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N'en faites pas trop avec les héros

N'en faites pas trop avec les héros
N'en faites pas trop avec les héros

/Améliorer la gestion des Hommes

En pleine crise du Coronavirus, on applaudit les personnels soignants à 20h. Rien n’est plus mérité évidemment. Mais sortons de l’émotionnel pur et demandons-nous en bons managers si nous faisons du bien à nos héros en faisant ça…. Et est-ce les bons héros ? En dehors de la crise COVID 19, la question de la valorisation de ceux qui avancent est une question importante : entre légitime félicitation, besoin d’entrainement et effets pervers, faisons le tri.


 
Merci, c’est la politesse élémentaire

Avant de poser des limites, il faut reconnaitre que les soignants méritent nos mercis et nos encouragements. Leur travail est précieux et éprouvant. 

C’est la base de la politesse et je me suis toujours opposé aux managers qui disent « pourquoi les féliciter alors qu’ils ne font que leur travail ? ».

Dans le management normal, idem. On entend trop souvent des équipes se plaindre du manque de reconnaissance. Les actes de courage, les mobilisations, les équipes qui avancent, les personnes qui sortent de leur zone de confort, qui font un effort, qui progressent doivent être félicités. Publiquement pourquoi pas.

C’est la base de la politesse et je me suis toujours opposé aux managers qui disent « pourquoi les féliciter alors qu’ils ne font que leur travail ? » Et bien, parce qu’ils pourraient ne pas le faire… Et puis l’obéissance n’est pas un dû. L’Homme a un libre arbitre permanent et à ce titre chaque action est un choix même quand elle parait évidente. Alors ne soyons pas austère et continuons à féliciter les héros, individuels ou collectifs.

 
Mais attention à ne pas avoir une vision étriquée de l’héroïsme


Ne remercier que les soignants pendant la crise c’est un peu comme si on pensait qu’une équipe de football ne gagne que grâce aux attaquants qui marquent des buts (c’est un peu le cas d’ailleurs quand on voit la proportion de défenseurs ou gardiens élus meilleurs joueurs du monde). Pendant notre crise du Coronavirus, il y a donc des soignants en premières lignes, les attaquants. Il y aussi ma caissière au supermarché qui est là tous les jours, je la vois, je la remercie, normal.

Mais pour qu’ils puissent travailler il y a le chauffeur de bus, le livreur, le gars de la maintenance informatique qui répare la caisse, le fabriquant de masque… Et puis il y a celui qui reste à la maison, au chômage, avec ses enfants à qui il faut faire école et qui garde le sourire malgré l’angoisse de l’avenir… Et pour qu’il / elle n’angoisse pas trop, il y a le ministre qui a décidé le chômage partiel, qui doit stresser un peu pour la suite, et qui va en prendre plein la gueule…. Et peu de merci.

Je discutais hier avec une manager qui recevait une prime parce qu’elle venait travailler à l’usine et qui m’expliquant qu’elle ne la méritait pas parce que venir à l’usine était sa bouffé d’oxygène… Alors qu’elle voyait sa collègue bloquée à la maison qui jonglait avec le télétravail, 3 enfants, et dans un petit appartement…. Qui est le héros ? Qui mérite la prime et les applaudissements ?

L’héroïsme est une réalité et ne touche pas tout le monde, mais il ne concerne pas que les attaquants.
Je crois qu’il faut avoir une vision large de l’héroïsme et ne pas céder aux effets trop évidents… Thuram est célébré pour ses 2 buts en demi finale, mais n’a-t-il pas été plus héroïque à défendre sans briller pendant les 120 autres matchs de coupes du monde.

 

Dégotter l’héroïsme où il se cache est une des missions du manager.

 

Et attention à la félicitation excessive

Il est probable que nos soignants apprécient le soutien de la population… Probable mais pas sûr. Il y a un effet pervers à cet héroïsme si émotionnel, c’est la pression que cela met sur ces personnes.

Nous avons un couple d’amis infirmiers dans le nord-est de la France et la pression naturelle qu’ils ont est considérable.

Ajouter une notion d’héroïsme c’est générer 2 dangers :

  • Le danger d’une pression excessive immédiatement, avec dans la tête l’idée qu’il ne faut pas décevoir, être à la hauteur… Ça peut paraitre bête mais l’humain est plein de ces petites faiblesses et contradiction. On veut le rassurer et ça l’inquiète, classique.
  • Le danger après la crise, d’une dépression liée à la fin de l’urgence et à la chute brutale de l’héroï
    J’applaudis à 20h mais je l’avoue avec un poil de mauvaise conscience. J’ai aussi envie de dire « laissons-les un peu tranquille ! »

Dans l’entreprise, en temps normal, la question de la surexposition des héros et de la pression que ça provoque chez eux est aussi un vrai sujet. On parle des alliés sur-exploités, des usual suspects qu’on sollicite tout le temps et qui finissent par passer pour des fayots sans l’avoir vraiment désiré. 

Pour éviter cet écueil sans renoncer à la reconnaissance y compris publique, il faut me semble-t-il respecter 3 règles :

  • Elargir le collectif des personnes félicitées en incluant plus, en félicitant pour les petites comme pour les grandes choses, en félicitant les tâches ingrates de l’ombre comme les plus spectaculaires.
  • Faire parler plutôt que parler à la place de… La victoire et la fierté qui me remplit et dont je peux parler est un moment que je n’oublierai jamais. Je choisis mes mots et mon énergie, ma retenue ou mon exubérance. La victoire trop racontée par d’autres, sur jouée parfois peut devenir génante. Faites raconter plutôt que raconter vous même
  • Enfin, féliciter le plus posible le groupe, le système plutôt que l’individu. Il est rare (mais possible) qu’un exploit soit purement individuel. La plupart du temps il est le fait d’une équipe, d’un système, d’une chaîne. Ne l’oubliez pas.

Comme toujours, en management comme dans la vie de citoyen, la réaction émotionnelle existe et ne doit pas être réprimée : alors bravo à nos soignants et merci d’assurer notre sécurité en risquant la vôtre !

Mais la réaction émotionnelle doit être complétée d’une réaction plus posée qui permet d’inclure les héros de l’invisible, et qui permet de mesurer les messages pour que le merci ne devienne pas une pression insupportable.

 

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