus mais rapportés : « Cela ne vient pas de moi mais de Nicolas, désolé ». Fin de la discussion. Reductio ad patronum !

Bien sûr que l’avis du big boss compte, qu’on ne peut pas passer outre. Mais l’écouter sans questionner ou challenger et prendre tout au pied de la lettre, c’est dommageable pour lui, pour vous et pour l’entreprise. Non, il ne connaît probablement pas le contexte du projet aussi bien que vous qui le suivez au jour le jour. Il comprend peut-être vite mais il ne se souvient pas de tout et donc oui… il peut dire de grosses bêtises, et il faut bien qu’il/elle l’entende et donc que vous lui fassiez comprendre d’une façon ou d’une autre.

 

D’autant que c’est une mascarade qui aliène tout le monde

Ce rapport entre le big boss qui rayonne et les collaborateurs qui se soumettent est non seulement inefficace, mais aussi aliénant. Car dans cette mascarade quasi-monarchique, chacun est obligé de maintenir l’illusion de l’autre, même si personne n’y croit vraiment.

Alors on se persuade que c’est brillant et on exécute. Tout le monde y perd mais les apparences sont sauvées. Ouf !

D’un côté, le big boss sait bien que son avis peut être bancal, qu’il n’a pas assez de temps pour faire le tour de chaque question, qu’il ne sait pas quoi dire ou quoi faire parfois. Mais peut-on décevoir des fans, ou en tous les cas des collaborateurs qui attendent une sortie pleine de certitude, un avis tranché ou une critique ciselée ? Alors on essaye de sortir une fulgurance, on en rajoute, on joue le rôle.

Et de l’autre côté on applaudit, en pensant que même si la remarque est discutable, celui ou celle qui l’a prononcé n’est pas là par hasard et que de toute façon, il/elle ne supporterait pas qu’on y trouve quelque chose à redire. Alors on se persuade que c’est brillant et on exécute. Tout le monde y perd mais les apparences sont sauvées. Ouf !

 

Enfin, ce n’est surtout pas vrai !

Car soyons clairs, les grands patrons sont souvent des gens méritants qui ne sont pas là par hasard. Mais rares sont les esprits brillants à ces niveaux-là. Il ne faut pas être hypermnésique, surdoué et cultivé pour devenir un grand patron. Pour être professeur d’université, chercheur ou grand expert oui, mais pour être patron ce serait presque un handicap.

Car la qualité d’un grand leader n’est pas sa supériorité intellectuelle mais un état d’esprit d’entrepreneur, une capacité à prendre des risques, la ténacité, et d’autres qualités de caractère qui lui permettent de fédérer, guider, mobiliser. Pour le reste, il a besoin de son équipe pour l’aider, lui donner des informations et des conseils, pour réfléchir à sa place en quelque sorte. Et en idéalisant, à tort donc, son chef, c’est exactement ce que vous ne faites pas…

Comment y remédier ?

La première chose à faire, c’est de mettre fin à la mascarade dont nous parlions tout à l’heure, celle qui consiste pour un patron à jouer le rôle du génie face à des équipes qui se persuadent qu’il en est un. A priori, ce n’est faisable que par le grand patron lui-même ou par ceux qui tiennent le système de l’entreprise (RH, membres Codir, actionnaires). Pour mettre fin à la mascarade rien de plus simple, exprimer ses incertitudes, ne pas donner d’avis trop tranchés quand ce n’est pas indispensable, poser des questions ouvertes, laisser des alternatives.

Ensuite, ce que tout le monde peut faire, c’est mettre son big boss au boulot. Plutôt que de ne faire que des présentations à juger et des rapports à critiquer, faites aussi des brainstormings, des réunions de travail où vous vous attaquerez ensemble à des questions auxquelles personne n’a la réponse. Essayez même juste de temps en temps, pour changer, cela installera un autre climat, un autre rapport de force. Vous verrez que votre boss est bon mais pas brillant, il ou elle pourra être utile sans avoir à jouer le rôle du je-sais-tout dont beaucoup sont lassés. Tout le monde y gagnera. 

Arrachons les étiquettes managériales !

Nous les avons tous en entreprise : l’éternel grincheux, l’expert nul dans la relation, le jeune loup dévoré d’ambition, la jeune prodige à qui tout réussi, etc. Globalement, nous avons moyen de décrire les gens en 5 mots maximum (sinon, ça ne tient pas sur l’étiquette). Comme une sentence définitive… Et si ces « étiquetages managériaux » étaient aussi des boulets pour l’entreprise ?

Ça a toujours existé, ça existera toujours

La psychologie sociale nous l’enseigne, l’étiquetage est un besoin de l’homme vivant en société. Pour réduire la complexité humaine, nous la résumons par une image courte, grossière, incomplète, afin de simplifier nos relations. C’est également une façon de classer les autres, comme un instinct animal qui nous demande si celui que nous avons en face est « ami » ou « ennemi ». Nous avons rajouté quelques catégories, mais nous n’avons guère plus que 12 couleurs d’étiquettes que nous utilisons pour ranger les autres dans des boîtes, c’est terriblement rassurant.

En entreprise, c’est exacerbé. Le nombre de personnes avec qui nous devons être en interaction est énorme, notamment dans les grands groupes aux organisations matricielles. Le besoin de classer l’autre et de transmettre ce jugement à tout le reste de l’entreprise est donc encore plus fort. Du coup, on s’invente des grilles, appelées aussi tests de personnalité allant jusqu’à colorer les étiquettes ou à qualifier les gens avec 4 lettres, qui dit mieux ?

– Vous là-bas, vous êtes un « vert ISTJ » non ? veuillez me suivre…

Pour se faciliter la vie, on s’appuie aussi sur des stéréotypes très pratiques : le boss est cupide mais bosseur, le commercial est extraverti mais baratineur, le RH est à l’écoute mais pas franc, etc.

Les étiquettes ne sont ni vraies, ni fausses

Bien sûr, les étiquettes que l’on donne (et que l’on porte) ne viennent pas de nulle part. Même si l’analyse est grossière, c’est quand même une analyse et pour qu’une étiquette nous colle sur le front, il faut qu’il y ait une certaine correspondance.

En revanche, elles ne sont jamais exactes, d’abord parce qu’elle résume une personnalité, ses qualités, ses défauts, son potentiel et ses limites en bien trop peu de mots pour que cela soit juste. Ensuite, parce que les étiquettes se bornent à décrire les signaux les plus forts, les parties émergées de nos personnalités, nos comportements explicites. Comme un médecin qui nommerait une maladie par ses symptômes, ou comme juger la qualité d’un livre par son nombre de pages… Le risque de passer à côté du vrai sujet est énorme.

Mais elles sont toujours dangereuses, pour l’individu et pour le collectif

Les étiquetages dans l’entreprise, nous les avons connus aussi à l’école : le premier de la classe, l’étourdi, le matheux. A 10 ans à peine, vous saviez déjà si vous aviez la « bosse des maths ». Sans elle, pas la peine d’essayer, ce n’était pas pour vous, tentez votre chance ailleurs.

Pour les étiquettes dépréciatives, on n’en parle même pas, disons seulement que la force de rébellion est bien moins forte que celle de la résignation.

C’est cela le problème de l’étiquetage : ça reste collé longtemps. À tout jamais parfois. Alors on finit par se l’approprier, on agit conformément à ce qui nous a été collé sur le front. Ce faisant, on donne de nouveaux arguments qui prouvent que c’est vrai (prophétie auto-réalisatrice), on se rapproche de ceux qui ont la même étiquette que nous (cristallisation), on ne s’essaye même pas à ce qui contredirait l’étiquette (autocensure) même si c’est quelque chose qui aurait pu nous plaire. Bref ça nuit à la prise de risque, d’initiative, au progrès, à l’épanouissement individuel et collectif. Un boulet, on vous dit.

Et c’est vrai autant pour les étiquettes péjoratives que mélioratives. Ceux qui sont, en entreprise, considérés comme des « petits génies surdoués » témoignent de la pression que leur confère cette étiquette. Elle leur donne la peur de l’échec, le besoin de montrer qu’ils comprennent vite et agissent bon du premier coup, la crainte d’être déclassé ; combien de « HiPo » qui ne percent jamais ? Pour les étiquettes dépréciatives, on n’en parle même pas, disons seulement que la force de rébellion est bien moins forte que celle de la résignation. Le pouvoir de l’étiquette…

Comment les combattre ?

Evidemment ce n’est pas simple, mais il existe plusieurs leviers dans les mains du manager notamment, pour atténuer voire annihiler le pouvoir de nuisance de l’étiquette.

Certes, il est impossible de les interdire ou d’avoir une action directe sur elles, l’étiquetage est un réflexe humain trop ancré. En revanche, plusieurs actions indirectes sont utiles, la seule condition est d’avoir conscience de ce phénomène d’étiquetage et de ses conséquences.

Il faut aussi changer la nature des étiquetages, que les personnes ne soient plus résumées à leurs qualités ou caractères (« prodige », « grincheux », « introverti ») mais à leurs actions ou comportements (« celui qui a réussi ça », « celui qui ne dit jamais non pour aider », etc.)

Alors, vous pouvez commencer à contredire l’étiquette, à petits pas vous faites essayer des actions qui viennent montrer à la personne elle-même d’abord, puis au collectif, que la caricature est fausse : demander à « l’introverti » une action publique, en s’appuyant sur une passion ou une zone de confort ; autoriser le prodige à se planter ; etc.

Dans la même logique, il ne faut pas manquer de communiquer sur ces actions qui contredisent l’étiquette, soit en feedback à la personne elle-même soit en communication d’équipe. Ne laissez pas passer ces occasions qui peuvent passer inaperçues mais qui vont re-questionner tout le monde sur le bienfondé du préjugé.

Il faut aussi changer la nature des étiquetages, que les personnes ne soient plus résumées à leurs qualités ou caractères (« prodige », « grincheux », « introverti ») mais à leurs actions ou comportements (« celui qui a réussi ça », « celui qui ne dit jamais non pour aider », etc.)

Vous pouvez également coller plusieurs étiquettes sur le même front : ainsi, le tchatcheur flemmard qui sera aussi « monsieur 1000 idées à la minute » et « le roi de l’animation de réunion » ne sera plus tout à fait étiqueté !

Et montrons enfin que sans refuser ses propres faiblesses ou défauts, nous luttons nous aussi contre les étiquettes que l’on nous colle. Ça aidera d’autres à faire de même !

Le digital ça change tout sauf l’essentiel

Le matin, je regarde souvent la météo sur le téléphone pour choisir ma tenue sans même jeter un oeil par la fenêtre… encore récemment, elle n’annonçait pas de pluie et je me suis retrouvé trempé sur mon vélo… Le smartphone nous donne un autre accès aux informations, mais ne les changent pas… quand il pleut, il pleut !

Il en est de même pour le digital en entreprise : le plus souvent ça révolutionne la façon de travailler, mais sans toucher à l’essentiel du métier. 

Explications.

Une révolution incontestable, et c’est bien le problème

Evidemment, l’informatique, le digital sont des révolutions pour nos modes de vie. Cela change notre rapport au monde, aux autres, à l’information. Cela change nos besoins de démocratie, la façon dont nous apprenons, nous achetons, nous communiquons, nous aimons parfois… Mais ce changement paraît si évident, qu’il finit par devenir un dogme qu’il est inconcevable de questionner sous peine d’être immédiatement vu comme rétrograde, conservateur ou has been.

Comme toutes ces vérités absolues, elles emportent la subtilité et on voit trop souvent des solutions digitales plaquées sans astuce par manque d’esprit critique et aveuglé par la tendance.

Parce que le digital ne change pas tout : l’essentiel demeure

Prenons l’exemple du commerce : il est incontestable que le commerce est très concerné par la révolution digitale : mode de distribution, de livraison, de recommandation, de comparaison. Rien ne sera plus comme avant. Et pourtant le commerce a-t-il fondamentalement changé depuis 50 ans ? Depuis 4000 ans même ? Pas tant que ça. On cherche à acquérir un produit, à un certain niveau de qualité, avec un certain niveau de conseil et de service, et une charge émotionnelle ou non… 

Est-ce que tout ça change vraiment ? Si le produit sur Amazon n’est pas celui attendu, vous serez déçus, comme pendant l’Antiquité.

Idem pour l’industrie : évidemment, on va la piloter autrement, faire l’usine 4.0, communiquer différemment. Mais au final, dans une usine on regardera toujours si la sécurité est assurée, si la qualité est au rendez-vous, si le coût est contenu (et en baisse si possible) et si tout c’est fait en temps et en heure. 

Dans l’aéronautique la fiabilité restera une clé ; dans la télévision, les programmes de qualité en ligne avec leur temps seront toujours ceux qui marqueront les gens ; dans la cosmétique, on cherchera à trouver les meilleurs produits, etc…

Le digital est un outil. 

Le gérer, c’est donc d’abord l’asservir

Le problème du digital, c’est que c’est un enjeu tellement incontestable qu’il ne fait pas assez l’effort de se mettre au service du business. Récemment dans un Groupe industriel, une présentation défendait le digital ; le même document aurait pu être présenté dans l’Assurance sans changer 1 seul mot !

Le digital ne doit donc pas être fainéant. Il doit se poser la question de son utilité pour le business, pour les équipes, pour le client. C’est une question de politesse en premier lieu, mais d’efficacité surtout. 

Comment s’étonner que les gens résistent ? Le métier, le savoir-faire doivent rester le cœur du fonctionnement d’une boite.

Très souvent on nous dit que le digital peine à prendre, que les gens ne se rendent pas compte… Mais quand on regarde de près, on se rend compte que les outils, les process digitaux ont été plaqués, et qu’ils ressemblent trait pour trait à ce qui est fait ailleurs. 

Le digital n’est pas un objectif, c’est un moyen.

Comment s’étonner que les gens résistent ? Le métier, le savoir-faire doivent rester le cœur du fonctionnement d’une boite. Si vous fabriquez des automobiles, des médicaments, des programmes TV ou des chaussures, votre métier restera de fabriquer ou de vendre. Le digital est à votre service pour mieux le faire, pas l’inverse. Et s’il faut pour cela garder du papier ici, une réunion physique là ou un tableau blanc, et bien gardez-les !

Le digital n’est pas un objectif, c’est un moyen.

Etre digital, ce n’est pas « faire une appli », c’est arrêter de décider

Enfin, si on prend un peu de hauteur et qu’on se demande ce que renferme cette révolution, on va s’apercevoir que les appli, les outils de stockage, de communication ou de prévision ne sont que la partie immergée de l’iceberg.

Wikipédia, Google, Wikileaks, Facebook ont révolutionné l’accès à l’information et le pouvoir ne peut plus la contrôler. Diriger devient animer la décision, et non plus la prendre.

Quand on me questionne sur le digital, je dis souvent que l’outil digital par excellence est le post-it… D’ailleurs, il est frappant de voir que chez la plupart des stars du web, le post-it est roi et occupe tous les espaces…

Pourquoi ce paradoxe ?

Parce que le digital change surtout 2 choses : le rapport à l’information et l’expression des opinions.

Avant internet, le pouvoir était proportionnel à l’accès à l’information. C’est vrai depuis le Moyen- Âge, où ceux qui savaient lire dominaient le monde, et jusqu’à il y a une vingtaine d’années dans les entreprises, quand l’accès à l’info était limité et contrôlé par un petit nombre de gens. Wikipédia, Google, Wikileaks, Facebook ont révolutionné l’accès à l’information et le pouvoir ne peut plus la contrôler. Diriger devient animer la décision, et non plus la prendre.

Avant internet, les experts seuls avaient accès à des tribunes, aux médias. On s’exprimait si on était légitime, compétent, reconnu. Maintenant, tout le monde s’exprime sur tout. Pour le pire parfois, mais pour le meilleur aussi, puisque la démocratie avance. 

Etre digital c’est laisser les avis s’exprimer et aider à décider… Et donc le règne du post-it.  

Si vous voulez vivre avec votre temps, la question c’est moins de savoir comment protéger vos données quand elles sont en ligne, que de savoir si vous devez les protéger… Etre digital, ce n’est pas mettre en place un vote électronique pour sonder le terrain, c’est permettre à tous de commenter vos choix et de prendre part à la décision. C’est aussi le grand défi des syndicats : comment réinventer ce rôle important quand les citoyens veulent de plus en plus s’exprimer eux-mêmes ?

ALBUS CONSEIL