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Hunger Games – Quelle attitude face aux projets difficiles à annoncer ?

Lorsqu’on a une annonce compliquée à faire, on a tendance à mettre les difficultés du projet sous le tapis, alors qu’il vaut mieux les mettre en évidence. Ça demande du courage mais c’est tellement plus efficace !

Katniss, la protagoniste du film Hunger Games voit sa vie chambouler lorsqu’elle est tirée au sort pour participer à un jeu mortel où s’affrontent 24 candidats dans une arène vicieuse. Un seul vainqueur, un seul survivant. En quelques secondes, elle quitte sa famille, son district et tout ce qu’elle connait pour se préparer à jouer dans un jeu où elle devra très probablement y laisser sa vie.  Effie et Haymitch sont les deux mentors de Katniss, ce sont eux qui l’accompagnent du tirage au sort jusqu’à l’arène. Ils ont tous les deux le même objectif, que Katniss sorte vivante des jeux, mais ils s’y prennent de façons très différentes.

Pour vous, on a analysé leur duo managérial. 

 

Effie cherche à protéger Katniss de l’horreur…

 

effie

 

Effie voit systématiquement le bon côté des choses, partout et en tout. Elle s’attache à mettre en avant les délices de la nouvelle vie de Katniss : les costumes de star qu’elle porte, les banquets auxquels elle assiste, l’engouement qu’elle suscite dans les foules, la beauté du Capitole. Effie refuse de voir Katniss pleurer, elle ignore ses colères et évite tous les moments où Katniss  évoque la mécanique vicieuse des Jeux et la possibilité très probable de mourir…

Effie c’est le manager qui vous annonce un grand changement en ne parlant que de ce qu’il y a d’enthousiasmant dans le projet, de tout ce que ça va engendrer de chouette et en embrayant sur la suite sans vous laisser le temps de digérer tout ce qui va disparaître. Elle veut bien faire mais au fond c’est maladroit, ça nous agace et ce n’est pas très efficace.

Quand on manage au moment d’une annonce, on fait souvent comme Effie, on pense rassurer en minimisant les difficultés qu’engendrent le changement et on pense encourager en insistant sur les bienfaits du projet futur. Mais ça ne marche pas. Toute annonce apporte son lot d’émotions, son lot de deuil à encaisser. Face à ce deuil, les phrases d’encouragement sonnent creuses, l’excitation est désynchronisée avec la peur que vivent les autres et surtout vous perdez la confiance de votre équipe qui finira par ne plus vous écouter car vous êtes « vendus au projet.»

 

Haymitch parle franc : c’est violent mais ça marche.

 

haymitch

 

Pas étonnant alors que Katniss se tourne plutôt vers Haymitch, un ancien vainqueur désabusé qui noie son désenchantement dans l’alcool. On serait tenté de dire que Haymitch ne fait pas grand-chose pour Katniss. En effet, pendant longtemps, il ne lui propose rien. Haymitch parle franc : c’est violent mais ça marche. On se dit que Katniss n’a pas besoin de ça, qu’elle en a bien assez sur les épaules. Mais c’est auprès de lui que Katniss peut pester, pleurer et s’entendre dire que les Jeux sont terrifiants, qu’elle va surement y laisser sa peau, que c’est une énorme manigance pour assujettir le peuple.

Alors Haymitch choque à livrer une vérité si déprimante, mais il a compris quatre choses fondamentales :

  • D’abord, il parle vrai. Tout ce qu’il sait sur le Jeux il le dit et tout ce qu’il ne sait pas il l’avoue. C’est risqué car cela rend parfois Katniss furieuse mais il y gagne sa confiance.
  • Ensuite, il admet que c’est une période très difficile pour Katniss sans survendre les beautés de sa vie future – ni la fulgurance des jeux ni la gloire quand on les gagne.
  • Puis, il écoute sans chercher à la convaincre et sans se lasser de répéter. Les émotions déforment ce que l’on entend alors il répète patiemment et parfois plus frontalement.
  • Enfin, il attend que Katniss soit prête, qu’elle ait digéré son sort pour lui proposer un plan d’attaque, une stratégie de survie.

Haymitch a raison d’accepter les émotions – même négatives – de déni, de colère, de tristesse, d’anxiété de Katniss. Parce-que s’il ne le fait pas maintenant, elles ressortiront plus tard, plus fort ou sur d’autres sujets. C’est un mécanisme : on ne peut pas remonter si on n’est pas descendu alors Haymitch laisse Katniss descendre bien bas pour qu’elle puisse remonter par la suite.

C’est d’ailleurs ce qu’on fait de grands leaders de l’histoire comme Churchill qui en 1940 devant son pays encerclé par la guerre ne promet « que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur.» 

 

Concrètement, comme manager, voici quelques idées pour accompagner la descente et gérer la remontée :

Franchement on est tous un peu Effie. Parce-que c’est tentant d’être Effie. On a envie de rassurer, de motiver, de donner envie. Et être Haymitch c’est contre-intuitif, c’est difficile même mais c’est de ce côté-là qu’il faut aller chercher pour annoncer des projets difficiles.

  • Assumer un management individuel où chacun vit ses émotions à des rythmes différents par rapport à l’annonce. Certaines personnes n’oseront pas parler en collectif et certaines auront besoin de plus de proximité́ avec vous.
  • Cela vous demandera peut-être des points plus fréquents pour écouter, faire parler et comprendre sans chercher à répondre. En individuel c’est aussi plus facile d’inciter un collaborateur en colère à s’exprimer sans le museler.
  • C’est l’occasion de reconnaître qu’il y avait de belles choses à perdre dans le monde d’avant, que tout le travail fourni auparavant avait sa place et sa nécessité.
  • À la suite d’une grande annonce, mettez en place des rituels différents, propre à une crise, où l’on se parle de l’annonce régulièrement et fréquemment même si on n’a pas de nouvelles informations à partager. Ces moments-là, même rapides, permettent de maintenir une dynamique d’équipe et de désamorcer les rumeurs.
  • Ne vous lassez pas de répéter, patiemment, les émotions déforment ce que l’on entend sur le coup. Une bonne manière de rassurer c’est aussi de rappeler tout ce qui ne change pas et donc ce qui reste stable.
  • Enfin, restez attentifs à toute initiative qui va dans le sens d’un rebond et valorisez un collaborateur prêt à redécoller !

 

Pour conclure, quand vous aurez à gérer une annonce qui provoquera un changement – on n’espère pas aussi drastique que celle des Hunger Games – attention aux pièges tentants de vouloir mettre sous le tapis les aspects difficiles et de survendre le projet à venir. Mettez plutôt votre énergie à reconnaître et à accompagner la montagne russe que vivent vos collaborateurs sans prétendre que c’est un fleuve tranquille. Ils en sortiront rassurés et armés pour la suite.  

Pourquoi garder les meilleurs n’est pas une priorité

 1 mois après une réflexion sur les systèmes de Hi-Po qu’il faut selon nous proscrire, poursuivons le combat contre les idées reçues sur le management des talents ! Il le faut parce que nos entreprises sont obsédées par les pépites en tout genre, qui répondent à certains canons du moment : souplesse, pragmatisme, leadership, aisance relationnelle, « intelligence », et bien sûr résultats obtenus, âge, études… Mais a-t-on raison de tout faire pour les attirer et les retenir ? Pas sûr.

 Attirer et garder les meilleurs c’est cher….

Comme personne ne remet en question le fait qu’il faut attirer les super talents chez soi plutôt que les laisser aller à la concurrence, tout le monde se bat pour les mêmes personnes. D’autant plus que la définition de ce qu’est un talent est très normée finalement par le bruit ambiant sur le management. Il suffit de se balader sur LinkedIn quelques minutes et on a plein de critères. Je viens de faire l’exercice à l’instant et, en 4 minutes chrono j’ai gestion des émotions, prise d’initiatives, culture digitale, féminins si possible, coopérative, intelligence collective, innovante… Qui ne recrute pas le candidat qui a tout ça ? Personne. C’est donc cher surtout s’il est suffisamment jeune, mais pas trop.

Et puis, au long de leur vie au boulot, ces mêmes talents sont chassés, donc exigeants. Ils fréquentent des gens comme eux, comparent salaires et avantages, sentent souvent le parfum d’une herbe ailleurs qui serait peut-être un peu plus verte.

Et comme on ne se pose même pas la question du bien-fondé de cette course pour les pépites, on paye cher, sans challenger ce choix.


Et moins efficace qu’il n’y parait

Mais la stratégie est hautement contestable, au-delà de son prix, par les effets indésirables qu’elle induit, et les possibilités qu’elle réduit.

D’abord, elle prend comme critère des qualités objectives et effectivement efficaces en entreprise, mais néglige un peu (beaucoup) la motivation. Les talents peuvent en avoir évidemment, mais un outsider que l’on recrute, qui ne coche pas les cases peut en avoir bien plus et bien plus longtemps, justement parce qu’il ne coche pas toutes les cases. Vous savez, c’est l’effet du petit Poucet dans les compétitions sportives (coupe de France de football en tête) où une équipe objectivement moins forte renverse une équipe de stars, parce que la motivation dépasse le talent. Mais évidemment cet argument est insuffisant sur la durée, parce qu’en entreprise on a beaucoup de matchs à jouer, et pas seulement un exploit à réaliser.

Pendant ce temps, on cantonne es autres aux projets et tâches subalternes

Plus structurellement la fragilité de cette stratégie est d’induire une gradation entre les salariés (comme on l’a vu dans l’article sur les systèmes HiPo https://www.albus-conseil.com/fr/flop_67-en-finir-avec-les-hipo). Elle déséquilibre les moyens donnés aux uns vs ceux que l’on donne aux autres, bien plus nombreux. Elle concentre les projets les plus excitants et les plus formateurs dans les mains de ces pépites, pour qu’ils restent relever le défi. Mais pendant ce temps, on cantonne donc les autres aux projets et tâches subalternes. En plus, les talents, notamment quand ils sont très jeunes, veulent travailler avec des gens comme eux, parce que ça les stimule et que ça renforce les probabilités de succès et donc d’effet booster pour la carrière.

En réalité, il faudrait demander (exiger) que les pépites soient presque exclusivement centrées sur les autres plus faibles. Mais on leur demande rarement ça… Et l’accepteraient-ils ?

La recherche de talents c’est une stratégie qui omet que l’entreprise est un système plus complexe qu’un train qui a besoin d’une locomotive pour tirer des wagons passifs. L’entreprise a besoin que tout le monde tire. Et attribuer cette mission à certains c’est implicitement ou explicitement ôter aux autres la responsabilité de le faire.


Les retenir en période de changement est un calcul dangereux

Et dans la vie des entreprises, il y a des moments où cette stratégie contestable devient carrément absurde : en période de forts changements. Quand vous menez une réorganisation, un PSE, quand vous modifiez en profondeur votre stratégie. Si vous êtes à la tête d’une petite boîte rachetée par une plus grande, ou que vous rachetez une autre structure dont la taille va modifier profondément le fonctionnement de l’entreprise. Bref, si vous menez un changement important, alors, vous avez sûrement tendance à vous dire : « pourvu que les meilleurs ne partent pas ».

Ça ne veut pas dire que tous les talents vont partir, mais que vous ne maîtrisez que très peu la décision.

Mais un grand changement c’est un changement du pacte pour lequel on est rentré dans l’entreprise. Et dans ces cas là, le réflexe mécanique, pour tous, c’est que le projet individuel va temporairement et violemment prendre le dessus sur le projet collectif : « Est-ce toujours la boîte dont je rêve ? » « Est-ce le moment de donner un nouveau sens à ma carrière ? » Or ces questions, nécessaires et souhaitables dans un processus d’appropriation, vont aboutir à des conclusions qui vous sont moins favorables pour les plus hauts potentiels. Puisqu’au moment où ils vont étudier leur propre cas, ils vont aboutir à la conclusion qu’ils ont d’autres possibilités que de rester. Alors que les gens plus fragiles vont se dire qu’ils ont intérêt à s’accrocher. Ça ne veut pas dire que tous les talents vont partir, mais que vous ne maîtrisez que très peu la décision. Votre intérêt est de faire une bonne proposition sans exagération (pour garder des marges de manœuvre pour les autres) et de vous concentrer sur l’équipe du futur, ceux qui resteront sûrement pour les fédérer autour du nouveau projet.

Exemple : votre start-up à succès est rachetée par un grand groupe (vous êtes chez Chauffeur Privé racheté par Daimler par exemple) : il est probable que les super talents qui sont venus pour être grisés par l’esprit start-up soient impossibles à retenir. Ils vont donc partir. L’attitude la plus logique est donc de faire de ces départs une fête (vive ceux qui ont contribué à nos succès jusque-là et qui vont faire le bonheur de start-upeurs en devenir !) et de mobiliser votre énergie sur ceux que le monde des start-up n’intéresse pas plus que ça (oui oui, il y en a) pour faire un projet excitant pour les années à venir, avec les atouts du grand groupe.


Et parfois les faire partir fait avancer plus vite 

  Et puis, allons plus loin et rappelons notre inspirateur principal, le roi Arthur (https://www.albus-conseil.com/fr/flop_24-la-revanche-manageriale-darthur). Arthur veut le but mais pense que le progrès et le collectif sont les moyens les plus efficaces pour l’obtenir, quand Lancelot veut réunir les meilleurs pour y arriver. Arthur nous invite à regarder l’équilibre des relations plus que les records. Il nous incite à faire progresser un peu tout le monde plutôt que beaucoup peu de monde pour avoir un grand bras de levier, et surtout une pérennité des actions. Ainsi, Aimé Jacquet, arthurien iconique, n’a pas pris Cantona pour gagner sa coupe du monde, et a inspiré son disciple Didier Deschamps qui s’est privé de Benzema, pour le même résultat.

Parfois se séparer d’un talent évident, c’est libérer les énergies.

Alors quand votre équipe ne marche pas malgré de grands talents, envisagez la possibilité qu’elle ne marche pas à cause des grands talents. Parce qu’ils prennent trop de lumière et en laissent peu aux autres qui se démotivent. Parce qu’ils suscitent votre admiration qui va sembler inaccessible aux autres.

Parfois se séparer d’un talent évident, c’est libérer les énergies et redécouvrir des talents moins brillants, mais bien répartis. Vous reprendrez souvent de l’optimisme sur votre équipe en enlevant la star qui vous éblouit.


Faites vos talents, hors des normes et rien que pour vous

Finalement, la question n’est pas de se séparer à tout prix des meilleurs, ou de renoncer à en attirer un seul, mais surtout de ne pas exagérer en la matière. Pas de privilège à leur donner et l’exigence très forte d’emmener les autres avec eux. Un talent anti-collectif c’est grave.

C’est aussi une question de mesure et d’équilibre. On n’oublie pas de valoriser autant les petites victoires de ceux qui essayent que les grandes victoires de ceux qui planent au dessus de la mêlée. On n’oubliera pas de sur-valoriser un collectif qui marche ensemble vs un individu qui avance vite mais seul.

Ainsi, vous créerez vos propres talents, adaptés à la vie et aux contraintes de votre entreprise, qui vous coûteront plus en formation et en management de long terme, mais moins en course au package dans un marché hyper concurrentiel.

Retrouvez une place à l’inutile au travail

Depuis autant qu’on s’en souvienne, presque tous les grands changements des entreprises ont un point commun : la recherche d’efficacité. Comment faire plus ou mieux dans le temps disponible. C’est un dogme. A ce dogme s’est ajoutée récemment une tendance : le « tout utile ». Les deux ensemble ont éradiqué les moments gratuits de la vie professionnelle. C’est une erreur majeure !


La recherche d’efficacité et le « tout utile », une quête sans fin

Raoul arrive au travail à 8h, il aime bien arriver plus tôt pour traiter ses mails avant que les collègues arrivent. Ensuite, il se rend au stand meeting : c’est pratique de prendre un café en faisant le point avec l’équipe sur les éléments-clés, tout le monde debout et en seulement 15 minutes. Deux réunions projets plus tard, working lunch avec ses pairs pour préparer l’événement du mois prochain sur le lancement du nouveau produit, puis café-feedback avec deux n-1 comme tous les mardis, l’enchaînement des routines opérationnelles en mode agile (c’est bien mieux qu’avant) et il est déjà 18h. Cool, le mardi c’est l’afterwork innovation, on prend un verre et deux start-up pitchent leurs story. Encore une journée efficace !

Il manque quelque chose d’essentiel : il n’y a rien de gratuit

La journée de Raoul est loin d’être horrible, elle ressemble à beaucoup d’autres. Bon, il y a les anglicismes qui énervent mais sinon, il y a tout : de la méthode, du convivial, des projets, du quotidien, des échanges, etc. Pourtant, il manque quelque chose d’essentiel : il n’y a rien de gratuit. Pas un moment qui ne sert pas à quelque chose, pas d’évasion, pas de respiration. 

Et encore, nous pourrions remonter plus loin : les trajets passés sur le smartphone à traiter les mails, aller sur linkedin ou Instagram, écouter des podcasts souvent en lien avec nos métiers.  

Nous sommes dans le règne du tout utile, celui où l’on rêve de mettre plus d’une journée dans une journée. Et on en tire plein de bénéfices : pas de temps perdu, plus de temps d’attente (les plus anciens repensent mi-nostalgiques, mi-horrifiés des minutes d’angoisse à attendre l’arrivée d’une personne en retard avec qui on avait rendez-vous et à qui on ne pouvait envoyer de SMS). Nous sommes devenus des hommes et des femmes augmentés, optimaux. Et on en est fier, même les pauses café sont désormais des réunions projet informelles.


Et tout ça ne nous rend pas meilleurs, au contraire…

Si ce mode de vie et cette quête de l’efficience nourrit notre satisfaction de nous sentir utile, nous rend-elle meilleurs dans notre travail : les ouvriers sont-ils plus compétents, les chercheurs et les marketeux plus créatifs, les dirigeants plus visionnaires et plus stratèges… ça se discute !

Sans tomber dans le « c’était mieux avant » qui serait faux et qui nous vieillirait aux yeux de nos lecteurs, admettons néanmoins que des défauts ont pris de l’ampleur. Nous avons de plus en plus de mal à prendre du recul, et tous nos clients nous disent à quel point eux et/ou leurs équipes ont le nez dans le guidon, aspirés par le court terme. Le cloisonnement entre services aussi est présent presque partout, malgré les réorganisations qui ne font que changer les cloisons de place. La difficulté à sortir du cadre, à être créatif, malgré le foisonnement d’outils d’intelligence collective. Voici des maux qui ont le vent en poupe. 

En fait, l’inutile est utile a posteriori mais au bureau, on culpabilise…

Leur point commun, pour nous cela ne fait aucun doute, c’est le manque de respiration. Le manque de moments pour se déconnecter, sortir du tunnel, prendre de la distance pour prendre de la hauteur, etc. Bref, le manque de pause dans le « tout utile » par de l’inutile, du gratuit. 

C’est l’image du savant dans la Lune : en laissant filer votre cerveau, il se met à faire des connections très efficacement avec ce qu’il a emmagasiné peu avant. Après une activité cérébrale intense, un temps de repos ouvre la voie aux connections inattendues, à l’inspiration.

C’est la raison pour laquelle nos meilleures idées viennent sous la douche, en cuisinant, en marchant, en se rasant… En fait, l’inutile est utile a posteriori mais au bureau, on culpabilise…


Comment faire pour remettre de l’inutile dans le travail

Si auparavant, il y avait des moments inutiles obligatoires (le transport sans smartphone, la pause café sans mail à traiter) et qu’aujourd’hui, il y a encore des moments rendus inutiles involontairement (bugs d’ordinateurs, réunions inefficaces), il faut être volontaristes voire courageux pour remettre de l’inutile choisi et agréable dans nos vies professionnelles. C’est donc un travail de leader, de manager, et un vrai choix que de se saisir de ce sujet.

Le risque d’abus ? On en est loin croyez-moi.

Oser faire un séminaire sans plan d’action par exemple (ce qui d’ailleurs est plus efficace selon nous) quitte à se faire reprocher un manque de concret, ou d’engagement, voilà qui permet de discuter sans injonction d’utilité, d’oser s’égarer, se tromper. 

Amener vos équipes au Musée avant de commencer une journée de travail au vert. Pourquoi ? pourquoi pas ! Pour faire autre chose, pour penser à autre chose. Pourquoi vouloir toujours faire un warm-up utile ?

Encore mieux, montrer à vos équipes qu’il est possible de ne rien faire pendant un temps au travail : bayer aux corneilles, buller… ce que l’on fait parfois en cachette, avec honte, mais par nécessité et que l’on pourrait très bien assumer publiquement comme un besoin naturel afin de donner l’autorisation aux autres de le faire quand c’est nécessaire. Le risque d’abus ? On en est loin croyez-moi. 

Un jour une membre de notre équipe, en guise de feed-back positif, a dit à l’un de nos managers qu’il « glandait bien ». Et bien je peux vous dire que c’est un acte managérial courageux et efficace !

Senior, les HiPo les moins bien exploités

Il n’est pas rare, par les temps qui courent, de discuter avec un ou une manager de 45-50 ans qui se demandent s’il pourra trouver un job, s’il n’est pas un peu vieux…. Et c’est vrai que dans les grands groupes, on ne cache à peine un jeunisme très fort… Mais à 50 ans, en France, on a encore 15 ans de carrière devant soi… Changeons de regard.


En plein paradoxe

C’est fou de voir que dans le même temps, le monde n’a jamais été aussi court termiste, incapable de se projeter au-delà d’un exercice, 3 quand on a de la chance, et qu’on a peur d’embaucher un manager de 50 ans ou plus qui a plus de 10 ans de carrière devant soi….

Tout se passe comme si la performance à court terme serait le fait des jeunes principalement, comme si l’énergie et une certaine fraicheur était plus importante et utile que l’expérience.

C’est faux évidemment, et on devrait embaucher des jeunes pour préparer l’avenir à 10, 15, 20 ans, et des seniors pour avoir des résultats rapides. Sauf que notre système est tellement structuré, normé, outillé qu’il peine à réfléchir et donc à utiliser l’expérience. C’est d’ailleurs intéressant d’entendre des anciens du terrain parler avec leur passion du métier mais se plaindre qu’on ne les écoute pas ou plus…

En fait, on a un système frénétique, qui préfère manager des jeunes, ambitieux, malléables, résistants et n’a pas très envie de se confronter à la complexité, à l’épaisseur.

Et donc en France, on peine à utiliser les plus de 50 ans, et donc on est frileux quand il faut embaucher après 45 ans, sauf pour des profils de très hauts niveaux.

En pleine erreur

Cette situation, en plus d’être socialement impossible, est totalement absurde. Bien sûr que les jeunes sont utiles et indispensables (les auteurs de cet article ont moins de 40 ans ;-)) mais le mix des générations est la meilleure chose à faire. On trouvera la densité chez les seniors, souvent la sérénité, un brin de flegmatisme, plus rare chez les plus jeunes. On aura souvent chez les seniors une ambition voire un ego moins fort et donc des attitudes plus extérieures, plus rationnelles. On trouvera souvent chez les plus jeunes de l’énergie en abondance, une fraicheur pour imaginer des solutions en rupture, une ambition qui peut pousser à la créativité.

Et en faisant ça, on se prive d’une immense richesse, de maturité

Mais on les dit rétifs au changement ces seniors, en roue libre, peu à l’aise avec les nouveaux outils…. C’est parfois vrai, mais il faut dire que tous les processus doivent s’appliquer pour tous, que l’on ait 5 ou 30 ans d’expérience ; il faut dire que les programmes de haut niveau sont réservés au plus jeunes ; il faut dire que bien remplir le SAP semble parfois plus important que bien faire son métier ;  il faut dire que l’ambiance générale est au jeunisme… Et donc ne nous étonnons pas que nos seniors soient un poil défensifs…

Et en faisant ça, on se prive d’une immense richesse, de maturité. On se prive aussi de managers qui peuvent être redoutables justement parce qu’ils sont en fin de carrière : moins à gagner et donc moins à perdre. Nous avons de nombreux exemples de leaders particulièrement courageux dans leur dernier poste, parce qu’ils ne jouent rien et veulent partir sur un succès, laisser le terrain propre, assurer la pérennité pour les générations futures.

Total met souvent des directeurs dans leur dernier poste pour diriger sa plus grande raffinerie : c’est malin, parce que le site est difficile, nécessite courage et savoir faire. Les presque retraités y excellent depuis plus de 10 ans. Dans les équipes mixtes, on voit bien que les différences de point de vue augmentent la qualité des décisions.


Apprendre à les managers

Evidemment, pour tirer le meilleur des seniors, il faut manager un peu différemment, surtout quand on est bien plus jeune. On peut comprendre qu’on a pas trop envie à 55 ans de s’entendre passer des consignes par un jeunot comme si on avait 24 ans. On peut comprendre que l’exécution soit un peu difficile à assumer quand on travaille dans un métier depuis 30 ans.

L’expérience se manage avant tout en co-construction avec une attitude principalement en curiosité, en questionnement. Avec quelqu’un de très expérimenté, le plus efficace est l’interview : comment tu as fait ça ? Comment tu ferais pour ? Quelles solutions as-tu déjà expérimenté dans ce genre de situation ? Il ne s’agit pas de prendre tout pour argent comptant, mais de creuser les raisons des doutes, de comprendre les pourquoi. On utilise alors notre interlocuteur comme mentor. C’est Obi Man Kenobi : il n’a pas raison sur tout mais donne un point stable à Luke Skywalker, une référence qui le conforte dans ses choix. C’est souvent une bonne posture, une relation efficace.

L’expérience est une magie qui fait émerger naturellement des solutions quand elle est en liberté.

L’expérience se manage beaucoup en valorisant la transmission bien entendu. Mais cela nécessite du temps, et des moments peu structurés. Parce que 30 ans d’expérience ne se modélisent pas aisément en 3 points, dans un PPT synthétique ou dans un knowledge management formaté et dénué d’humanité. L’expérience humaine est une histoire, un récit qu’il faut se faire raconter. Récemment, nous avons passé 2h avec 2 managers à nous faire raconter l’histoire de leur industrie : passionnant, et au bout du compte la stratégie vient d’elle-même. L’expérience n’est pas un calculateur qui analyse des paramètres pour sortir une solution. L’expérience est une magie qui fait émerger naturellement des solutions quand elle est en liberté.

L’expérience dans une équipe doit en fait nous pousser à adopter avec tous un management plus ouvert, qui cherche plus la profondeur que la vitesse, la pertinence que la fulgurance. Le management des seniors est probablement celui qu’il faudrait adopter avec tous, pour valoriser les avis individuels et ne pas normer les décisions.

Et si la réussite n’était pas une question – de moyens ou d’expertise ?

Vous avez déjà entendu mille fois « de toute façon l’échec était couru d’avance avec aussi peu de moyens »…

Hé bien non. Pour Simon Sinek, conférencier TED plutôt convaincant, c’est d’abord parce qu’on sait pourquoi on fait les choses qu’on les réussit. 

https://www.ted.com/talks/simon_sinek_how_great_leaders_inspire_action#t-691429

Pour preuve, à côté de l’exemple (un peu lassant, on en convient) d’Apple, il nous rappelle l’histoire des frères Wright. Au début du 20ème siècle, le New York Times et le gouvernement américain misent sur le succès de Langley pour réussir le premier vol motorisé d’un avion : titulaire d’une chaire à Harvard, entouré des meilleurs cerveaux et doté d’une bourse conséquente, il a tous les moyens et l’organisation pour réussir. Il ne sera pas le premier, les frères Wright qui n’avaient pas le dixième des talents de son équipe ni de son budget ont réussi l’exploit avant lui. 

La clé de leur succès? Ils croyaient que s’ils découvraient comment faire voler un avion, ils changeraient la face du monde. Ils ont su transmettre leur vision et, les personnes qui les entouraient étant animées par le même désir, tous ont sué sang et eau pour parvenir à leur objectif. Langley, lui, voulait juste être premier, riche et célèbre et il a échoué.

Ca donne un peu le vertige : on savait bien que le pourquoi était important mais de là à dire que l’idée et l’organisation ne sont pas déterminants… 

Alors, ne soyons pas provoc’ pour le plaisir, on ne vous dit pas de recruter des bras cassés ou de vous débarrasser de vos moyens si vous avez la chance d’en avoir, mais ce que nous rappellent les frères Wright c’est que, sur la même idée, on peut échouer avec une bonne organisation si on n’a pas de pourquoi et réussir avec une organisation imparfaite mais un pourquoi fort. 

Une seule chose essentielle : un pourquoi qui mobilise !

Luttons contre l’extinction programmée du relationnel au travail

On attribue à Einstein la prédiction « si l’abeille disparaît, l’homme n’en a que pour 4 ans à vivre ». Et si le relationnel était au management que ce l’abeille est aux hommes, un chaînon essentiel. Alors alarmons-nous, car le relationnel est presque en voie d’extinction.

On commence une réunion avec l’ordre du jour mais jamais avec « alors, vous avez passé un bon week-end ? ». Vous comprenez, le débrief du week-end ne fait pas partie de l’ordre du jour et en plus on est déjà en retard… Au secours !

Le relationnel, attaqué de tous les côtés

Entre ceux qui ne se soucient plus du tout de la convivialité et ceux qui l’ont dévoyé en en faisant un outil de communication et de management, on peut dire que le relationnel est en perdition dans nos entreprises. 

Nous travaillons en effet dans beaucoup d’entreprises où le temps du relationnel, de la convivialité ou tout simplement du savoir-vivre est devenu du temps perdu. Pas de café proposé lors des premières réunions matinales, des déjeuners au lance-pierre, tout cela c’est du temps perdu !

On commence une réunion avec l’ordre du jour mais jamais avec « alors, vous avez passé un bon week-end ? ». Vous comprenez, le débrief du week-end ne fait pas partie de l’ordre du jour et en plus on est déjà en retard… Au secours !

Plus fort encore, certaines sociétés ont remplacé un relationnel, que nous osons appeler « naturel », par du relationnel artificiel. On précise sur l’invitation Outlook que le déjeuner à venir sera « convivial », souvent il ne dure pas 30 mais 45 minutes dans ce cas-là. Ce qui veut donc dire que les autres déjeuners sont donc non conviviaux ?

Pour le relationnel en réunion, il y a les célèbres règles d’or : « commencer par dire bonjour », « si tous les participants ne se connaissent pas, faire un tour de table pour que chacun se présente », etc. Rassurez-vous, personne ne les lit.

Derrière ces apparentes caricatures, qui ne le sont pas toujours, il y a une réalité : le relationnel est menacé de disparition dans bon nombre d’entreprises.

Le relationnel, c’est justement ce qui nous permet de créer un univers propre à la collaboration.

Pourquoi s’en prendre au relationnel ? 

La disparition du relationnel défit toute logique car il est indispensable, consensuel et, la plupart du temps, gratuit. 

Indispensable pour au moins deux raisons. La première c’est que nous arrivons tous au travail, en réunion, dans un open space, avec une situation passée. Qu’elle soit positive (une excellente nouvelle professionnelle ou personnelle) ou négative (une erreur commise ou constatée, une crise voire un drame), cette situation occupe toute notre pensée, nous ne sommes pas prêts à entrer en collaboration avec quelqu’un qui ne la partage pas.

Le relationnel, c’est justement ce qui nous permet de créer un univers propre à la collaboration.

Chacun exprime à l’autre sa situation passée, pas forcément pour qu’il agisse mais pour qu’il la comprenne. Alors, nous pouvons nous ouvrir à une situation future, nous avons fait le lien. 

Le relationnel est nécessaire aussi car il offre, dans une journée chargée et sans pause, des respirations salutaires. On sollicite d’autres mécanismes que ceux utilisés pour le travail. On offre un sas entre deux problématiques. Bref, pour ceux qui en viendraient à douter, le relationnel est primordial.

Sa disparition est donc d’autant plus surprenante que le relationnel ne coûte rien, ou pas grand chose, si ce n’est un peu de temps mais donc chacun admettra qu’il ne s’agit pas d’une perte mais d’un investissement à rentabilité forte et à court terme. A priori, l’idée de convivialité est également consensuelle. Nous ne connaissons pas d’opposant, timide ou farouche, à l’idée de faire du relationnel. 

  

Alors, qui veut la peau du relationnel ?  

Sa disparition, alors même que personne ne veut sa mort, montre que le relationnel est victime – comme les abeilles – d’un changement climatique dans notre environnement de travail.

Citons entre autres dérèglements :

  • Le renforcement des contrôles et des procédures : la crainte du tire-au-flanc a eu comme effet le durcissement des mécanismes de contrôle et la rigidification des procédures. Dans cette prison toujours plus exiguë des outils et des systèmes, il n’y a plus de place pour le relationnel ou alors il est encadré, aseptisé, avec un effet souvent contre-productif. 
  • La prédominance de l’effort sur l’efficacité : la sociologie des organisations a révélé ce que nous constatons tous, l’entreprise est de plus en plus focalisée sur les efforts fournis par ses employés plutôt que sur la valeur ajoutée qu’ils apportent. Il est bon de rester très tard dans certaines entreprises. C’est encore plus marqué en France qu’ailleurs : le manager n’ose pas s’en aller avant son équipe et un membre de l’équipe culpabilise à partir avant son collègue. Et si quelqu’un part avant 18h30, on dit « qu’il prend son après-midi ». Le relationnel subit le même sort : il est très mal vu de prendre des pauses déjeuner trop longues, des pauses trop rapprochées ou de ne pas optimiser le temps de réunion en allant droit au but. La convivialité devient de la sensiblerie, le savoir-vivre un manque de culture business. 

  

Nous devons nous rééduquer au relationnel

Pour enrayer la disparition programmée du relationnel, il faut d’abord accepter d’en parler. Nous constatons en effet que le manque de convivialité est un sujet difficile à aborder dans une équipe. Avouer que l’on voudrait plus de contact humain, ce serait soit un aveu de faiblesse soit une remise en question trop forte de l’équipe et du manager. 

On voudrait aussi que le relationnel (re)vienne de lui-même. Puisque c’est naturel, laissons faire la nature… Et bien non, quand on a perdu l’habitude de la convivialité il faut faire l’effort de la réinsérer dans l’environnement de travail. Comme si on réimplantait une espèce animale disparue dans son milieu naturel, il ne suffit pas d’ouvrir la cage, il faut accompagner sa réinsertion. Il faut donc que le manager soit d’abord fortement à l’initiative, en montrant l’exemple et en multipliant les occasions pour que le relationnel s’exprime. Puis, quand il voit que les réflexes naturels reviennent, il peut progressivement se mettre en retrait. 

Enfin, il faut valoriser le relationnel. Certains membres de l’équipe sont plus capables que d’autres de générer de la convivialité, c’est une aptitude comme une autre. Pourtant, cette compétence est rarement mise en valeur par un manager et jamais évaluée de façon formelle. Alors, si nous sommes d’accord pour dire que le relationnel est indispensable à la relation de travail, il faut qu’elle soit reconnue comme une « soft skill » à part entière, comme le travail en équipe ou l’esprit d’initiative.

La sauvegarde des abeilles, comme la lutte contre le changement climatique, ne nécessite plus de grandes paroles et de grands principes, il faut des efforts personnels sans attendre ceux des autres…

Réintroduire du relationnel dans votre réunion n’est pas plus ridicule ou dérisoire que de trier ses poubelles ou arrêter les pesticides sur son balcon. 

 

Alors, qu’attendez vous ?

Les Yeux dans les bleus – La leçon de management d’Aimé Jacquet

Assumons un cliché ce mois-ci : parler de foot au mois de juin, une année de coupe du monde !

Gonflés à bloc par la récente victoire écrasante de la France contre la Norvège. Nous nous sommes replongés, nostalgiques, dans « Les yeux dans les bleus », le reportage sur la vie de l’équipe de France 98… Mêmes les réfractaires au foot apprécieront. 

Le film montre, simplement, la réussite d’un projet collectif et Aimé Jacquet donne certaines leçons de management, efficaces et utiles dans nos entreprises :

> La transparence du projet : Au début du stage de préparation à Tignes, il dit « on vous expliquera tout ». Cela se voit, chaque membre de l’équipe est en confiance, connaît son rôle et sa contribution quel que soit son poste, qu’il joue ou ne joue pas. Et avant tout Didier Deschamps, alors capitaine de l’équipe, qui agit comme le relais indéfectible d’Aimé Jacquet sur le terrain.

> La constance : le discours est franc mais sans surprise ; du coup, il installe un climat d’exigence mais pas de stress. Son mot d’ordre est clair, il veut développer la prise de risques assumée collectivement (« si on monte en attaque, on monte tous ! »). Du match de préparation à la finale, il ne changera pas de cap.

> La priorité aux forces : il ne demande pas aux uns et aux autres de changer leur jeu, ce n’est plus le moment et cela pourrait nuire au climat de confiance. Il leur demande d’assumer leurs faiblesses (« Pires, c’est pas Zizou… ») et d’utiliser leurs forces librement, au service de l’équipe. 

> Le plaisir de la difficulté : « On va en subir des chocs et des émotions, mais j’peux vous dire : quel beau truc à vivre ! quel beau truc à vivre »

Et puis, rien que pour le doublé de Thuram en demi-finale… On se prend à frissonner à nouveau.

Stop au management par les valeurs

Ils n’ont que ça à la bouche : sportifs et commentateurs, formateurs et responsables RH, managers et consultants. « j’ai des valeurs », « il faut des valeurs pour réussir »… Et bien souvent, on se retrouve à découvrir qu’il est mieux d’être honnête, intègre, solidaire, respectueux, que truand, vicieux, arriviste et manipulateur ! Utilisons les valeurs comme elles doivent l’être : PEU !


Une mode bien pensante

Nous vivions dans un système économique très dur, parfois violent, c’est un fait. Face à cette machine qui n’a ni cœur, ni âme, se développe depuis des années maintenant une industrie des valeurs ; une pensée dominante qui serait un rempart au capitalisme débridé.

Alors on invite les anciens rugbymans, sport à valeurs s’il en est ; on placarde des grands mots, respect, intégrité, engagement, avec des définitions enflammées ; on se targue dans les entretiens d’embauche ou dans les discours de sa très grande moralité.

Ce mouvement est particulièrement fort ces dernières années avec les dispositifs anti risques psycho-sociaux. Les organisations s’habillent de blanc, mais continuent de créer des relations internes désincarnées (clients – fournisseurs) basées sur une batterie d’indicateurs assortis d’objectifs toujours plus ambitieux.

Nous ne pensons pas que ces opérations sont pensées avec cynisme. Il faut reconnaître que, pour un DRH, s’attaquer à l’immoralité d’un système tout entier paraît compliqué ; il est donc plus simple et « déjà pas mal » d’afficher une charte des valeurs.

Afficher des valeurs est une bonne intention, mais elle met dans une position impossible :

  • Soit vous en parlez beaucoup, souvent et du coup, vous êtes un terroriste des valeurs
  • Soit vous en parlez peu ou pas, et vous provoquez l’effet inverse (« Quand on voit ce qui est affiché et ce que l’on vit au quotidien… »)

Chez ALBUS, nous pensons qu’il est possible de faire mieux ; à condition de se débarrasser de mots trop lourds à porter.

Quand la valeur est omniprésente, elle devient oppressante, vide de sens et souvent délibérément contournée. Le film « American Beauty » en montre un exemple parfait… Et terrifiant. 

 

Les valeurs s’incarnent mais on ne manage pas aux valeurs

L’affichage des valeurs est suspect : à l’instar des républiques qui ne sont jamais aussi peu démocratiques que quand elles l’affichent dans leurs noms (RDA, RDC), les entreprises ne sont pas respectueuses et intègres seulement parce qu’elles l’affichent.

Les valeurs sont indispensables dans la vie de l’entreprise, et dans la vie en société en général, mais leur adoption et leur respect est une longue quête. Le père ou la mère qui veut apprendre l’honnêteté à ses enfants ne lui répète pas à longueur de journée « sois honnête » ; ils tâchent de l’être eux-mêmes ; montrent des cas concrets de choix dits honnêtes ; réprimandent les trop grands écarts.

Quand la valeur est omniprésente, elle devient oppressante, vide de sens et souvent délibérément contournée. Le film « American Beauty » en montre un exemple parfait… Et terrifiant. 

Il en va de même dans l’entreprise. Il est bon qu’un manager soit honnête, intègre, respectueux et qu’il vise l’excellence. Mais lorsqu’il en fait l’alpha et l’omega de sa relation aux autres, il devient autoritaire, dur, intolérant, parfois injuste. Pourquoi ? Parce que les valeurs sont l’âme du management, pas son outil. Le management consiste d’abord à s’intéresser aux autres ; manager aux valeurs, c’est partir de soi et de ses certitudes. Le management, c’est l’art du compromis ; manager aux valeurs, c’est apporter des réponses dogmatiques. Lincoln a prolongé une guerre pour en finir avec l’esclavage… Est-il un homme de valeur ? Oui. Qu’aurait-il fait si la valeur «on ne tue pas son prochain » lui avait dicté sa conduite de bon chrétien ?

 

Pour réintroduire les valeurs dans les entreprises d’aujourd’hui, il faut simplifier

Nous n’avons pas renoncé aux valeurs ; nous avons renoncé à les promouvoir directement.

Pour moraliser la vie en entreprise, il faut aussi la rendre plus simple, plus lisible, plus saine.

Les valeurs d’une entreprise doivent exister, mais ne pas être affichées telles qu’elles. Une fois les valeurs choisies (en réalité, elles sont moins choisies qu’héritées), elle doivent irriguer le projet managérial, l’imprégner partout, être le socle des décisions du Codir ; chez BUT, le nouveau directeur d’exploitation a décidé de remettre l’autonomie et la responsabilité au centre, il n’a pas dit « demain soyez plus responsables ». Il a changer le système d’animation, en diminuant les obligations pour que s’exprime la responsabilité. Pour moraliser la vie en entreprise, il faut aussi la rendre plus simple, plus lisible, plus saine.

Le mois dernier, nous prônions la simplicité et la transparence des salaires ; ça va dans le bon sens. Pendant qu’on y est, il faut diminuer les contrôles, faire à nouveau confiance. Dans les entreprises où la confiance est rétablie, il est inutile d’afficher « respect » dans les salles de réunion, ça devient naturel.

Les entreprises doivent créer les conditions d’une collaboration performante entre tous ; elles doivent proposer une quête collective, conquérante et positive ; elles doivent augmenter la transparence sur leurs fonctionnements et leurs données pour que les individus s’épanouissent et puissent se concentrer sur la performance sans écraser les voisins.

 

Ainsi, non seulement, les valeurs des individus (plus que les vôtres) pourront s’exprimer, mais la performance sera en hausse ; le tout, en un seul élan.

 

Simplifier, le graal du management

S’il y a bien une chose dont rêvent tous les employés de France, d’Europe et d’ailleurs, dans le public ou le privé, c’est de « simplifier »… Force est de constater que la tendance n’est pas bonne. Pour piloter, suivre, accompagner, visualiser, informer, décider, comparer, alerter… les dirigeants ont mis en place une avalanche d’outils et de systèmes. Simplifions, ça déborde !


Comment en est-on arrivé là ?

Dans toutes les entreprises que nous suivons et qui emploient plus de 100 personnes, le « syndrome du 1000 feuilles » est remonté par les équipes de terrain.

Même si parfois on ne sait plus très bien à quoi sert tel document Excel rempli une fois par mois, ou pourquoi telle personne est invitée à la réunion du mardi, dans le doute on ne change rien.

Rajouter de nouveaux outils est une solution naturelle pour combattre un problème : on veut une remontée d’infos plus rapide, on crée des outils de reporting ; on veut que la volonté du dirigeant se déploie rapidement sur le terrain, on traduit la volonté en processus à appliquer et on crée des outils pour surveiller leur mise en oeuvre. Les règles donnent des procédures qui donnent des indicateurs qui donnent des tableaux de bord… on n’en sort pas.

Au contraire, supprimer est antinaturel : supprimer c’est prendre un risque, c’est peut-être provoquer une réaction en chaîne qui va endommager durablement notre visibilité ou notre performance. Même si parfois on ne sait plus très bien à quoi sert tel document Excel rempli une fois par mois, ou pourquoi telle personne est invitée à la réunion du mardi, dans le doute on ne change rien.

Les conséquences de cette complexité procédurière sont innombrables : perte de marge de manœuvre et donc de place pour l’initiative ; perte d’efficacité donc de réactivité ; perte de lisibilité et donc désengagement. La complexité est un virus, inoculé par nous et qui s’étend partout, inexorablement. Et comme tous les virus, il s’attrape plus facilement qu’il ne se chasse.

Paradoxalement, il faut donc d’abord donner envie aux acteurs de simplifier.  

Comment s’en sortir ? 

Faire plus simple est sans nul doute l’action de progrès la plus productive mais aussi la plus difficile à mettre en œuvre.

Difficile car si la complexité n’est pas satisfaisante, elle est confortable. Elle permet de déplacer l’obligation de résultats vers une obligation de moyens ; elle peut permettre de masquer des problèmes majeurs par des réussites mineures. Elle est un bon abri anti-responsabilité.

 

D’abord donner envie de simplifier vraiment

Paradoxalement, il faut donc d’abord donner envie aux acteurs de simplifier. Si chacun en exprime le besoin, beaucoup ne sont pas prêts à passer à l’acte.

« Si on supprime l’indicateur de taux de service, on envoie le message que le client n’est plus prioritaire » ; « La direction nous a dit que la formation était prioritaire, on ne peut pas supprimer notre projet de SI RH ».

Pour dépasser cela, il faut définir la mission qui nécessite de supprimer des choses et qui donne suffisamment envie de le faire. Sortez des objectifs traditionnels et osez un « Cette année, nous allons faire 10% de mieux que le budget pour financer les investissements qu’on nous a refusés ». Si vous obtenez l’adhésion de vos collaborateurs sur cette mission, vous avez fait la moitié du chemin.

 

Ensuite, adopter une méthode… simple !

Une fois l’adhésion de l’équipe obtenue, il faut mettre en place un système le plus basique possible pour simplifier le fonctionnement. Par exemple :

  1. Etablir quelle est la ressource rare et la cible de gain : bien souvent, c’est le temps. Il faut alors définir un enjeu de gain de temps (ex : 10h par semaine et par personne).
  2. Lister ce qui peut être supprimé ou réduit, et quantifier le temps gagné, même grossièrement.
  3. Lister si nécessaire ce qui doit être rajouté ou renforcé pour compenser les éléments supprimés, et quantifier le temps dépensé.
  4. Réitérer les points 2 et 3 jusqu’à l’obtention de la cible fixée en 1.

Quelle que soit la méthode retenue, l’exercice n’est pas un « one shot », il doit être répété régulièrement pour contrer la tendance naturelle à rajouter des choses.

Si vous réussissez à simplifier progressivement et durablement le fonctionnement pour vous et votre équipe, alors n’hésitez pas à nous faire part de votre expérience !

ALBUS CONSEIL