Catégorie : topmanagement

Ne demandez pas aux managers intermédiaires de porter vos décisions

Pas une boite où les managers intermédiaires ne soient « coincés entre le marteau et l’enclume ». Difficultés à tenir la position, trop souvent « du côté du terrain », tiraillés entre leur loyauté à la hiérarchie et celle à leurs équipes, les managers de terrain sont presque toujours le maillon faible des organisations. Mais pourquoi est-ce si systématique ? Depuis si longtemps ? A-t-on les bonnes attentes vis à vis d’eux ?

Vous voulez débattre de cet article ? Critiquer ou abonder ? Rejoignez-nous le vendredi 19 mars de 13h à 14h sur Zoom.

 

L’héritage du contremaître…

Il parait si loin le contremaître des fabriques d’autrefois. Cet homme avec un petit h, au choix autoritaire ou paternaliste est sans ambiguïté aucune la courroie de transmission entre un patron, le juge, le bienfaiteur et le tortionnaire, et les ouvriers exécutants. 
Les frontières se sont brouillées et des subtilités sont apparues dans cette pyramide. Les ouvriers sont moins nombreux et plus qualifiés (en Europe occidental) ; le tertiaire a pris une place considérable, les patrons sont en moyenne plus éclairés. Les organisations sont moins pyramidales, plus ou moins matricielles, et les discours sont plus ouverts. Le chef est de plus en plus souvent une cheffe.

Mais le manager intermédiaire, malgré tous ces changements, me semble garder beaucoup de points communs avec notre contremaître :

  • il est supposé avoir voix au chapitre mais en réalité, on sait peu l’écouter et tenir compte de ses avis;
  • il est supposé faire preuve de leadership mais en réalité, il a peu de marge de manœuvre, et s’il en a en théorie, la pression sur les résultats et la logique de « best practice » tend à uniformiser leurs actions.

 

… Mais les attentes d’un entrepreneur

Sauf que nous lui demandons de porter les projets, de tenir la posture du manager, de ne pas tomber dans le copinage, de savoir sanctionner, d’être un véritable manager d’équipe et pas un simple leader technique….

Et on s’étonne, presque partout que le manager intermédiaire tienne mal son rôle. D’autant plus qu’il est souvent issu du rang, promu pour ses résultats d’opérationnel et pas ses qualités managériales.

À bien y réfléchir, je ne suis pas surpris que ces managers soient si rarement les leaders dont nous rêvons : il y a une contradiction fondamentale entre le rôle qu’ils doivent tenir dans des organisations qui cherchent à sécuriser les processus, à normaliser les résultats, à prévoir, à piloter, et le rôle que l’on espère désespérément d’eux autour de la créativité, de l’initiative et de la contradiction (constructive) permanente. Comme si vous demandiez à votre enfant de 4 ans d’inventer sa propre façon de traverser la route à condition qu’il reste dans les clous, passe au bonhomme vert et tienne la main.

Le paroxysme de ce rêve éveillé, c’est l’injonction à l’entrepreneuriat, à raisonner comme si c’était votre entreprise. Mais non. Ce n’est pas leur entreprise. Même avec quelques actions. Ils ne sont pas chez eux, ne soyons pas hypocrites.

 

Les solutions en noir et blanc

Alors évidemment, on peut échapper au paradoxe en assumant un modèle, ou l’autre.

Le modèle où on est vraiment leader se trouve parfois dans les entreprises libérées, dans les coopératives d’indépendants. Mais surtout, ce qui est très flagrant c’est que la seule vraie façon d’être entrepreuner est d’entreprendre. Avec le temps je me rend compte qu’il n’y a aucun moyen de proposer à un entrepreneur véritable une place durable dans une organisation. Un entrepreneur entreprend. Il n’est pas salarié, il n’est pas dans vos équipes, ou ne va pas y rester.

Le modèle franchement hiérarchique existe aussi, mais il est de moins en moins affirmé. Disons qu’il se trouve dans des orchestres, des cuisines de chefs, sur des navires, dans l’armée ou chez les pompiers. Il n’est pas nécessairement synonyme d’autoritarisme et de maltraitance et doit probablement marcher au moins un temps s’il est profondément choisi par tous et qu’il est générateur d’excellence.

Sauf que la plupart des entreprises n’ont les moyens ni de l’un ni de l’autre :

  • le modèle tous leaders est objectivement impossible quand la production nécessite la coordination de centaines voire de milliers de personnes, et que les équipes sont constituées d’individus aux attentes extrêmement diverses, issues de personnalités et d’histoires quasi infinies;
  • le modèle hiérarchique est passé de mode dans la plupart des secteurs, et il ne correspond plus aux besoins d’agilité et de réactivité dont la centralisation est l’ennemi.

Alors que faire ? Qu’attendre de nos managers intermédiaires ?

 

La solution en couleurs 

Avec tout ça, je pense que c’est un tort de vouloir leur faire porter les décisions qu’ils n’ont pas décidées. Par porter je veux dire défendre, répondre aux objections. C’est une chose qu’ils peuvent faire bien entendu. Mais imaginer qu’ils doivent TOUS le faire n’est pas pertinent. Vous serez déçus : ça serait moins bien fait que par vous même, ils se sentiront mal à l’aise, et vos équipes recevront un message sans enthousiasme quand il ne sera pas transformé ou même tout simplement oublié.

Non. Assumons.

C’est votre décision ? C’est à vous de la défendre.
Vous l’avez vraiment co-construite avec votre codir ? Tout le codir peut la défendre.
Vous voulez qu’un ou plusieurs managers défendent une décision ? Alors ça sera la leur et il faut laisser de grandes libertés !
Un de vos managers est si convaincu qu’il veut bien porter la décision ? Ok mais n’étendez pas aux autres.

Et si vous voulez changer ce rôle de courroie de transmission ?

Eh bien, raisonnez temps long et abordez le sujet autrement :

=> D’abord, ne vous attaquez pas au sujet à un moment où vous avez besoin de vos managers. Si vous voulez les repositionner, faites-en le coeur de la transformation et pas une modalité d’un projet plus grand. Ça évitera (un peu) le procès en manipulation.

=> Ensuite, avant de leur faire faire des tas de nouvelles choses, commencez à votre niveau : ne leur faites pas porter vos décisions, faites le vous-mêmes. Ne vendez pas la co-construction quand l’essentiel est déjà décidé, etc.

=> Enfin, offrez une liberté claire, concrète, dont l’usage sera fréquent, éventuellement demandée par eux depuis longtemps, et qui rend leur action « dangeureuse »… Oui, dangereuse. Tant que vous ne confiez que des décisions sans grands enjeux, vous passez de la pommade. Et autour de cette nouvelle liberté, bâtissez votre mobilisation ! Une quête spéciale et enthousiasmante, périlleuse mais patiente, inédite mais outillée.

La mobilisation d’un groupe ne peut être un processus aussi réglé qu’une chaine industrielle : il faut respecter l’humain et ses temps d’appropriation. Pour vous rapprocher de vos managers intermédiaires, cessez de leur demander d’être vous.

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Managers, DRH, écoutez ou ré-écoutez Les Mains d’Or

Le DRH est en train de devenir un personnage de fiction, le symbole du capitalisme un peu aveugle : « Merci Patron » brulot politique, Ressources Humaines (Benjamin Biolay) sur le discours un peu lénifiant du licenciement, The Office (version anglaise surtout) sur l’absurdité managériale… Et puis il y a « Les mains d’Or », sublime ballade de Lavilliers…

Ouvertement à gauche et militant, Lavilliers ne prétend pas à l’objectivité, certes ; mais dans cette chanson, il n’analyse pas, ou ne règle pas ses comptes. C’est une vision subjective d’un ouvrier qui voit son usine fermer….

L’émotion est assez intense, et une déclaration d’amour au travail de l’ouvrier : « J’voudrais travailler encore, forger l’acier rouge avec mes mains d’or »

Et pour ceux qui parfois pilotent des PSE, voire des fermetures, il raconte le sentiment de perte d’une partie de soi, de reconnaissance pure…. Ce sentiment qui explique en grande partie les réactions désespérées, irrationnelles, parfois contre leur propre intérêt « Je sers plus à rien moi, y’a plus rien à faire, quand je fais plus rien moi, je coûte moins cher que quand j’travaillais moi, d’après les experts ».

Je ne dis pas qu’il ne faut jamais fermer de site, ni faire de PSE, mais soyons conscients que les compensations financières, les mesures d’accompagnement, la bienveillance de votre posture n’enlève rien à un fait têtu : on enlève quelque chose d’important à quelqu’un… « j’ai passé ma vie là dans ce laminoir, mes poumons mon sang et mes colères noires ».  

 

Stop à la rémunération variable individuelle

Voilà sûrement la plus mauvaise des bonnes idées de ces dernières années ! Instaurer une rémunération au mérite individuel pour récompenser les meilleurs semble logique, mais on a tout faux. Non seulement c’est difficile à faire accepter aux partenaires sociaux, mais une fois en place c’est absurde, pervers, et finalement contre productif.

Nous profitons du fait qu’une entreprise du CAC 40 ( LVMH, excusez du peu) vienne de supprimer cette mesure pour partager notre joie, et expliquer ce qui nous semble être une excellente décision.

Trop beau pour être vrai

L’argumentaire de la rémunération au mérite est huilé et semble tomber sous le sens :

  • Elle permet de différencier les collaborateurs les plus méritants, et de reconnaître leur compétence et leur engagement.
  • Elle envoie un message à ceux qui trainent la patte.
  • Elle permet de distribuer la sur-performance à ceux qui en sont le plus responsable. 

En plus, les opposants à ce type de mesure sont faciles à contrer :

  • Ils veulent défendre ceux qui ne travaillent pas.
  • Ils refuse la notion même de performance et donc la pérennité de l’entreprise.

Alors évidemment, ceux qui luttent contre ces principes sont souvent maladroits ou dogmatiques, et ne servent pas vraiment une cause pourtant parfaitement légitime. 


C’est absurde

Ce type de rémunération est absurde à plusieurs titres ; en bref :

  • D’abord, elle dévalorise le contenu du salaire fixe, en laissant entendre que la performance ne fait pas partie des attendus du poste. J’exagère un peu mais à cause de ça, on vous répond « combien ? » quand vous demandez une action nouvelle pour s’adapter à un nouvel élément du contexte.
  • Ensuite, elle instaure par définition une hiérarchie des collaborateurs. Or cette hiérarchie nie un élément primordial de la réussite de 95% des entreprises : ce qui fait la performance d’une entreprise, c’est pas les exploits de 10% de « superstars », mais les actions justes et renouvelées de 90% des collaborateurs, incluant donc tous ceux qui ont une performance « normale ». Privilégier les talents est une absurdité RH parce qu’elle vous coupe de la masse de vos équipes, comme s’il suffisait d’un attaquant pour gagner un match, et qu’on pouvait se passer d’un milieu récupérateur, d’un gardien, d’un remplaçant ou d’un préparateur physique. 
  • Enfin, elle va contre l’évidence qu’une entreprise est une chaîne d’actions, et qu’il est IMPOSSIBLE d’attribuer avec certitude une performance quelle qu’elle soit à 1 seul. Même un vendeur sur le terrain, même un designer de génie. 


C’est pervers

Et comme c’est absurde, et bien c’est pervers.

Le salaire n’a plus de sens.

Dans une enseigne d’électroménager, une prime venait au vendeur quand il vendait un appareil plutôt qu’un autre… Résultat, beaucoup refusaient de vendre les autres appareils ! Mais du coup, le salaire fixe correspond à quoi ?

Le lien entre une prime individuelle et un résultat nécessite un choix d’indicateurs précis pour être crédible. On se retrouve donc à pointer certaines actions en laissant entendre que les autres actions ne sont pas utiles. Des collaborateurs deviennent du coup impossibles à manager puisque toute demande devra se faire avec une négociation de prime… Et là, vous vous mettez dans une situation de dépendance comparable à la drogue. Vous arrêtez la prime, vous mettez l’organisation en état de manque. Il faut donc renouveler et souvent augmenter les doses…

Pervers !

Les équipiers sont hiérarchisés.

Comme la rémunération au mérite individuel classe les collaborateurs, il y a donc les bons et les pas bons. Rapidement vous observerez que, année après année, les classements se reproduisent grosso modo, et que rares sont les « meilleurs » qui deviennent « les nuls » ou inversement. La rémunération au mérite qui aurait comme vertu de motiver, devient en fait un outil qui fracture votre équipe. 

Si votre système est mal fait évidemment, on finit par avoir une petite minorité qui fait « le boulot des autres » et revendique toujours plus de reconnaissance ; alors que les autres se sentent exclus et se tournent vers les extrêmes pour être défendus.

Mais même s’il est bien fait, on aura toujours une frustration d’une majorité (qui pensait mériter plus) et dont la démotivation est loin d’être compensée par celle de ceux qui s’estiment bien lotis.

Pervers !

Les fonctions sont silotées.

Peu d’organisations ne constatent pas de silos et vantent la transversalité de leur fonctionnement. Eh bien la rémunération variable individuelle est une belle occasion de geler les silos. Parce qu’un collaborateur ne voudra pas d’une prime sur un objectif qu’il ne maîtrise pas, vous allez saucissonner votre activité et pousser les individus à se concentrer à 100% sur leurs actions en négligeant celles des autres.

Or la vérité d’un système complexe, c’est qu’il faut parfois (souvent) arbitrer entre différents éléments du système pour atteindre l’optimal global. Et cet arbitrage peut amener à diminuer la performance locale. Donc, soit vous n’avez pas d’arbitrage global et vous ne serez pas à l’optimum ; soit vous faites des arbitrages globaux et vous nuirez aux performances et donc aux primes de certains… Je ne donne pas cher de la motivation des personnes concernées.

Pervers !


C’est inefficace

Et donc contrairement à l’argumentation un peu trop simple de la rémunération variable individualisée, vous êtes sûrement très en dessous de votre optimum de vente, de marge, de qualité, de sécurité, ou de tel ou tel autre de vos objectifs vitaux… C’est dommage, non ?

En résumé, ce paradoxe est l’effet d’une erreur d’appréciation : présentée comme un outil de plus pour manager et reconnaitre, ce genre de système est en fait un outil qui tue les autres leviers de management, et finit même par s’effondrer lui-même sous son coût social et financier.


Bâtir un système de variable 100% collectif, c’est se donner les moyens de manager

Pour un système vertueux, qui protège l’entreprise et traite avec justice les salariés, il faut renoncer totalement à ces primes.

Préférez les augmentations annuelles pour la reconnaissance individuelle financière parce qu’elle permet de globaliser l’évaluation, et d’inclure le lien avec les autres, la transversalité, le quoi et le comment, et de faire un point sur l’acquisition de compétence (VA à long terme) sans être aveuglé sur les gains du quotidien (VA de court terme).

Et mettez en place des reconnaissances variables collectives. 

Pour les mettre en place, vous pourrez faire du participatif pour mettre en évidence l’intérêt collectif et les contributions locales. Vous aurez donc une discussion sur la VA de votre entreprise pour vos clients, et de comment on l’optimise tous ensemble. Vous parlerez client, coeur de métier, collaboration.

Et puis, ensuite, vous valoriserez l’entraide et l’aide. Ainsi, au lieu de mettre 10% en avant, vous rendrez compte du travail de 90% des équipes. Et, oui, il y aura toujours quelques passagers clandestins qui profitent du système mais, d’une part la régulation collective jouera, et d’autre part c’est un coût minime par rapport au bénéfice de mobiliser une majorité.`

Récemment au PSG, le capitaine (qui traditionnellement gère avec ses collègues la répartition des primes de l’année) a demandé à récompenser Ben Arfa qui n’a pas joué de l’année mais était « exemplaire à l’entrainement et dans le vestiaire » ! Même dans ce monde d’hyper performance, la collectivisation des primes est vertueuse. 

Enfin, vous protégez mieux la santé de votre entreprise parce que vous êtes sûr que les critères d’attribution des variables dépendent de la santé réelle du système complet. Vous évitez donc de verser une mega prime à un commercial qui a fait un exploit alors que la boîte est dans le rouge.

Autrement dit, vous (re)commencerez à manager, et supprimerez les primes au mérite !

 

 

Arrêtons d’idéaliser nos grands patrons

Quand on parle de grands patrons, il y a deux sports très pratiqués : le « Boss Bashing » que nous avions déploré dans un précédent article, mais aussi l’idéalisation des Boss. « Il retient tout » ; « il va très très vite » ; « s’il y a une erreur dans la présentation, elle la verra immédiatement » ; « Il connaît tout sur tout », etc. Ce ne sont pas des caricatures, mais des phrases entendues souvent, dans plusieurs entreprises. Pourquoi c’est un vrai problème et comment le résoudre? 

Bien sûr, quand il s’agit de son n+1 ou n+2 que l’on croise tous les jours, on n’a pas ce genre de problème, on connaît bien les forces et les faiblesses de la personne. Mais le top management, celui que l’on ne voit qu’à la grande messe annuelle ou au comité de pilotage ultra-stratégique, là peut se développer parfois une admiration démesurée.

Premier gros problème, l’idéalisation éteint le sens critique

Si le big boss est si fort que vous le dites, pourquoi remettre en cause ce qu’il/elle dit ou fait ? ce serait idiot surtout que si vous n’avez pas compris, c’est que vous n’avez pas la même vivacité intellectuelle que le boss. Si vous avez compris mais que vous trouvez ça bizarre ou contestable, c’est qu’il doit vous manquer certains morceaux du puzzle, car vous ne connaissez pas autant de choses que le boss. Et si vous avez déjà essayé et que ça n’a pas marché, et bien essayez encore puisque l’Être supérieur vous le dit.

Fin de la discussion. Reductio ad patronum !

Ça peut, là encore, paraître extrême mais c’est le comportement que nous rencontrons souvent et qui est le problème principal de l’idéalisation : on se soumet sans se poser de questions. On prend ses suggestions pour des décisions, ses questions pour des doutes, ses doutes pour des jugements, etc.

Le pire, c’est quand ces questions/doutes/suggestions ne sont pas entendus mais rapportés : « Cela ne vient pas de moi mais de Nicolas, désolé ». Fin de la discussion. Reductio ad patronum !

Bien sûr que l’avis du big boss compte, qu’on ne peut pas passer outre. Mais l’écouter sans questionner ou challenger et prendre tout au pied de la lettre, c’est dommageable pour lui, pour vous et pour l’entreprise. Non, il ne connaît probablement pas le contexte du projet aussi bien que vous qui le suivez au jour le jour. Il comprend peut-être vite mais il ne se souvient pas de tout et donc oui… il peut dire de grosses bêtises, et il faut bien qu’il/elle l’entende et donc que vous lui fassiez comprendre d’une façon ou d’une autre.

 

D’autant que c’est une mascarade qui aliène tout le monde

Ce rapport entre le big boss qui rayonne et les collaborateurs qui se soumettent est non seulement inefficace, mais aussi aliénant. Car dans cette mascarade quasi-monarchique, chacun est obligé de maintenir l’illusion de l’autre, même si personne n’y croit vraiment.

Alors on se persuade que c’est brillant et on exécute. Tout le monde y perd mais les apparences sont sauvées. Ouf !

D’un côté, le big boss sait bien que son avis peut être bancal, qu’il n’a pas assez de temps pour faire le tour de chaque question, qu’il ne sait pas quoi dire ou quoi faire parfois. Mais peut-on décevoir des fans, ou en tous les cas des collaborateurs qui attendent une sortie pleine de certitude, un avis tranché ou une critique ciselée ? Alors on essaye de sortir une fulgurance, on en rajoute, on joue le rôle.

Et de l’autre côté on applaudit, en pensant que même si la remarque est discutable, celui ou celle qui l’a prononcé n’est pas là par hasard et que de toute façon, il/elle ne supporterait pas qu’on y trouve quelque chose à redire. Alors on se persuade que c’est brillant et on exécute. Tout le monde y perd mais les apparences sont sauvées. Ouf !

 

Enfin, ce n’est surtout pas vrai !

Car soyons clairs, les grands patrons sont souvent des gens méritants qui ne sont pas là par hasard. Mais rares sont les esprits brillants à ces niveaux-là. Il ne faut pas être hypermnésique, surdoué et cultivé pour devenir un grand patron. Pour être professeur d’université, chercheur ou grand expert oui, mais pour être patron ce serait presque un handicap.

Car la qualité d’un grand leader n’est pas sa supériorité intellectuelle mais un état d’esprit d’entrepreneur, une capacité à prendre des risques, la ténacité, et d’autres qualités de caractère qui lui permettent de fédérer, guider, mobiliser. Pour le reste, il a besoin de son équipe pour l’aider, lui donner des informations et des conseils, pour réfléchir à sa place en quelque sorte. Et en idéalisant, à tort donc, son chef, c’est exactement ce que vous ne faites pas…

Comment y remédier ?

La première chose à faire, c’est de mettre fin à la mascarade dont nous parlions tout à l’heure, celle qui consiste pour un patron à jouer le rôle du génie face à des équipes qui se persuadent qu’il en est un. A priori, ce n’est faisable que par le grand patron lui-même ou par ceux qui tiennent le système de l’entreprise (RH, membres Codir, actionnaires). Pour mettre fin à la mascarade rien de plus simple, exprimer ses incertitudes, ne pas donner d’avis trop tranchés quand ce n’est pas indispensable, poser des questions ouvertes, laisser des alternatives.

Ensuite, ce que tout le monde peut faire, c’est mettre son big boss au boulot. Plutôt que de ne faire que des présentations à juger et des rapports à critiquer, faites aussi des brainstormings, des réunions de travail où vous vous attaquerez ensemble à des questions auxquelles personne n’a la réponse. Essayez même juste de temps en temps, pour changer, cela installera un autre climat, un autre rapport de force. Vous verrez que votre boss est bon mais pas brillant, il ou elle pourra être utile sans avoir à jouer le rôle du je-sais-tout dont beaucoup sont lassés. Tout le monde y gagnera. 

L’Ambition menacée d’extinction

Sans pouvoir nous appuyer sur des statistiques implacables, tant pis pour les rationnels à tous crins qui ne jurent que par ça, nous constatons une raréfaction inquiétante des leaders ambitieux en entreprise. Peur de l’échec, asservissement au système et surcharge de travail ? Un peu de tout ça, mais à quoi bon monter dans l’organisation s’ils n’ont (plus) aucune cause à défendre ?

Il suffit de voir comment on parle de l’Ambition dans et hors de l’entreprise. La notion est décriée, caricaturée, méprisée. Pour certains, elle serait le signe d’un orgueil mal placé, l’apanage des politiques assoiffés de pouvoir. On l’oppose de plus en plus à l’épanouissement au travail.

Le résultat, c’est que l’on demande à des leaders d’avoir une vision mais pas une Ambition, et encore moins de l’Ambition.

Pourtant, ne faut-il pas avoir eu de l’Ambition pour accéder au poste de Leader ?

L’Ambition, ça se perd

Les compétences, la capacité à fédérer ou le succès sont des arguments mais pas des conditions sine qua non pour accéder à un poste de leader. On peut monter son entreprise, fonder son mouvement politique, créer son association sans rien de tout ça.

Une ambition quelle qu’elle soit est un tuteur indispensable pour permettre à l’ambitieux d’accéder ou de créer son rôle de leader.

En revanche, on ne devient pas un leader sans « une envie impérieuse de changer les choses ». C’est ainsi que Vincent Cespedes définit l’ambition dans son livre L’Ambition ou l’épopée de soi (Flammarion, 2013). L’Ambition est le moteur de la volonté indispensable pour se surpasser, prendre des risques et se hisser ainsi à un poste de leader quel qu’il soit.

Peu importe qu’il s’agisse de bonne ou de mauvaise Ambition, que l’on soit un guide ou un arriviste, un altruiste ou un requin aux dents longues. Une ambition quelle qu’elle soit est un tuteur indispensable pour permettre à l’ambitieux d’accéder ou de créer son rôle de leader.

Alors donc, s’ils ont besoin d’ambition pour devenir des leaders, comment la perdent-ils ? Tout simplement parce que l’entreprise agit comme un gaz, asphyxiant l’ambition de ses leaders. Et le pire, c’est qu’elle le fait souvent consciemment mais n’en mesure pas les conséquences : un leader sans Ambition ne sert (presque) à rien.

Comment l’entreprise tue l’Ambition

Selon nous, l’entreprise d’aujourd’hui tue l’Ambition trois fois : idéologiquement, culturellement et par étouffement.

Par cette triple attaque, elle transforme des ambitieux en aquoibonistes résignés. 

Idéologiquement, l’entreprise fait une erreur de diagnostic. Assimilée à tort à du carriérisme comme on l’a dit plus haut, l’Ambition est de plus en plus mal vue dans l’entreprise qui la considère comme une entrave au fonctionnement collectif. On préfère prôner l’humilité, le collaboratif et les objectifs chiffrés et réalistes. L’Ambition est ainsi devenue immorale.

Culturellement, l’entreprise tue l’ambition en installant une culture de la fiabilité et de la prévisibilité qui annihile la prise de risque et l’acceptation de l’échec, conditions indispensables de l’Ambition. Evidemment, on s’en défend et on affiche le contraire, la prise de risque est même sollicitée… mais à condition de remplir ses objectifs annuels, de garantir la paix sociale, de réussir les audits opérationnels et financiers et de respecter le cadre fixé par la hiérarchie. Le risque ok, mais l’échec non. Bon courage !

Enfin, l’entreprise étant de plus en plus consommatrice de l’énergie de ses employés, à tous les niveaux,  préfère avoir des « leaders » asservis que des leaders qui veulent la changer. Pour cela elle installe une surcharge de travail qui répond à leur besoin de se sentir utiles (« je suis indispensable, puisque je suis surchargé »), les empêche de prendre du recul pour bâtir une vision, et étouffe ainsi les envies de faire différemment. Parfois jusqu’au burn-out.

Par cette triple attaque, elle transforme des ambitieux en aquoibonistes résignés. Et c’est ainsi, qu’il est de plus en plus rare de croiser des leaders qui portent une ambition propre pour leur entité.

Certains ne s’en défendent même pas, leur seule « ambition » étant de tenir leurs engagements c’est-à-dire leurs objectifs annuels. D’autres se mentent à eux-mêmes, disant attendre des périodes plus calmes pour y réfléchir (périodes qui ne viendront bien sûr jamais).  Et les derniers, affichent une pseudo-ambition qui est souvent la même que celle du voisin et qui n’est rien de plus que ce que l’entreprise attend d’eux de toutes façons. Elle est juste formulée avec des mots plus sympas,  par exemple : « Devenir la référence du service au client »

Sans Ambition, pas de changement profond ni solide

Sans ambition, le leader aura du mal à transformer et enthousiasmer son équipe. En effet, l’Ambition personnelle permet l’émulation collective, c’est à dire l’envie d’atteindre un autre niveau. Le leader sans Ambition est un organisateur, 100% rationnel ou presque, qui fait des actions probablement logiques et lisibles, mais peu exaltantes et ne générant pas l’énergie nécessaire pour sortir les équipes de cette zone de confort si difficile à quitter.

Et puis, plus simplement, quel est l’intérêt d’être un leader si on n’a rien à défendre, rien à créer, rien à transformer ?

Par ailleurs, un leader sans ambition résiste moins aux échecs car il n’a pas de motif qui justifierait sa persévérance.  Un peu comme un mercenaire qui ne recevrait plus sa solde à la différence d’un chevalier se relevant cent fois pour défendre sa cause.

Parce qu’elle est personnelle, donc subjective, l’Ambition est émotionnelle, voire irrationnelle. Elle permet donc de s’attaquer à des dysfonctionnements irrationnels sur lesquels les démarches purement objectives sont inefficaces : le cloisonnement, la méfiance, la démobilisation, le manque de courage managérial, etc. Bref toutes ces choses que les managers affrontent et sur lesquelles ils manquent souvent de solutions.

Et puis, plus simplement, quel est l’intérêt d’être un leader si on n’a rien à défendre, rien à créer, rien à transformer ? Si c’est pour bien faire son travail, de gagner de l’argent ou bien paraître dans les dîners, on peut faire des choix plus simples. Pourquoi s’exposer, quand on n’a plus l’impérieuse envie de changer les choses ?

Une Ambition, ça se retrouve individuellement ou ça se révèle collectivement

Techniquement, retrouver une Ambition n’est pas difficile. C’est avant tout un sujet d’autorisation. Trouver la force d’assumer une Ambition quand on a pris l’habitude d’être un bon soldat remplissant strictement ses objectifs, c’est sortir d’une position insatisfaisante (pour un leader et pour son équipe) mais confortable, lénifiante. Pour retrouver une Ambition, il faut donc réécouter sa passion, sa vocation individuelle. Vincent Cespedes nous redonne l’étymologie de l’Ambition « Le mot latin ambitus, qui signifie ‘briguer un mandat’, désignait, dans l’Antiquité romaine, le fait de démarcher le peuple pour se faire élire aux diverses magistratures. Aujourd’hui encore, un véritable ambitieux enthousiasme son entourage, qui le perçoit comme un modèle à suivre. Ces vocations individuelles se muent en épopée collective ».

Et puis, si cette démarche vous paraît trop individualiste, vous pouvez aussi décider de porter l’ambition de l’équipe, en la révélant. Pour cela, il faut repartir des singularités de l’équipe (les forces, les caractéristiques, les succès que d’autres équipes comparables n’ont pas) et tirer le fil pour en déduire une Ambition.

Votre équipe est la plus expérimentée, faites-en une école pour toute l’entreprise ; Elle est la seule à être multiculturelle, misez sur la créativité, etc.

Qu’elle soit individuelle ou collective, l’Ambition est un « appel intérieur », et il ne tient qu’à vous d’y répondre. 

ALBUS CONSEIL