Sans pouvoir nous appuyer sur des statistiques implacables, tant pis pour les rationnels à tous crins qui ne jurent que par ça, nous constatons une raréfaction inquiétante des leaders ambitieux en entreprise. Peur de l’échec, asservissement au système et surcharge de travail ? Un peu de tout ça, mais à quoi bon monter dans l’organisation s’ils n’ont (plus) aucune cause à défendre ?
Il suffit de voir comment on parle de l’Ambition dans et hors de l’entreprise. La notion est décriée, caricaturée, méprisée. Pour certains, elle serait le signe d’un orgueil mal placé, l’apanage des politiques assoiffés de pouvoir. On l’oppose de plus en plus à l’épanouissement au travail.
Le résultat, c’est que l’on demande à des leaders d’avoir une vision mais pas une Ambition, et encore moins de l’Ambition.
Pourtant, ne faut-il pas avoir eu de l’Ambition pour accéder au poste de Leader ?
L’Ambition, ça se perd
Les compétences, la capacité à fédérer ou le succès sont des arguments mais pas des conditions sine qua non pour accéder à un poste de leader. On peut monter son entreprise, fonder son mouvement politique, créer son association sans rien de tout ça.
Une ambition quelle qu’elle soit est un tuteur indispensable pour permettre à l’ambitieux d’accéder ou de créer son rôle de leader.
En revanche, on ne devient pas un leader sans « une envie impérieuse de changer les choses ». C’est ainsi que Vincent Cespedes définit l’ambition dans son livre L’Ambition ou l’épopée de soi (Flammarion, 2013). L’Ambition est le moteur de la volonté indispensable pour se surpasser, prendre des risques et se hisser ainsi à un poste de leader quel qu’il soit.
Peu importe qu’il s’agisse de bonne ou de mauvaise Ambition, que l’on soit un guide ou un arriviste, un altruiste ou un requin aux dents longues. Une ambition quelle qu’elle soit est un tuteur indispensable pour permettre à l’ambitieux d’accéder ou de créer son rôle de leader.
Alors donc, s'ils ont besoin d’ambition pour devenir des leaders, comment la perdent-ils ? Tout simplement parce que l’entreprise agit comme un gaz, asphyxiant l’ambition de ses leaders. Et le pire, c’est qu’elle le fait souvent consciemment mais n’en mesure pas les conséquences : un leader sans Ambition ne sert (presque) à rien.
Comment l’entreprise tue l’Ambition
Selon nous, l’entreprise d’aujourd’hui tue l’Ambition trois fois : idéologiquement, culturellement et par étouffement.
Par cette triple attaque, elle transforme des ambitieux en aquoibonistes résignés.
Idéologiquement, l’entreprise fait une erreur de diagnostic. Assimilée à tort à du carriérisme comme on l’a dit plus haut, l’Ambition est de plus en plus mal vue dans l’entreprise qui la considère comme une entrave au fonctionnement collectif. On préfère prôner l’humilité, le collaboratif et les objectifs chiffrés et réalistes. L’Ambition est ainsi devenue immorale.
Culturellement, l’entreprise tue l’ambition en installant une culture de la fiabilité et de la prévisibilité qui annihile la prise de risque et l’acceptation de l’échec, conditions indispensables de l’Ambition. Evidemment, on s’en défend et on affiche le contraire, la prise de risque est même sollicitée… mais à condition de remplir ses objectifs annuels, de garantir la paix sociale, de réussir les audits opérationnels et financiers et de respecter le cadre fixé par la hiérarchie. Le risque ok, mais l’échec non. Bon courage !
Enfin, l’entreprise étant de plus en plus consommatrice de l’énergie de ses employés, à tous les niveaux, préfère avoir des "leaders" asservis que des leaders qui veulent la changer. Pour cela elle installe une surcharge de travail qui répond à leur besoin de se sentir utiles (« je suis indispensable, puisque je suis surchargé »), les empêche de prendre du recul pour bâtir une vision, et étouffe ainsi les envies de faire différemment. Parfois jusqu’au burn-out.
Par cette triple attaque, elle transforme des ambitieux en aquoibonistes résignés. Et c’est ainsi, qu'il est de plus en plus rare de croiser des leaders qui portent une ambition propre pour leur entité.
Certains ne s’en défendent même pas, leur seule « ambition » étant de tenir leurs engagements c’est-à-dire leurs objectifs annuels. D’autres se mentent à eux-mêmes, disant attendre des périodes plus calmes pour y réfléchir (périodes qui ne viendront bien sûr jamais). Et les derniers, affichent une pseudo-ambition qui est souvent la même que celle du voisin et qui n’est rien de plus que ce que l’entreprise attend d’eux de toutes façons. Elle est juste formulée avec des mots plus sympas, par exemple : « Devenir la référence du service au client »
Sans Ambition, pas de changement profond ni solide
Sans ambition, le leader aura du mal à transformer et enthousiasmer son équipe. En effet, l’Ambition personnelle permet l’émulation collective, c’est à dire l’envie d’atteindre un autre niveau. Le leader sans Ambition est un organisateur, 100% rationnel ou presque, qui fait des actions probablement logiques et lisibles, mais peu exaltantes et ne générant pas l’énergie nécessaire pour sortir les équipes de cette zone de confort si difficile à quitter.
Et puis, plus simplement, quel est l’intérêt d’être un leader si on n’a rien à défendre, rien à créer, rien à transformer ?
Par ailleurs, un leader sans ambition résiste moins aux échecs car il n’a pas de motif qui justifierait sa persévérance. Un peu comme un mercenaire qui ne recevrait plus sa solde à la différence d’un chevalier se relevant cent fois pour défendre sa cause.
Parce qu’elle est personnelle, donc subjective, l’Ambition est émotionnelle, voire irrationnelle. Elle permet donc de s’attaquer à des dysfonctionnements irrationnels sur lesquels les démarches purement objectives sont inefficaces : le cloisonnement, la méfiance, la démobilisation, le manque de courage managérial, etc. Bref toutes ces choses que les managers affrontent et sur lesquelles ils manquent souvent de solutions.
Et puis, plus simplement, quel est l’intérêt d’être un leader si on n’a rien à défendre, rien à créer, rien à transformer ? Si c’est pour bien faire son travail, de gagner de l’argent ou bien paraître dans les dîners, on peut faire des choix plus simples. Pourquoi s’exposer, quand on n’a plus l’impérieuse envie de changer les choses ?
Une Ambition, ça se retrouve individuellement ou ça se révèle collectivement
Techniquement, retrouver une Ambition n’est pas difficile. C’est avant tout un sujet d’autorisation. Trouver la force d’assumer une Ambition quand on a pris l’habitude d’être un bon soldat remplissant strictement ses objectifs, c’est sortir d'une position insatisfaisante (pour un leader et pour son équipe) mais confortable, lénifiante. Pour retrouver une Ambition, il faut donc réécouter sa passion, sa vocation individuelle. Vincent Cespedes nous redonne l’étymologie de l’Ambition « Le mot latin ambitus, qui signifie ‘briguer un mandat’, désignait, dans l’Antiquité romaine, le fait de démarcher le peuple pour se faire élire aux diverses magistratures. Aujourd’hui encore, un véritable ambitieux enthousiasme son entourage, qui le perçoit comme un modèle à suivre. Ces vocations individuelles se muent en épopée collective ».
Et puis, si cette démarche vous paraît trop individualiste, vous pouvez aussi décider de porter l’ambition de l’équipe, en la révélant. Pour cela, il faut repartir des singularités de l’équipe (les forces, les caractéristiques, les succès que d'autres équipes comparables n’ont pas) et tirer le fil pour en déduire une Ambition.
Votre équipe est la plus expérimentée, faites-en une école pour toute l’entreprise ; Elle est la seule à être multiculturelle, misez sur la créativité, etc.
Qu’elle soit individuelle ou collective, l’Ambition est un « appel intérieur », et il ne tient qu’à vous d’y répondre.