A force de tourner autour du pot et d’envisager le management sous toutes ses coutures, il fallait bien arriver à cette question : Au fond c’est quoi le management du XXIème siècle ? Celui qui s’adaptera à notre modèle de société et qui portera vers les sommets les entreprises qui l’adopteront, ou aspirera vers le fond celles qui louperont le coche ?
Petite histoire subjective
Au risque de faire hurler les historiens du management (y en a-t-il ?), on pourrait résumer l’histoire du management en 5 âges jusqu’à nos jours :
1. Naturel : au commencement, les attributions des tâches sont directement liées aux aptitudes et la survie du clan étant en jeu, inutile de manager. On fait à l’instinct et sans doute pas sans casse. C’est la préhistoire.
2. Implacable : puis certains ont décidé d’asservir les masses et le management apparait sous une forme simple : tu fais, ou tu meurs. C’est l’esclavage, courant chez les Romains et les Egyptiens, mais existant jusqu’au XIXème aux Etats-Unis et au Brésil (et sous d’autres formes de nos jours…). Il a fait la fortune des civilisations les plus estimées aujourd'hui.
3. Exploitant : une autre forme plus subtile que l'esclavage, comprenant diverses formes de domination sans partage et sans liens sociaux mais offrant les premières contreparties au travail (paye, protection) : servage, industrie des premiers temps, armées. C’est encore le mode d'organisation dans de nombreux pays en développement.
4. Paternaliste : l’idée que le bonheur de l’individu contribue à sa productivité apparait tôt au XIXème, du coup des liens sociaux apparaissent dans l’entreprise. La méthode paternaliste a encore ses adeptes, elle maintient un rapport de domination très fort, puisqu'on doit tout à son patron. C’est l’âge de Schneider, jusqu’à Ford.
5. Scientifique : les rapports entre les patrons et les employés sont rationalisés, chiffrés, théorisés dans de grandes écoles dont les plus connues sont le Taylorisme au début du XXème et le Lean, à la fin du XXème et jusqu’à aujourd’hui. Le rapport de domination baisse (lentement) mais le travailleur reste un outil au service de l’entreprise. C’est l’âge de Ford, Toyota, Hewlett Packard.
Evidemment, tout n’est pas si simple et les époques se chevauchent, mais la question du management du XXIème siècle se pose :
- L’approche scientifique est-elle la fin de l’histoire et va-t-on seulement chercher à l’améliorer sans en changer les dogmes. Les exceptions d’aujourd’hui seraient-elles alors des expériences intéressantes mais non généralisables ?
- Ou alors l’accès étendu à l’information, les nouvelles aspirations des individus, les enjeux vitaux de l’environnement et du partage des richesses vont-ils engendrer un nouveau rapport entre les Hommes dans l’entreprise ?
Ici nous parlons de prospective et nous prenons des paris ; nous parions sur un sixième âge : l’entreprise horizontale, le siècle de Google ?
Le management scientifique se meurt
Le management scientifique, c’est le triomphe de l’offre. L’entreprise est si puissante, et génère tant de richesse, qu’elle exerce une force d’attraction immense sur les consommateurs comme sur les travailleurs.
Alors, l’enjeu est de sortir victorieux d’une compétition à tous les étages pour conquérir des marchés, créer de nouveaux modes de consommation. Les cerveaux du marketing tournent à plein, puis ceux des financiers pour inonder le monde de leurs produits et en tirer le maximum de bénéfices.
Le management scientifique est donc la réponse logique à une économie qui se résume finalement à une équation :
Avec Taylor, on standardise, on massifie pour diminuer les coûts; les employés sont consentants, faute de choix diront les cyniques mais aussi parce qu’ils s’enrichissent.
Avec Toyota et le Lean, c’est plus subtil mais le fond reste scientifique : on étudie chaque millimètre du processus pour dégager des marges de manœuvre et pour pouvoir investir, innover, conquérir.
Dans les 2 cas, l’humain est une donnée de l’équation avec un coût fixe et plus ou moins de valeur ajoutée. L’aspect humain est théorisé et placé sous le chapeau RH pour encadrer la relation (360°, Entretiens annuels, enquête de bonheur au travail, ergonomie du poste, etc).
Le management scientifique est le prolongement logique des théorie de Ricardo et des avantages comparatifs : l'intérêt (de l'entreprise, des salariés) est le driver principal, plus que la vocation, l'envie, et même le savoir faire.
Cette façon de voir est encore infiniment plus puissante que toutes les autres, mais tout indique que l’on est au sommet du cycle et que la descente s’amorce :
- la rationalisation peine à convaincre. Malgré l’énergie mise par les grands groupes pour faire adhérer les équipes (au lean par exemple), les résultats sont rarement à l’objectif et s’obtiennent dans la douleur : on sait gagner 15-20% dans un atelier automobile en France, mais les plateformes industrielles européennes des géants français sont mourantes;
- l’écart grandit entre des entreprises qui dépensent des millions à maîtriser l’information en interne et en externe, et des salariés qui ont un accès débridé et infini de données sur Internet et vénèrent la déesse Transparence;
- les plus grandes réussites actuelles sont obtenues par des entreprises qui se distinguent par leur vision, leur immense capacité d’innovation, et surtout pas par leur process : Google, Apple, Mars bien sûr, mais aussi vente-privee.com entre autres.
On peut prévoir que le culte grandissant du libre arbitre (Indignez vous, Faucheurs volontaires, lanceurs d’alerte, succès des blogs et de twitter, etc) rendra de moins en moins supportable une vie au travail encadrée par des modèles et des règles strictes. L’évolution prendra à coup sûr des décennies mais nous parions qu’avant la fin de ce siècle, les entreprises organisées scientifiquement seront des vestiges du passé comme le sont aujourd’hui les entreprises paternalistes. Et que d’ici 20 ans, tous les leaders occidentaux auront fait le choix de devenir Horizontal.
Une entreprise horizontale c’est quoi ?
Une entreprise horizontale n’est pas une entreprise sans hiérarchie ou sans chef. Ce n’est pas une utopie collectiviste.
Une entreprise horizontale a comme principe fondateur l’utilisation à 100% de la capacité de décision de chacun de ses employés, à tous les niveaux.
Jusque là tout le monde est d’accord, mais cela suppose :
- un accès total et pour tous à l’information stratégique pour que les décisions soient prises localement en connaissance de cause;
- des objectifs fixés de bas en haut (et donc à l’inverse de toutes les entreprises actuelles ou presque). Avec des validations certes, mais par rapport à une ambition et pas un budget prédéfini;
- une maîtrise individualisée des coûts, connectée à des enjeux de conquête clairs, comme un couple mettant de côté euro par euro pour payer un voyage à sa famille;
- un recours le plus fréquent possible aux savoir-faire spécifiques de chacun, et donc les moins modélisables, ce qui suppose un management très décentralisé.
Cela veut aussi dire :
- un recours très limité aux indicateurs et au reporting, peu créateurs de valeur;
- un dialogue social repensé, puisque le manque d’infos et la pression trop forte des objectifs seront limités dans ce nouveau modèle.
Pourquoi ce n’est pas une utopie ?
A cause de l’agonie des systèmes actuels, inadaptés à un monde à croissance faible et aux fortes aspirations individuelles, voire égoïstes, des salariés.
Mais aussi parce que la révolution de l’horizontalité ne repose pas sur un dogme (socialisme, collectivisme, autogestion) mais sur une observation simple :
- L’Homme est plus efficace quand il est heureux.
- Il est plus heureux quand on fait appel à son intelligence et à son libre arbitre qu’à sa capacité à répéter un geste, une opération, ou même une suite complexe d’actions.
- Il est aussi plus précieux, plus productif et rapporte plus quand il fait appel à son intelligence.
L’entreprise horizontale, managée certes, mais selon ces nouveaux principes, réussit donc la synthèse entre l’efficacité est le bien-être à laquelle aspirent de plus en plus les générations en devenir.