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Tour de terrain : indispensable et inutile

Tour de terrain : indispensable et inutile
Tour de terrain : indispensable et inutile

/Muscler son management

Dans l’industrie, dans la distribution et dans toutes les entreprises en réseau, la tournée terrain est un passage obligé. Mais souvent, cet acte de bon sens tourne à l’exercice politique, au pas de charge et sans valeur ajoutée ni pour le leader ni pour les équipes.

Comment mieux l'utiliser ?


Un exercice ritualisé, souvent inutile et parfois nuisible

Durant nos missions, les équipes nous parlent souvent avec nostalgie des anciens chefs, et particulièrement de leurs façon de faire les tournées terrain : « Il connaissait tout le monde par leur prénom et se rappelait des petites histoires de famille » « Elle connaissait tout de nos métiers, mieux que nous-mêmes ».

A l’inverse, ils critiquent les chefs actuels : « On sent qu’il n’aime pas ça ; il s’ennuie et ça se voit ». C’est normal, ils les voient comme des parachutés!

La tournée terrain est un marqueur fort parce que c’est un exercice visible. Comme la tournée des candidats au salon de l’agriculture, c’est un passage obligé, décortiqué, et qui peut transformer une image en profondeur. Regardez Chirac, reconnu homme de terroir alors qu’il n’a passé que 3 ans en Corrèze pendant son enfance, de 8 à 11 ans. Mais il sait serrer des mains et s’intéresser au peuple.

Tel qu’il est fait aujourd’hui en entreprise, l’exercice est souvent neutre. Beaucoup de managers s’ennuient, se contentent de dire bonjour et font mine de s’intéresser à des problèmes criants, comme le rangement ou la propreté. Ils se retrouvent à faire du management de représentation ou du micro management qui donnent l’illusion de l’utilité.

C’est le vrai problème de la tournée terrain : elle peine à avoir une véritable valeur ajoutée :

  • Elle n’apprend pas grand chose aux équipes de terrain, sauf peut être au n-1 du patron qui court derrière.
  • Elle ne permet pas de faire passer un message clair, faute de temps et parce qu’on ne voit jamais tout le monde.
  • Elle ne permet pas de résoudre les problèmes importants, car on ne peut s’attarder sur rien étant donné que l’on veut tout voir.

Évidemment, la tournée terrain peut aussi créer un fossé encore plus grand avec les équipes, à cause d’une série de couacs et de bourdes de communication, et aboutir à l’inverse de son but premier.

A l’heure où le temps est compté, où la productivité est un objectif partout et pour tous :

  • Peut-on continuer à avoir un moment aussi fréquent, aussi peu utile ? Non.
  • Peut-on s'en passer ? Encore moins.

La question est donc : comment bien la faire ?


D’abord, éviter les 3 erreurs classiques

Erreur #1 : La tournée « quand j’étais à votre place »

Un classique, notamment dans la distrib où la promotion interne est généralisée. Comme on a tenu avec succès le poste des gens de terrain, le manager donne des conseils basés sur ses anciennes méthodes. Seulement, même si les idées ne sont pas automatiquement inadaptées (elles sont même souvent pertinentes), elles ont 3 défauts :

  • Elles sont professorales et passent pour la manifestation d’un ego déplacé.
  • Elles ignorent le fait que vos interlocuteurs ne sont pas du même niveau que vous et qu’ils ont besoin de solution pour les aider eux, plutôt que celles qui ont marché pour vous.
  • Elles vous éloignent de votre objectif de prendre de la hauteur, en vous renvoyant aux problèmes du quotidien.

Erreur #2 : La tournée « c’est super »

La plupart des managers ont compris que l’exercice était sensible. Certains décident donc de ne pas prendre de risques et adoptent l’attitude cool et positive du ministre en campagne. Cette attitude prudente finit par lasser, voire irriter car elle peut être vue comme la preuve d’un désintérêt. Parfois, elle est même vue comme une manipulation: quand l’écart est trop visible entre les paroles prononcées sur le terrain et les décisions relayées par la ligne hiérarchique.

Erreur #3 : La tournée « je suis déçu »

A l’inverse, on a vu des tournées terrain qui veulent justement éviter la distribution de bons points et la démagogie. On se dit alors que la bonne posture est l’exigence, le challenge, à l’image des entraineurs de haut niveau qu’on voit à la télé et qui exigent, exigent, exigent.

Là, vous prenez le risque d’encourager plusieurs comportements contreproductifs :

  • Des équipes qui font du propre la veille, vous poussant à organiser en conséquence des visites surprises… La dégringolade de la confiance !
  • Des équipes qui se liguent contre vous. A court terme c’est bon pour l’esprit d’équipe, mais ça ne va pas bien loin.
  • C’est enfin très dépositionnant pour les managers intermédiaires, qui n’ont pas su protéger le terrain en anticipant les questions.

Il faut donc adopter des postures plus subtiles pour trouver de l’efficacité dans ces moments-là.


3 stratégies gagnantes

Évidemment, il existe sans doute des dizaines d’astuces et de techniques qui marchent. En voilà 3, que vous pouvez combiner pour trouver votre style.

Apprendre aux autres

La première idée gagnante est d’éviter le saupoudrage et d’assumer de passer davantage de temps mais avec moins de gens. Quoi qu'il arrive, vous ne verrez pas tout le monde de façon qualitative! Tachez d’avoir un échange de qualité avec un petit nombre.

Comment faire, notamment si vous êtes n+3, n+5, fonction support siège ?

Faites parler les gens de leurs réalisations, mais aussi de leurs difficultés. Tirez le fil, en suggérant une façon d’aller plus loin ou une méthode pour résoudre le problème. Un manager de PSA faisait des coachings PDCA improvisés, juste avec un ou deux opérateurs (ses n-6) pour leur apprendre l’utilisation de l’outil alors qu’il visitait un site de 5 000 personnes. Il a laissé une trace indélébile en moins d’un an dans cette usine.

Ce type d’actions est évidemment une goutte d’eau dans l’océan mais a plusieurs effets très bénéfiques :

  • Il met en avant la posture de coach:  toujours essayer de générer des moments utiles pour les autres.
  • Il laisse un souvenir fort, notamment quand l’écart hiérarchique est vraiment grand, qui nourrit l’estime de soi et la mobilisation.
  • Il permet au leader d’avoir une vision moins superficielle des problèmes du terrain.

C’est aussi une façon d’agir sans court-circuiter les managers intermédiaires.

Apprendre soi-même

Quand on manage de grandes équipes, on a des besoins de terrain pour garder les pieds sur terre. Alors allons au bout de la logique en assumant qu’une visite, c’est aussi un moment pour le leader lui-même.

Par exemple, il peut interroger les collaborateurs sur ses questions du moment :

  • « Que pensez vous de cet argument ? »
  • « Je m’apprête à lancer une nouvelle campagne sécurité, que me suggérez-vous ? »

D’abord, la réponse sera intéressante mais en plus, elle change le rapport de force et installe l’idée que tout le monde est utile. Bien sûr, il faut le faire 500 fois pour que la culture change, mais ça y contribuera.

Étiqueter les initiatives

Enfin, un leader est généralement le porteur d’un projet, et même idéalement d’une vision. Souvent les gens la connaissent mais ont du mal à voir sa mise en oeuvre concrète.

La tournée terrain peut être une occasion formidable d’étiqueter les initiatives de chacun en disant : « Ce que vous avez fait va dans le bon sens, c’est ce que j’entends par …….. ». Il faut sans cesse expliciter le lien parfois simple, mais souvent noyé dans les milliers d’infos du quotidien, entre la stratégie et l’action.

La tournée terrain peut ainsi devenir une arme de management redoutable, surfant sur le passage de l'info hors des circuits formels.

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