Albus Conseil
 LE MAGAZINE

L'opposition ce n'est pas la guerre

L'opposition ce n'est pas la guerre
L'opposition ce n'est pas la guerre

/Gérer les relations

Dans les entreprises, l’opposition fait peur. On la combat… Dans la société, l’opposition est devenu un sport clanique, une confrontation de haine et de préjugés réciproque. A-t-on perdu l’art de s’opposer sans se faire la guerre ? 
Et si demain on s’opposait à nouveau sans se détester ?

 

On déteste la pluralité


Dans une entreprise de quelques milliers ou même de quelques dizaines de milliers d’employés, ou dans un pays de 60 millions voire de 300 millions d’habitants, le consensus est impossible, pas souhaitable, suspect. Parce que nous avons des éducations, des sensibilités, des expériences, des sentiments, des objectifs différents, nous avons des opinions différentes et des façons différentes de les défendre.


Pourtant, tout se passe comme si on détestait cette pluralité ; comme si on détestait tous ceux qui ne pensent pas comme nous.


L’opposition à Sarkozy a coulé le Grenelle de l’environnement avant même son démarrage. Celle d’Obama n’a pas voté son plan suite à la crise des subprimes pour ne pas lui donner cette victoire. Aujourd’hui les opposants à Macron comme hier ceux de Hollande ne sont pas capables de sauver ne serait-ce qu’une idée, qu’une action. 
Tous ces opposants se discréditent en refusant la nuance. Ils se rendent repoussant pour ceux dont ils voudraient conquérir les coeurs et se retrouvent à travailler presque exclusivement cet électorat conquis qui vote pour eux sans même les écouter.


Aujourd’hui on ne peut plus critiquer un élu vert sans être un affreux productiviste irresponsable, on ne peut pas accorder le bénéfice du doute à l’action d’une multi-nationale sans être un agent pervers du capitalisme sauvage. Dans l’entreprise, les opposants, les élus des syndicats veulent la mort de l’entreprise dès qu’ils émettent une objection… Et inversement, les patrons serait systématiquement en train de nous la faire à l’envers à chaque prise de parole….. Des dogmes s’opposent, des intérêts contraires, et de moins en moins des idées, des arguments.


Pourquoi déteste-ton autant la pluralité ?

 


Le problème c’est que tout le monde y perd


Cette société s’organisent en factions rivales. Les cadres font face aux non-cadres ! Les « gens de gauche » sûrs qu’ils sont les seuls à avoir une morale, prêtent aux autres la seule volonté de s’en mettre plein les fouilles. Les écologistes détestent ceux qui défendent l’industrie (forcément des affreux), les « manif pour tous » accusent les autres de vouloir tuer la famille… On cherche à opposer les choses : la culture et l’économie, la qualité et la productivité, l’industrie et l’écologie… C’est plus simple, plus vendeur… Ça ressemble aux mauvais films américains de Marvel.


Et donc coup, on n’avance pas, on attend que l’autre se plante, on le désire même. On le rejette en bloc, de la première à la dernière phrase, on ne sauve rien… En réduisant l’autre à des intentions maléfiques, on envoie le message qu’on ne sera jamais convaincu, jamais embarqué… C’est en jugeant sans nuance et sans analyse que l’on fait le lit des Trump qui ne cherchent même plus à parler au peuple et se contentent de draguer son électorat pour l’électriser… Trump est ce que je crains le plus au monde mais il n’est selon moi que le symptôme d’une vie politique où l’opposition est si caricaturale, dans un sens ou dans l’autre, que la meilleure tactique est finalement de ne parler qu’à ses partisans.


On n’avance pas, on se chamaille. On n’avance pas, on fait et on défait. On freine et on dénonce. On n’avance pas. Mais s’agissant du Grenelles de l’environnement, n’aurait-il pas fallu tout faire pour réussir en 2007, et gagner 15 ans ?


Dans l’entreprise on continue d’avancer malgré tout parce qu’on est un peu plus à l’abri du n’importe quoi médiatique dans lequel on déchaine les passions plutôt que de chercher à faire réfléchir. Dans l’entreprise, on avance toujours parce qu’avec le vrai immobilisme on est vite tous perdants : point de salut si les produits ne se vendent plus. Mais le danger rôde, et l’aversion au risque se développe, probablement chez nous plus qu’ailleurs… On peine de plus en plus à avancer vite parce qu’on se craint, parce qu’on ne sait plus s’engueuler franchement.


Mais n’ayez pas peur de ne pas être d’accord ! C’est impossible d’être tous d’accord !  Impossible.  C’est même l’intérêt de l’humanité d’avoir ses différences. Moi je suis content qu’il y ait des militants de toutes les couleurs politiques, même d’extrême droite. Cela fait partie de la vie. Mais je suis navré qu’ils ne sachent plus se parler.

 


Alors revenons à un monde qui s’oppose GAIEMENT !!

La vie c’est le débat et la confrontation, la palabre comme dirait Edouard Baer. Ne rêvez pas de consensus, c’est impossible et chiant. 
Désirez l’opposition et la confrontation, mais n’oubliez pas les 3 règles d’or de l’opposition :


Votre opposant n’est pas le diable


Il est évidemment facile de dire que le patron veut du fric à tout prix, et exploite les ouvriers sans vergogne. Il est confortable de taxer le leader de la CGT de dogmatisme et de vouloir faire mourir l’entreprise pour prouver qu’il a raison. Il est évidemment tentant de prêter à la droite une absence totale de morale et à la gauche une absence de réalisme et de se taxer mutuellement de tentation autoritaire. Il est galvanisant de dire qu’un ministre de l’éducation veut la mort de l’école ou qu’un maire de Poitiers veut régir les rêves des enfants et les uniformiser.


Mais tout ceci est aussi faux que bête. Votre opposant a 99 fois sur 100 l’ambition d’améliorer les choses, mais son passé, son expériences et sa sensibilité l’amène à voir des solutions différentes des autres.


Nier qu’il puisse avoir une éthique, une intention louable c’est non seulement envenimer le débat mais en plus s’aliéner ses partisans en plus. 


Accepter l’idée que l’immense majorité des gens veulent le bien du plus grand nombre, c’est la première pierre du dialogue. Chercher à se comprendre plutôt que chercher à avoir raison. Si je devais débattre avec Marine Le Pen, je partirais du principe qu’elle veut le bien du pays… Parce qu’en lui prêtant des intentions diaboliques, non seulement le dialogue est impossible, mais en plus j’insulte ceux qui sont tentés par elle, et je les pousse vers elle.

 


Il y a bien plus de complexité que de complots


Dans la même veine et sans faire de ce court article un pamphlet anti-complotitiste, il est généralement absurde de lier une cause et sa conséquence directement : celui qui augmente les allocations chômage ne désire pas la mort du travail. Celui qui les baisse ne désire pas la mort des travailleurs. Ils expriment tous les deux les conclusions de modèles sociologiques anciens, qui visent l’un et l’autre au bien collectif. Adam Smith et Karl Marx sont des humanistes, ne l’oublions pas.
Mais surtout les décisions sont complexes et doivent prendre en compte de multiples facteurs. La décision de fermer les cinéma pendant le covid (que je regrette) doit néanmoins être comprise dans un système complet. De même on ne devrait pas privilégier les voitures électriques sans débat sur la production d’énergie ; on ne devrait pas passer au tout télétravail sans se soucier des retombées psychologiques et même relationnelles.


Quand vous vous opposez, quand vous ne comprenez pas la position de votre interlocuteur, c’est souvent qu’il prend en compte un autre facteur, une autre conséquence. Par exemple oser parler du coût de la santé publique est vécu comme une attaque du service public par certaines personnes d’extrême gauche… Mais ne pas en parler est vécu comme une attaque contre le service public par les électeurs de droite. Chez nous, ce débat n’est pas sur le but (en France, personne ne remet en cause la nécessité d’un hôpital public) mais sur les moyens d’y arriver. Et ce débat est passionnant. Mais il ne peut aboutir à une solution intelligente que dans la pluralité, pas dans le dogmatisme.


Donc cherchez à comprendre les conséquences que voit votre contradicteur, même si parfois il les exprime mal à vos yeux.
Le monde est trop complexe pour qu’un seul Homme le comprenne seul.

 


L’analyse et l’écoute sont les transgressions du monde moderne, adoptez les

Pour finir, soyons clairs : l’analyse et la réflexion ont perdu beaucoup de terrain ces dernières années. La colère et l’émotion en ont beaucoup gagné. On caricature les autres à l’extrême et on se replie dans le confort d’un cercle de gens qui pensent comme nous contre tous les autres.


La faute aux médias, fan des idées basiques ? Aux partis politiques qui draguent plus qu’ils ne réfléchissent ? A ceux qui ont eu le pouvoir qui n’ont pas eu le courage d’expliquer ? Aux réseaux sociaux qui donnent la prime aux pensées les plus extrêmes ? A nous tous qui préférons l’analyse séduisante qui cochent les cases de notre éducation ? Au monde plus complexe, si difficile à comprendre ? Probablement un peu de tout ça, et bien d’autres choses encore.


Mais du coup, la transgression suprême en entreprise comme dans la société, c’est de tenir compte des voix discordantes, d’envisager le débat avec les opposants, de reconnaitre à l’autre dont les idées sont si éloignées des miennes des intentions aussi nobles que les miennes.


J’ai eu la chance en 15 ans de conseil, de rencontrer des centaines de managers, des dizaines de dirigeants, de travailler indirectement pour des milliers de salariés, et je peux tenir le compte des situations auxquelles j’ai assistée dans lesquelles la seule explication possible est la malhonnêteté : 10 personnes, 20 max. Sur des milliers.
Le reste du temps, il y a de la paresse, des erreurs, de la peur, de la résignation, des préjugés, des généralisations, et puis parfois du génie, de la générosité, de l’écoute, du courage.


La transgression du monde moderne, c’est d’écouter les opposants, pour sortir de la paresse intellectuelle et réhabiliter l’écoute.
La transgression du monde moderne, c’est de recommencer à palabrer.

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